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Plein Droit
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Plein Droit n° 62,
octobre 2004 Morts par G.T.P.I. ?Stéphane Maugendre Deux étrangers qui refusaient de quitter le territoire français sont morts suite à lutilisation de mesures physiques de coercition en vue de leur éloignement. Depuis, la direction générale de la police nationale a établi des règles. « Une mesure déloignement ne doit pas être exécutée à nimporte quel prix », précise-t-elle. Pourtant, les techniques déloignement forcé utilisées sont loin dêtre sans danger pour la vie des étrangers reconduits. En daoût 1991, la France apprenait le décès de Monsieur A. entre les mains de deux policiers dans un avion en partance pour le Sri Lanka. Linstruction judiciaire de plusieurs années, qui sachèvera par une relaxe des deux policiers du chef dhomicide involontaire, nous faisait découvrir lhorreur des techniques physiques employées par les fonctionnaires chargés de léloignement des étrangers. Ainsi, dans cette affaire, le réquisitoire définitif afin de renvoi par-devant le tribunal correctionnel nous enseigne que les « services de police avaient mis en place un dispositif renforcé afin de reconduire A., bâillonné, menotté aux pieds, menotté également aux poignets ramenés derrière son dos, jusquà son siège situé à larrière droit du bing 747 où il devait prendre place, encadré par [les policiers X et Y], la rangée de sièges étant dissimulée derrière un rideau, les isolant du reste de la carlingue et des passagers dont lembarquement débutait peu après 19 h30 avec un certain retard. Très surpris par le calme dont fait preuve, à cet instant A. [X] lui explique quil est prêt à lui retirer la bande Velpeau utilisée comme bâillon en échange de sa promesse de continuer à se tenir tranquille, ce à quoi le passager répond favorablement. [Y] desserre alors la bande qui vient pendre autour du cou de A., lequel se met aussitôt à hurler et tente de quitter son siège. A la hâte [X et Y] essaient de remettre le bâillon, sans y parvenir correctement, tout en essayant, à laide de couvertures, de maintenir A. sur son siège et ce, pendant près de 20 minutes au cours desquelles ce dernier enchaîne des efforts considérables pour se redresser. Retenu à chaque fois par les couvertures, doù autant de pressions et contraintes violentes sur sa cage thoracique avec des périodes dinsuffisance respiratoire, le tout dans une atmosphère surchauffée ». Précisons que les policiers ont replacé la bande Velpeau non plus sur le cou de Monsieur A. mais sur sa bouche ou plutôt dans sa bouche tel un mors de cheval pour se croiser sur sa nuque et revenir sur le larynx empêchant ainsi tout mouvement de la tête. Lun des policiers indiquait à lépoque qu« habituellement on emploie de ladhésif pour empêcher les reconduits de crier » et ajoutait « mon expérience me permet de dire que nous utilisions assez facilement de ladhésif qui dailleurs, la plupart du temps nous était fourni par le SMU [1]. Jévalue la fréquence de cet usage à une fois sur deux ». Précisons également que les menottes aux chevilles de Monsieur A. étaient particulières. En effet, les menottes de service ne peuvent sutiliser que pour les poignets et non pour les chevilles parce que trop petites. Ainsi, celles utilisées dans cette affaire avaient été ramenées par un policier lors dun voyage aux USA. Elles présentaient en outre lavantage de pouvoir passer autour de la barre de fer qui se situe sous les sièges des avions. Enfin, les couvertures étaient « destinées à maintenir A. sur son siège » comme une sorte de cordage. Quelques mois après cette affaire, ce sera au tour de la Belgique de découvrir des pratiques identiques et lusage du coussin (voir article « En Belgique : violence, opacité et déloyauté »). Dés les premières lignes de son rapport annuel 2003, la commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), créée par la loi du 6 juin 2000, souligne limportante nouveauté que constituent ses saisines (pas moins de sept) se rapportant à la police aux frontières. Depuis de nombreuses années déjà, les mesures physiques