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Plein Droit n° 62,
octobre 2004
« Expulser »
LEurope enferme
les nouveaux boat-people
ÉDITO
Dans ces mêmes colonnes, il y a un peu plus dun an, nous
écrivions : « lUnion européenne pourrait
un jour installer hors de ses frontières des camps de triage
pour y envoyer les demandeurs dasile », perspective
que nous comparions à « un film dhorreur
ou un cauchemar ». Aujourdhui, le cauchemar est
à nos portes. Lerrance, au début de lété,
pendant une dizaine de jours, de trente-sept candidats africains à
lexil entre les côtes libyennes et lîle de Lampedusa,
à bord du bateau Cap Anamur qui sétait vu
interdire laccès aux eaux territoriales italiennes, a servi
de détonateur. Au terme dun pitoyable jeu de la « patate
chaude » entre lItalie, lAllemagne et Malte,
lépisode a donné prétexte à Otto Schily,
ministre allemand de lintérieur, pour réclamer fin
juillet létablissement de camps en Afrique du Nord, où
seraient retenus les demandeurs dasile, afin de leur éviter,
était-il dit, de risquer leur vie en tentant la traversée
vers lEurope. Lidée a rapidement prospéré :
dabord reprise par le gouvernement italien sous le nom de « portails
dimmigration », elle a trouvé un allié
de poids en la personne du futur commissaire européen pour les
questions dimmigration et dasile, Rocco Buttiglione, qui
la pimentée dutilitarisme en avançant que
de tels « centres » pourraient aussi jouer le
rôle de « guichets » pour mettre en contact
les candidats à limmigration « avec le monde
du travail en Europe ».
Confortée par un tel parrainage, l« externalisation »
des procédures dasile sest imposée comme une
priorité à la réunion de rentrée des ministres
de lintérieur de lUnion. Le principe en est désormais
acquis, même si le mot « camp », jugé
politiquement incorrect, est banni du vocabulaire officiel : un million
deuros sont débloqués par la Commission européenne
pour mettre en place des « centres pilotes dans des pays
de transit » ou des « programmes de protection régionaux » dans
les trois pays du Maghreb, la Libye et la Mauritanie.
Personne nétant vraiment dupe, on fait appel aux arguments
humanitaires pour vendre les camps à une opinion émue
ou exaspérée par les images quasi-quotidiennes des naufragés
de lexil échouant sur les plages andalouses, maltaises
ou siciliennes. Ce serait pour leur sauver la vie, ou bien pour les
protéger des passeurs en quelque sorte pour leur bien
quon enfermerait les migrants loin des regards. Comme si
le renforcement et la sophistication des contrôles aux frontières
de lUE nétaient pas la première cause de mortalité
de ceux qui sont contraints à prendre des risques accrus pour
les franchir.
Et comme si, en arrière-plan de tous ces discours, lintention
nétait pas évidente : pour se protéger
des migrants et des réfugiés, lEurope est prête
à tout. Depuis plusieurs années cette Europe fait pression
incitations financières et chantage à laide
au développement à lappui pour associer les
pays de la rive sud de la Méditerranée à la gestion
et aux contrôle de ses frontières extérieures, les
transformant en « vastes zones dattente »
de lUnion. Aujourdhui elle a su pactiser avec la Libye,
opportunément redevenue fréquentable, pour lui déléguer
le sale boulot. Grâce à la levée de lembargo
qui empêchait, depuis lattentat de Lockerbie, de vendre
des armes à un pays considéré comme une pièce
maîtresse du dispositif anti-immigrés du sud de lEurope,
lItalie va pouvoir livrer aux autorités libyennes les hélicoptères,
radars, vedettes et armement nécessaires à la surveillance
de leurs frontières contre lenvahisseur, en même
temps que les tentes et les préfabriqués destinés
à linstallation des camps. Et peu importe que la Libye,
qui na pas signé la convention de Genève, soit au
plus haut point suspecte en matière de traitement des migrants
et du respect des droits de lhomme en général.
La formule a fait tache dhuile. En Suisse, le ministre de la
justice, Christophe Blöcher, envisage de « réformer
en profondeur le système dasile pour dissuader les demandes
abusives ». Son plan prévoit linstallation,
en collaboration avec larmée suisse, de camps pour les
réfugiés dans les régions en crise. De leur côté,
lAutriche et les trois Etats baltes nouvellement membres de lUE
ont fait savoir quils ne seraient bientôt plus en mesure
de faire face à larrivée de Tchétchènes
sur leur sol, et proposé que lUE finance un camp en Ukraine
pour les accueillir.
Les mises en garde et les protestations du Haut Commissariat des Nations
unies pour les Réfugiés, qui sest déclaré
préoccupé par ces perspectives dexternalisation
de lasile, viennent bien tard. Si le HCR na jamais soutenu
les projets de camps de demandeurs dasile hors de lUnion,
lambiguïté des positions quil a prises depuis
quelques années a probablement contribué à décomplexer
les pays les plus déterminés à se débarrasser
des réfugiés. Contre toute évidence statistique
lEurope accueille bien moins de réfugiés
que dautres régions du monde, notamment les plus pauvres
le HCR na jamais vraiment démenti la thèse
selon laquelle lUE subirait une pression insupportable due à
« lutilisation abusive des procédures dasile ».
A la fin de lannée 2003, il a lancé des propositions
pour faire baisser cette pression supposée, et préconisé
la mise en place dune procédure commune permettant le traitement
des demandes dasile dans des « centres daccueil
européens », pour faciliter soit linstallation
des réfugiés reconnus dans un pays membre, soit léloignement
des personnes « en provenance de pays dorigine dont
les demandeurs dasile sont très nombreux à être
rejetés régulièrement dans les pays de destination »
(entérinant ainsi le concept de « faux »
demandeurs dasile). Lavantage du système est, selon
le HCR, que ces derniers pourraient être « regroupés (et
détenus sil existe des probabilités quils
senfuient) avant dêtre expulsés et renvoyés
plus facilement en tant que groupe »[1].
Des centres fermés pour rassembler les déboutés
avant leur expulsion de lUE aux camps délocalisés
hors dEurope, il ny avait que la Méditerranée
à franchir : cest chose faite.
Notes
[1]
Document de travail du HCR, proposition modifiée du « volet
européen », 22 décembre 2003.
Dernière mise à jour :
20-01-2005 16:58
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Cette page : https://www.gisti.org/
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