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Plein Droit
n° 52, mars 2002
« Mineurs étrangers isolés
en danger » L« accueil aux frontières »
Stéphane
Julinet
Juriste, ancien permanent de lAnafé.
Les textes qui régissent lentrée
des étrangers sur le territoire et le maintien en zone dattente
des non-admis ou des demandeurs dasile ne prévoient aucune
disposition particulière relative aux mineurs. Ces derniers sont
donc maintenus dans les mêmes conditions que les adultes. Depuis
1998, suite à une décision de la Cour dappel de
Paris, la quasi-totalité dentre eux sont désormais
admis sur le territoire. Les dispositifs de protection de lenfance
ne sont cependant pas systématiquement mis en uvre par
crainte de l« appel dair »
que cette protection susciterait, livrant ainsi ces mineurs à
tous les réseaux qui les guettent.
Larrivée de mineurs étrangers isolés aux
frontières françaises nest certes pas un phénomène
nouveau, mais il a connu récemment un développement très
important. Depuis longtemps, de jeunes étrangers débarquent
seuls, par exemple à Marseille en provenance du Maghreb, ou à
Orly et Roissy, où, jusquà une date récente,
on nen comptait que quelques uns. Au cours des dernières
années cependant, leur nombre a beaucoup augmenté et leur
provenance sest diversifiée [1].
Il est difficile dobtenir des données précises
sur le nombre de mineurs isolés se présentant aux frontières,
les services de lEtat donnant des chiffres souvent partiels voire
contradictoires. Rien quau ministère de lintérieur,
la police aux frontières (PAF) et la direction des libertés
publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) ne mesurent pas la même
population. Ainsi, pour le premier semestre 2001, la PAF a enregistré
1168 « présumés mineurs »
placés en zone dattente [2],
dont 708 isolés. Mais, pour la PAF, après examen osseux [3],
288 seulement se sont « révélés »
être « réellement » mineurs.
La DLPAJ comptabilise, elle, les demandeurs dasile.
Au cours du premier semestre 2001, 576 se sont « déclarés
mineurs ». Ils nétaient que 849 pour lensemble
de lannée 2000, et 602 en 1999, soit une multiplication
par deux en deux ans. Plus de la moitié des mineurs isolés
demandeurs dasile sont sierra leonais (53 % en 2000, 60 %
en 2001). Viennent ensuite les Congolais RDC (ex-Zaïre), les Sri
Lankais et les Indiens. Le ministère de lintérieur
ne détaille pas les nationalités pour les mineurs non-admis
non demandeurs dasile. Comment ces mineurs isolés sont-ils
« accueillis » à la frontière ?
Les textes qui régissent lentrée des étrangers
sur le territoire et le maintien en zone dattente ne font jusquà
ce jour aucune mention des mineurs.
Larticle 5 de lordonnance du 2 novembre 1945 sur lentrée
et le séjour des étrangers en France soumet laccès
au territoire à un certain nombre de conditions. Sils ne
sont pas déjà résidents, les étrangers doivent
être en possession dun passeport et dun visa consulaire
qui matérialise lautorisation préalable qui leur
a été accordée. Ils doivent également être
en mesure de produire les documents relatifs à lobjet et
aux conditions de leur séjour (une attestation daccueil
pour une visite privée ou familiale, ou une réservation
dhôtel pour une visite touristique, par exemple), à
leurs moyens dexistence (un viatique équivalent au SMIC
journalier multiplié par le nombre de jours de validité
de leur visa est généralement exigé, la moitié
pour les porteurs dune attestation daccueil), et à
leurs garanties de rapatriement (le plus souvent un billet aller-retour
confirmé non cessible).
Lentrée en France peut donc être refusée
aux étrangers auxquels il manque lun de ces documents,
ou qui utilisent un document falsifié, contrefait ou usurpé,
seul moyen de déjouer les contrôles au départ pour
ceux qui ne possèdent pas de passeport ou de visa. Mais sils
demandent à entrer en France au titre de lasile, seul le
ministre de lintérieur, après avis du ministre des
affaires étrangères, peut sy opposer, sil
juge que leur demande est « manifestement infondée ».
Ce même article détaille ensuite la procédure de
refus dentrée et les droits dont disposent les étrangers
non-admis. Il ne prévoit cependant pour les mineurs aucune protection
particulière contre le refoulement, à la différence
des dispositions protégeant les mineurs présents sur le
territoire contre toute forme déloignement, reconduite
à la frontière, expulsion et interdiction du territoire.