de coercition utilisées lors de la mise à exécution des mesures déloignement des étrangers nous préoccupent. Mais, souvent, ces préoccupations sont dépourvues de preuve et ce nest généralement quà loccasion de procédures judiciaires ou administratives que nous arrivons à confirmer nos informations. Cest pourquoi les affaires qui ont endeuillé la fin de lannée 2002 et le début de 2003 et relatés dans le rapport 2003 sont particulièrement importantes. Il ne sagit pas ici de mettre en cause tel ou tel fonctionnaire, mais, comme dans laffaire A que nous avons évoquée en introduction, de décrire les méthodes utilisées dans le cadre des éloignements forcés, cest-à-dire à lencontre détrangers refusant catégoriquement de quitter le territoire français. Nous découvrirons ensuite les instructions écrites de la direction générale de la police nationale (DGPN) qui ont été prises suite au décès de ces deux étrangers. Deux mortsTout dabord laffaire B [2]. Avant de le placer dans le fourgon en direction de lavion, les escorteurs ont menotté B. dans le dos et « lont immobilisé avec des bandes velcro aux chevilles, aux jambes et au niveau du torse ». Dans le fourgon, B. « a dû être assis de force sur le plancher du fourgon et maintenu fermement dans cette position ». Sans être désentravé, B. « a été hissé dans lavion par cinq personnes ». Un gendarme explique quensuite « B a été attaché à sa place, et sa tête était maintenue sur ses genoux ». Un steward voyant que B. était « maintenu plié en avant, les policiers exerçant une pression sur chacune de ses omoplates de sorte que la tête se trouvait au niveau de lassise du siège de devant » questionnait les policiers qui lui ont répondu « que cette procédure visait à empêcher le raccompagné dinspirer suffisamment dair pour pouvoir crier et prendre à partie les autres passagers ». De plus, et selon une hôtesse de lair, « les fonctionnaires de police avaient placé une couverture sur le reconduit qui était toujours en position pliée et entièrement recouvert par la couverture. Il est resté ainsi pendant à peu près quarante minutes ». Cette affaire fait actuellement lobjet dune instruction judiciaire par-devant le tribunal de Bobigny pour coups mortels. Laffaire H [3]. Dans lavion, selon les policiers, pour asseoir H. qui résistait et lui mettre la ceinture de sécurité, le chef descorte a dû faire pression avec son genou sur sa cuisse et en appuyant sur ses épaules. Une fois assis et ceinturé, un autre policier tenait la chaînette des menottes passées dans le dos de H. tandis que le chef descorte « sefforçait de le maintenir en position inclinée en pesant avec le poids de son corps au niveau des épaules. [ ] Monsieur H. était plié vers lavant, position qui permettait de le maîtriser plus facilement, mais il se redressait constamment. Cela a duré une quinzaine de minutes. Comme il continuait à se débattre le chef descorte était obligé de se mettre debout et de sappuyer sur son dos pour le faire plier ». Une hôtesse témoigne : « un des fonctionnaires était assis sur son dos, un autre lui tenait les bras derrière, sa tête penchait dans le vide [ ]. [M.H] est resté dans cette position, il criait de temps à autre mais moins fort. Cela a duré au moins vingt minutes ». Le chef davion rapporte qu« un fonctionnaire de police parfois même les deux policiers était assis sur son dos, lun des deux portant parfois la main sur la bouche du reconduit ». Enfin, un des escorteurs précise que « la technique de pencher la personne reconduite en avant est une pratique habituelle des escortes ». Cette affaire fait actuellement lobjet dune
instruction judiciaire par-devant le tribunal de Bobigny pour homicide
