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Magouilles européennes
sur l'asile
ÉDITO
L'idée que l'Union européenne pourrait un jour installer
hors de ses frontières des camps de triage pour y envoyer les
demandeurs d'asile semble sortie tout droit d'un film d'horreur ou d'un
cauchemar. Il y a quelques années encore, sa simple évocation
par un des États membres aurait probablement été
considérée comme une provocation ou une aberration par
ses partenaires, et suscité la réprobation unanime des
instances de protection des droits de l'homme.
Le cauchemar est en train de devenir réalité : lors d'une
réunion qui s'est tenue à Veria, en Grèce, à
la fin du mois de mars 2003, les ministres des Quinze chargés
des questions d'asile et d'immigration ont discuté très
sérieusement d'une proposition mise à l'ordre du jour
à la demande des Britanniques. Elle repose sur deux idées
: la première est la mise en place de « zones de protection »
afin d'assurer une gestion « régionale »
des flux migratoires. Celle-ci se trouveraient au plus près des
pays de départ des populations déplacées - parmi
lesquelles d'éventuels candidats à l'asile - et devraient
permettre, en leur assurant une sécurité sur place, de
les empêcher de poursuivre leur route jusqu'à l'intérieur
de l'Union. La seconde idée est la création, dans des
pays non membres de l'UE, de « centres de transit »
où seraient maintenus, le temps d'instruire leur requête,
les étrangers ayant franchi illégalement les frontières
de l'Union, et dont la demande d'asile paraît manifestement infondée.
L'objectif est clair : en titrant « L'art de se débarrasser
des demandeurs d'asile », Courrier International, en février
2003, le résume sobrement. Il s'agit bien, pour les États
membres de l'UE, en retenant sur leur route les demandeurs d'asile ou
en les refoulant, de se dégager des responsabilités que
la Convention de Genève sur les réfugiés fait peser
sur eux. Et de s'en défausser sur des pays qui, parce que situés
à proximité des zones de conflits, prennent déjà
largement leur part dans l'accueil des réfugiés. Parmi
d'autres, les noms de l'Iran, de la Somalie, des États des Balkans
ou de la Turquie ont été évoqués. On devine
au prix de quelles pressions, économiques ou non, ces pays accepteront
ou se feront imposer ces camps de transit. En se souvenant du sort subi
par les personnes massacrées à Srebrenica en 1995 et dans
des camps de réfugiés au Rwanda en 1994, dans ce qu'on
appelait pourtant des poches de protection, on imagine sans mal l'insécurité
à laquelle les demandeurs d'asile seront confrontés, les
chantages auxquels ils pourront être soumis de la part des pays
condamnés par l'Europe à les accueillir à sa place,
et les raisons qui les pousseront à fuir ces zones « protégées »
(mais ils seront alors traités comme des illégaux s'ils
tentent de se réfugier dans l'UE). Et l'on mesure d'avance les
menaces qui pèseront sur la conformité des procédures
d'asile avec la Convention de Genève dans ces sortes de zones
d'attente délocalisées.
Des organisations comme le British Refugee Council ou Amnesty International
ont vivement critiqué le projet, pointant le risque d'expansion
du « syndrome Sangatte » aux portes de l'Europe.
En revanche, le Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés,
Ruud Lubbers, s'est félicité devant les ministres réunis
à Veria que l'UE ait décidé de désigner
comme « pays sûrs » - c'est-à-dire
dont les ressortissants n'ont a priori pas vocation à être
reconnus réfugiés - les dix futurs pays membres de l'Union.
Il a également offert les services du HCR pour aider à
la détermination de catégories de personnes dont la demande
d'asile peut être considérée comme manifestement
infondée, notamment les « migrants économiques ».
Il a suggéré, pour ces personnes, la mise en place de
centres fermés délocalisés dans lesquels des procédures
simplifiées d'examen de leur demande pourraient être menées
avec l'aide du HCR afin de désencombrer les dispositifs nationaux
des États membres. Le Haut Commissaire a enfin invité
l'UE à impliquer dès maintenant les dix pays adhérents
dans ce processus, mais aussi à renforcer les capacités
d'accueil des pays de premier passage des réfugiés afin
« d'assurer l'accès à des solutions durables
dans les régions d'origine pour les personnes déplacées »
(comprenez : à trouver les moyens pour que les pays limitrophes
des zones de guerre ou de conflits retiennent les réfugiés).
Ces propositions, qui s'inscrivent dans un programme baptisé
« Convention plus » par le HCR (le « plus »
étant censé traduire la volonté de renforcer la
Convention de Genève...), entrent en singulière convergence
avec le projet britannique discuté par les Quinze, mais aussi
avec une récente étude commandée par la Commission
européenne qui concerne « l'examen des demandes
d'asile présentées à l'extérieur de l'Union
européenne ».
Si tous les États membres ne sont pas entièrement conquis
par l'idée de la délocalisation de l'asile, ne doutons
pas que ceux qui sont encore réticents s'y rallieront bientôt.
Pour sa part, le gouvernement français s'apprête à
faire voter une réforme de sa loi sur l'asile prévoyant
le rejet des demandes d'asile émanant de personnes originaires
de pays « sûrs » ou qui auraient pu bénéficier
d'un « asile interne » sur « tout ou
partie du territoire de [leur] pays d'origine »[1].
Tout pourrait aller très vite : la discussion engagée
à Veria doit être reprise sur la base de propositions concrètes
élaborées par la Commission au Conseil européen
de Thessalonique qui clôturera la présidence grecque au
mois de juin. Et le HCR est prêt pour démarrer des expériences
pilotes avant la fin 2003.
Tel est le plus récent épisode de la construction de
la politique européenne de l'asile dont on nous parle depuis
qu'en 1999 le traité d'Amsterdam a décidé de communautariser
les questions d'immigration et d'asile. En se reportant au programme
annoncé à l'époque, on a du mal à reconnaître,
dans les discussions d'aujourd'hui, la silhouette de l'« Union
ouverte et sûre, pleinement attachée au respect des obligations
de la convention de Genève sur les réfugiés »
qui était alors esquissée.
Ce numéro de Plein droit consacré à l'Europe permet
de mesurer le gouffre qui sépare les affirmations vertueuses
d'alors des replis xénophobes qui caractérisent l'Union
européenne aujourd'hui.
Note
[1] Projet de loi
relative au loi d'asile, déposé à l'Assemblée
nationale le 15 avril 2003.
Dernière mise à jour :
6-06-2003 16:06
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Cette page : https://www.gisti.org/
doc/plein-droit/57/edito.html
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