La fiction de lextraterritorialité
Lorsque les étrangers arrivent en train, en bateau ou en avion,
une difficulté particulière tient à ce quils
ont de fait déjà débarqué en France lorsque
la police leur en interdit juridiquement lentrée, et quelle
ne peut pas forcément les refouler immédiatement, comme
elle refoule létranger qui se présente à
un poste frontière terrestre et qui peut être renvoyé
dans lEtat doù il provient. Pour rendre le refus
dentrée effectif, ou pendant lexamen de la demande
dentrée au titre de lasile, la police va donc détenir
létranger dans la zone frontière jusquà
son départ effectif, ou jusquà ce quil soit
finalement admis. Mais dans un Etat de droit, une personne, quelle quelle
soit, ne peut être privée de sa liberté que dans
les cas et dans les conditions déterminés par la loi.
Jusquen 1992, lEtat français estimait que les étrangers
non-admis nétaient pas entrés en France : ils se
trouvaient dans une zone internationale où la loi française
ne sappliquait pas et où ils pouvaient donc être
maintenus sans règle, sans limite et sans contrôle. Cette
fiction de lextraterritorialité na pas résisté
et, après avoir été condamné par les juridictions
internes pour cette détention arbitraire (avant de lêtre
par la Cour européenne des droits de lhomme, en 1996),
lEtat a dû se résoudre à légiférer
pour donner une base légale à sa pratique.
Cest ainsi quen 1992 a été créée
la zone dattente, qui est donc dabord un cadre juridique :
le cadre légal de la privation de liberté des étrangers
à la frontière. La décision initiale de maintien
en zone dattente appartient à la police mais ne peut être
prolongée au-delà de quatre jours que par le juge judiciaire,
gardien de la liberté individuelle, pour une durée maximale
de huit jours, renouvelable une fois à titre exceptionnel. La
durée totale de maintien ne peut donc excéder vingt jours.
Létranger doit pouvoir, pendant ce temps, recevoir lassistance
dun interprète, dun médecin et dun conseil,
et communiquer librement avec toute personne de son choix (téléphone
et visites). Il doit enfin bénéficier de « prestations
de type hôtelier ».
La zone dattente est en effet également un lieu physique
géographiquement défini : créée et
délimitée par le préfet du département,
elle sétend des points dembarquement et de débarquement
aux points où est effectué le contrôle des personnes
(cest-à-dire des pistes aux aubettes de contrôle
de la PAF, en passant par les salles dembarquement et de débarquement,
les couloirs et salles de correspondance, les locaux de police, de service
et de commerce situés entre les deux, ce qui correspond à
peu près, dans les aérogares, à la zone sous douane
pour les marchandises ou à la zone « étanche »
en terme de sûreté). Elle peut être étendue
à un ou plusieurs lieux dhébergement offrant des
prestations de type hôtelier.
Une atteinte à la santé,
la dignité et la sécurité
Ainsi, à Roissy, en plus des aérogares, elle inclut deux
lieux dhébergement baptisés ZAPI (zones dattente
des personnes en instance) : ZAPI 2, aménagée dans
une partie du centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot,
et ZAPI 3, bâtiment spécialement conçu à
cet usage et mis en service à grand renfort de publicité
en janvier 2001. La première est en principe réservée
à des hommes adultes demandeurs dasile. La seconde, en
revanche, accueille indistinctement non-admis et demandeurs dasile,
familles, hommes, femmes et mineurs isolés.
Plus grave, la capacité de ces lieux étant largement
insuffisante, des dizaines de personnes sont bloquées pendant
toute la durée de leur maintien dans les aérogares, soit
dans les cellules des postes de police (dont laccès est
interdit aux associations depuis 2001), soit dans des salles réquisitionnées
à cet effet, notamment une salle de correspondance de laérogare
2A et, plus récemment, une salle dembarquement de laérogare
2B.
Non seulement les garanties prévues par la loi ne peuvent y
être mises en uvre, mais les conditions de maintien qui
y règnent, notamment la promiscuité (jusquà
plus de soixante-dix personnes entassées dans 30 m²), labsence
de matelas et de couverture pour dormir, ou labsence dhygiène
(aucune possibilité de se laver, obligation duriner dans
des bouteilles, par exemple), portent atteinte à la santé
et à la dignité voire à la sécurité
des personnes. Constitutives de traitements dégradants pour les
adultes, comment qualifier ces conditions lorsquelles sont imposées
à des mineurs ?
En effet, comme larticle 35 quater de lordonnance du
2 novembre 1945 ne fait pas de distinction entre les majeurs et
les mineurs, ladministration affirme quelle non plus na
pas à en faire. Ainsi, non seulement elle notifie directement
aux mineurs les décisions administratives de refus dentrée
en France et de maintien en zone dattente, alors quils nont
pas la capacité juridique pour les contester, mais elle estime
pouvoir les placer en zone dattente dans les mêmes conditions
que les majeurs et avec eux (seule exception : les nourrissons
et les plus jeunes enfants qui seraient enfermés sous la responsabilité
et le contrôle des compagnies aériennes dans une salle
de laérogare 2F à laquelle les associations comme
les proches nont pas accès).