involontaire. Suite à ces deux décès, intervenus dans le cadre dune politique migratoire particulièrement répressive pour laquelle le ministère de lintérieur sollicitait que les mesures déloignement du territoire français soient de plus en plus exécutées, la DGPN adressait, le 31 janvier 2003, une note aux divers services chargés de ces missions déloignement les informant de la mise en place de formations et de lattribution de nouveau matériel de coercition. Un nouveau métierCest ainsi que la DGPN établissait, six mois plus tard, une « Instruction relative à léloignement par voie aérienne des étrangers en situation irrégulière » [4]. Y sont abordées les questions relatives aux quotas déloignés par compagnie aérienne, aux documents et aux tenues vestimentaires des éloignés et des policiers, aux fouilles, à la mise en place dun superviseur chargé de seconder le chef descorte, aux relations avec léquipage et les autorités étrangères, aux instructions durant le vol et à larrivée à létranger, au charter dit « vol affrété ». Dès lintroduction, lobjectif poursuivi est clair : « la mise en uvre effective des mesures déloignement des étrangers en situation irrégulière est lun des piliers de la politique gouvernementale de maîtrise des flux migratoires par la lutte » en précisant que « léloignement constitue un axe daction fondamental de répression et de prévention de la pression migratoire illicite ». Et, logiquement, lescorte des éloignés devient « un nouveau métier de police » nécessitant une spécialisation et une formation des personnels descorte « en raison de la diversité des paramètres intervenant dans une telle mission : reconduite individuelle ou groupée, comportement de léloigné, attitude des autres acteurs, connaissance du milieu aérien, contact avec les services étrangers ». Ce nouveau métier implique tout dabord un recrutement spécifique. Pour faire partie de lUnité nationale descorte, de soutien et dintervention (UNESI) les candidats doivent passer une visite médicale, avoir un entretien avec un jury (composé du chef de service, dun psychologue et de deux escorteurs confirmés), se soumettre à une épreuve de « gestes techniques professionnels en intervention » (GTPI) et à un test danglais. Vient ensuite la formation préalable qui consiste dabord à suivre deux modules. Le premier (cinq jours) a pour objet daborder les aspects politiques, organisationnels, techniques, médicaux et relationnels de la mission déloignement des étrangers du territoire français le quatrième jour étant entièrement consacré à lactualisation des GTPI spécifiques à léloignement, et le cinquième jour à la formation aux gestes de premiers secours. Le deuxième module, de deux jours, (soit douze heures) est consacré exclusivement aux GTPI descorte. Ces deux modules sont suivis dun recyclage trimestriel obligatoire dune demi-journée. Cette instruction précise que « seuls les matériels actuellement en dotation administrative (menottes textiles de préférence ou métalliques en cas de nécessité, bandes de type velcro et en tant que de besoin la ceinture dimmobilisation) doivent être utilisés » et que « toute forme de bâillonnement est strictement prohibée ». Elle précise également que le policier doit utiliser « la coercition proportionnellement à la résistance opposée afin de maîtriser la personne avec discernement ». Très concrètement, le « recours à la technique de contrainte et de régulation phonique, dont la mise en uvre de 3 à 5 secondes ne peut excéder 5 minutes, constitue lultime moyen à mettre en uvre avant de constater un refus dembarquement, un éloignement ne devant pas être exécuté à nimporte quel prix ». Et linstruction poursuit : « afin de prévenir les risques médicaux dus à létat dexcitation de léloigné et à son maintien dans lavion, la pratique des gestes non réglementaires, notamment la compression du thorax, le pliage du tronc et le garottage des membres est strictement prohibée. A linverse, le policier escorteur veille à shydrater et faire boire régulièrement léloigné, à lui relâcher les sangles et à faire dégourdir toutes les heures les membres inférieurs ». Deux fiches techniques sont consacrées aux moyens de coercition à utiliser. Lune concerne la technique de contrainte et de régulation phonique. Cette technique consiste, pour le policier, à faire passer son bras derrière la nuque du reconduit pour revenir devant la gorge en saisissant le vêtement de ce dernier, tandis que le second bras vient fermer cette boucle ou cette « clef détranglement » sur la face latérale du cou et que le front de lescorteur appuie sur la