Détention sans règle
Et cest là quon retrouve la fiction de lextraterritorialité
utilisée jusquen 1992 pour justifier la détention
sans règle des étrangers à la frontière.
En labsence dindications particulières, les dispositions
générales relatives aux mineurs devraient sappliquer,
quil sagisse des règles internationales, comme la
Convention internationale relative aux droits de lenfant [4]
ou la Convention de Genève relative aux réfugiés [5],
ou des dispositions de la loi nationale sur la protection des mineurs
qui ont vocation à sappliquer à tous sans distinction
aucune, notamment de nationalité [6].
Il apparaît notamment difficile de soutenir que la santé,
la sécurité et la moralité des mineurs arrivant
isolés à la frontière, à plus forte raison
maintenus en zone dattente dans les conditions décrites
ci-dessus, ne sont pas en danger et ne justifient pas lintervention
des mesures de protection prévues par larticle 375 du code
civil.
Or, non seulement ladministration ne saisit pas les autorités
judiciaires compétentes, mais les tribunaux de grande instance
compétents, celui de Bobigny pour Roissy bien sûr, mais
également celui de Marseille pour le port dArenc ou laéroport
de Marignane par exemple, et en premier lieu les parquets, refusent
dintervenir pour mettre ces mesures en uvre, sestimant
incompétents, comme si la loi ne sy appliquait pas. On
imagine mal quils refusent de diligenter une enquête et
douvrir une information si un crime y était commis sous
le prétexte que la zone dattente ne serait pas en France.
Cette situation sest perpétuée sans opposition
jusquà ce quen août 1998, la Cour dappel
de Paris, statuant en appel contre les décisions des magistrats
du TGI de Bobigny concernant la prolongation du maintien des mineurs
isolés en zone dattente, juge quen application de
larticle 117 du code de procédure civile et du fait de
leur incapacité, la présentation de mineurs isolés
devant le juge est irrégulière et quelle ne peut
donc, constatant la nullité de la procédure, que refuser
la prolongation du maintien en zone dattente demandée par
ladministration. A partir de là, les magistrats de Bobigny
ont appliqué cette jurisprudence et les mineurs que la police
navait pu renvoyer dans les quatre premiers jours étaient
quasi systématiquement libérés.
Pression médiatique et plainte pénale
En 2001, 95 % des mineurs isolés ont donc finalement été
admis sur le territoire, dont la moitié suite au refus du juge
judiciaire dautoriser la prolongation de leur maintien en zone
dattente. On aurait alors pu penser que le parquet examinerait
systématiquement la situation de chacun de ces enfants (au moins
de ceux qui étaient libérés au tribunal, puisque
la police ne lavertissait pas des libérations effectuées
à laéroport) avant de les laisser partir dans leur
famille dument identifiée sils en avaient une, ou de prendre
les mesures urgentes de protection qui simposent dans le cas contraire :
ordonnance de placement provisoire, saisie du juge des enfants et du
juge des tutelles. Il sy est au contraire longtemps refusé.
Il semblerait que, depuis la fin 2001, sa politique ait quelque peu
changé, peut-être sous la pression des remous suscités
par la médiatisation des agissements de réseaux récupérant
ces mineurs à la sortie de laudience dans lenceinte
même du tribunal agissements rendus publics par un rapport
de lAnafé en mai 2001 relayé par une plainte du
Gisti mais pourtant bien connus et de ladministration et
du monde judiciaire depuis longtemps.
Mais, sur plus dun millier de mineurs isolés entrés
en 2001, dont au moins cinq cents libérés au tribunal,
seulement deux cents auraient effectivement été pris en
charge par le parquet et le service éducatif auprès du
tribunal (SEAT). Ainsi, des centaines de mineurs étrangers isolés
sont dabord maintenus en zone dattente dans des conditions
inadmissibles avant dêtre soit renvoyés à
leur point de départ ou à leur dernière escale,
sans que lon se préoccupe des conditions dans lesquelles
ils y seront accueillis, soit lâchés sur le territoire,
à Roissy avec un simple sauf-conduit sils sont admis par
décision administrative, à Bobigny sils sont libérés
suite à la décision dun juge.
Hypocrisie des uns
et manipulation des autres
Mais du refus dappliquer le droit commun de la protection de
lenfance en danger, certains ont glissé, de bonne ou de
mauvaise foi, vers laffirmation quil était impossible
de le faire.
Les récents débats législatifs sont éclairants
sur lhypocrisie des uns, la manipulation des autres. Le gouvernement,
cherchant à réagir contre la jurisprudence qui, en conduisant
à la libération des mineurs après quatre jours,
lempêchait de les refouler tranquillement, a pensé
tourner la difficulté par la nomination dun administrateur
ad hoc pour les représenter et rendre ainsi la procédure
de prolongation de leur maintien en zone dattente régulière.
Interrogée sur ce point (et sur ce point seulement) à
loccasion dun pourvoi, la Cour de Cassation a répondu
quen létat actuel, le droit ne permettait pas la
nomination dun administrateur ad hoc dans ce cas [7].
Le gouvernement a donc élaboré un projet de loi pour lautoriser.
Présenté une première fois en mai 2001 sous forme
dun amendement à la loi de modernisation sociale, il a
été rejeté par les sénateurs comme étranger
au texte en question. Le gouvernement est revenu à la charge
à lautomne en lintroduisant de la même manière
dans un texte sur lautorité parentale en discussion, et
la disposition modifiant en ce sens larticle 35 quater
de lordonnance du 2 novembre 1945 a cette fois été
votée en novembre au Sénat et en décembre à
lAssemblée nationale, pour être définitivement
adoptée en février 2002.
A cette occasion, par la voix de la ministre de la famille, le gouvernement
a justifié son projet, qui vise à permettre le refoulement
effectif des mineurs, par la nécessité dassurer
leur protection, ce qui sous-entend que ce ne serait pas possible actuellement :
« il est urgent dassurer aux mineurs étrangers
isolés la représentation et lassistance nécessaires
à la reconnaissance de leurs droits dans les procédures
qui les concernent », alors que ce sont ces procédures
qui ne leur sont légalement pas applicables !
Mais lhypocrisie a éclaté quand le député
François Colcombet, pourtant magistrat, ayant proposé
dajouter, comme si ce nétait pas déjà
le cas, que le procureur peut de lui-même saisir le juge des tutelles
ou le juge des enfants pour faire placer le mineur dans une institution
française, la garde des sceaux sy est opposée en
avouant qu« appliquer le droit commun de la protection
de lenfance à ces mineurs et les admettre sans conditions
serait donner un signal très dangereux aux trafiquants de toute
espèce ».
Certes, la situation actuelle nest pas satisfaisante. Beaucoup
de mineurs étrangers isolés placés à laide
sociale à lenfance (ASE) ny restent pas et disparaissent
dès les premiers jours (mais ils ne sont pas les seuls). Beaucoup
déducateurs sont désemparés devant ce type
de public ; non préparés à leur accueil, certains
se demandent alors sil ressort bien de leur mission. Leur arrivée
en grand nombre à Roissy fait peser sur lASE de Seine-Saint-Denis
une charge que le département rechigne légitimement à
assumer seul alors quelle relève de la solidarité
nationale (or le code de laction sociale et des familles permettrait
dans un tel cas den transférer le coût à lÉtat).
Mais plutôt que den profiter pour exclure ces mineurs du
droit commun de la protection de lenfance en danger, ouvrant ainsi
dans luniversalité de ce dispositif une brèche lourde
de menaces (après eux, à qui le tour ?), ne vaudrait-il
pas mieux saisir loccasion pour réfléchir aux adaptations
nécessaires de laide sociale à lenfance à
ce public spécifique comme à lensemble des situations
difficiles auxquelles elle est confrontée, pour dégager
les moyens financiers et humains, en termes de structure, de personnel
et de formation, lui permettant daccomplir au mieux sa mission ?
Notes
[1] Voir dans ce numéro
lintervention de Violaine Carrère, Qui sont-ils ?
doù viennent-ils ?, p. 3.
[2] Ce qui exclut les
mineurs étrangers isolés non-admis et refoulés
sans passer en zone dattente et dont on ignore le nombre, comme
celui de lensemble des étrangers dans le même cas
de figure.
[3] Voir dans ce numéro
lintervention de Nathalie Ferré, La détermination
de la minorité, p. 15.
[4] Larticle 3
impose à lÉtat de prendre en compte lintérêt
supérieur de lenfant dans toutes les décisions le
concernant ; larticle 37 limite les possibilités de
détention et les soumet à des conditions très précises.
[5] Le Haut-Commissariat
des Nations-Unies pour les réfugiés estime quelle
interdit le refoulement et la détention aux frontières
des mineurs isolés demandeurs dasile.
[6] Voir dans ce numéro
lintervention de Michèle Créoff , Quest-ce
quun mineur en danger ?, p. 7.
[7] Cass. Civ. 2, 2 mai
2001, Melle X. ; n° 869.
Dernière mise à jour :
6-05-2003 15:34
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