tempe de léloigné. Il est indiqué que cette technique déstabilise physiquement par la modification des repères sensoriels, diminue la résistance par les forces exercées sur la tête et le cou et réduit les capacités à crier par la régulation phonique, mais que les risques datteintes traumatiques sont la détresse ventilatoire et/ou circulatoire, la défaillance de lorganisme et le risque vital. Lautre fiche décrit la ceinture de contention, sorte de ceinturon doù partent, au niveau des hanches, deux liens réglables venant entraver les poignets, en réalité une sorte de camisole de force améliorée en ceinture. La procédure dembarquement proprement dite est décrite dans ses différentes étapes : le placement de létranger à larrière de lavion, après le passage dans une zone réservée ou une passerelle arrière, avec repérage préalable des sièges et leur préparation, linstallation sur ces sièges, la fixation de la ceinture de sécurité, lisolement des étrangers éloignés entre eux et vis-à-vis des passagers. La DGPN conclut ces descriptions en indiquant « dune façon générale, en cas de graves difficultés (cris, hurlements, violences ), le superviseur en accord avec le chef descorte, décidera dinterrompre la mesure déloignement. Les escorteurs doivent toujours garder à lesprit que la mesure déloignement ne doit pas être exécutée à nimporte quel prix ». Faisons un petit arrêt image sur létranger refusant catégoriquement de se soumettre à une mesure déloignement au moment de son embarquement. Il est attaché par des bandes velcro faisant plusieurs tours autour de ses chevilles et de ses jambes, ses mains et ses bras sont entravés soit par les menottes associées encore à des bandes velcro soit par la ceinture de contention. Pour monter les marches de la passerelle arrière, il est porté par trois policiers, face au sol, deux le soulevant chacun par un bras et le troisième tenant en lair la bande velcro entravant les chevilles. Arrivé sur le siège de lavion, la sangle abdominale de sécurité est ajoutée aux précédentes entraves. Et si ce saucissonnage ne suffit pas, on lui applique la technique de contrainte et de régulation phonique, dont on a compris quelle nest pas sans danger. Vers plus de violences physiques ?On comprend néanmoins que les services de lEtat puissent encore en venir à ces extrémités à la lecture de la conclusion de linstruction. « Léloignement est un enjeu décisif de la politique de maîtrise des flux migratoires conduite par la France et les pays européens. Outre le fait quelle contribue à affirmer lautorité de lEtat en assurant lexécution de ses décisions, elle joue un rôle dissuasif non négligeable vis-à-vis démigrants potentiels et constitue donc un frein, en amont de nos frontières, à limmigration illégale. Lampleur de la mission est considérable et les contraintes ne manquent pas. La France est particulièrement attentive à la problématique des retours groupés organisés notamment en liaison avec nos partenaires européens. Ces vols groupés constituent un signal fort adressé aux pays sources de limmigration irrégulière et aux candidats des filières dimmigration clandestines. Les qualités humaines à déployer alliées à des techniques professionnelles adaptées à la réalisation de ces missions dans le respect des droits fondamentaux de la personne humaine doivent toujours être mises en uvre dune façon rigoureuse. Ce manuel à lusage des personnels descorte vaut instruction permanente. » Mais ce manuel, en justifiant une violence dEtat, empêchera-t-il dautres morts ou blessés ou, au contraire, nest-il pas, par la charge des responsabilités politiques quil fait peser sur les épaules des escorteurs, un marchepied vers plus de violences physiques ? Espérons que lavenir ne nous le dira pas !
Notes[1] Service médical durgence. [2] Pages 131 à 142 du rapport de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS). [3] Pages 123 à 130 du rapport de la CNDS. [4] Nous névoquerons pas ici toutes les rubriques de cette instruction, mais seulement celles relatives à léloignement forcé..
Dernière mise à jour :
27-10-2004 17:21
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