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Plein Droit
n° 45, mai 2000 « Double
peine »
Les bannis des banlieues
Violaine Carrère, ethnologue
L'histoire que nous tentons de retracer ici est
celle d'un collectif, le Comité national contre la double peine,
mais c'est aussi celle de tout un mouvement, qui a donné lieu
à la création de structures successives : Solidarités
actives, Résistance des banlieues, et enfin le Mouvement de l'Immigration
et des Banlieues (MIB).
Le Gisti a noué divers contacts avec les acteurs
de ce mouvement et a bien sûr travaillé avec eux. Depuis
quelques années, toutefois, les rapports se sont distendus. Un
dossier de Plein Droit sur la double peine ne pouvait se faire
sans la collaboration de ceux qui se consacrent à cette lutte.
C'était aussi l'occasion de faire le point sur toutes ces années
le Comité fêtera ses 10 ans d'existence
en juin 2000 et sur la façon dont le milieu
associatif s'est investi dans cette lutte.
L'article qui suit a été rédigé essentiellement
à partir d'une journée d'entretiens avec les fondateurs
du mouvement et quelques uns de ceux qui les ont rejoints, dans les
locaux qu'occupe le Comité, rue de Montreuil à Paris.
Dans une ambiance de ruche bourdonnante, ils nous ont réservé
un accueil chaleureux, ont pris le temps de raconter, expliquer, y compris
leurs motifs d'amertume, avec clarté et humour ; qu'ils
en soient ici remerciés.
La « Maison de l'Immigration », au matin, vit sur
un rythme de lent éveil ; arrivées une à une
et, avant toute chose, un café. Vers la fin de la matinée
et jusqu'en début de soirée, en revanche, il n'y a plus
guère d'espace libre dans les locaux,
et une quinzaine de personnes, la plupart bénévoles, s'activent
fiévreusement à recevoir les visiteurs, répondre
au téléphone, préparer les réunions publiques
à venir, les déplacements en province, mettre des courriers
sous enveloppe, etc.
L'impression générale qu'on peut avoir est à la
fois celle d'un grand sérieux et d'une joyeuse anarchie :
les dossiers sont visiblement pris en charge par des mains différentes
et il faut parfois un peu de temps pour faire le point sur qui a fait
quoi, aucun des membres n'est d'accord sur le nombre des dossiers traités
à ce jour, ni très précis sur les résultats.
Cependant, sur le sens de l'action, sur les stratégies, les discours
sont forts, et tous expriment la même volonté de participer
à un combat où l'important est l'action collective, la
prise en charge par les personnes concernées elles-mêmes
de leurs problèmes, le travail de mobilisation.
Pour la défense des dossiers individuels, les techniques vont
du recours contentieux au recours en grâce, et à ce qu'ils
appellent eux-mêmes « du harcèlement » :
téléphoner dans les préfectures, les cabinets ministériels,
les directions administratives, insister, relancer
« Notre
grande force, c'est que nous, on a le temps, on n'a que ça à
faire », disent-ils.
Surtout, ils sont capables de mobiliser très rapidement des
troupes, pour faire le siège d'une préfecture, d'un commissariat,
attendre à la sortie d'une prison. « On a tout un
réseau, des militants sur place dans une quinzaine de villes.
En permanence, on peut mobiliser trente personnes. Mais, à Reims,
l'autre jour on était cinquante ; à Bourges, on était
cent ! Notre stratégie, actuellement, c'est d'étendre
ce réseau. »
Ils voudraient bien également constituer un collectif d'avocats
« prêts à intervenir pour pas cher en urgence ».
Mais ça, c'est plus difficile
Parallèlement à cette défense de cas individuels,
l'activité s'organise autour de campagnes sur divers thèmes
et autour de réunions « dans les quartiers ».
« On a traversé une période d'essoufflement »,
explique Tarek, l'un des « anciens » du mouvement,
« il y avait des cas à défendre en urgence,
des actions sur le terrain, un risque de perte de sens. On est en train
de reprendre tout ça, et de préparer une nouvelle phase
du mouvement ».
La lutte contre la double peine n'est pas abandonnée, mais les
membres du Comité sont occupés aujourd'hui par la relance
du Mouvement de l'immigration et des banlieues (MIB), qui tiendra un
congrès en novembre cette année, précédé
de réunions publiques un peu partout en France.
Les pionniers
Tout est parti de plusieurs histoires individuelles, celles de jeunes
nés en France ou arrivés enfants sur le territoire qui,
à la suite de parcours divers, ont fait l'objet d'arrêtés
d'expulsion. Quelques uns, peu à peu, ont monté des comités
de soutien dans la mouvance des collectifs d'auto-défense contre
les bavures policières et les crimes racistes créés
dans les années quatre-vingt.
Ils cherchent à rassembler du monde pour obtenir l'abrogation
d'arrêtés d'expulsion, ou au moins des sursis à
exécution. Dans certains cas, ils réussissent et cherchent
à multiplier de tels comités dans les quartiers de banlieues
d'une part, les milieux pénitentiaires d'autre part.
L'un de ces jeunes habitait les Mureaux. Mohammed Hocine, dit « Momo »,
né en France en 62, est, à 20 ans, condamné à
six ans de prison. Dans un court-métrage intitulé « La
cavale des bannis », il raconte comment les espoirs qui font
« tenir » en prison grâces, remises
de peine, liberté conditionnelle sont interdits à
ceux qui sont frappés de la double peine. « Les
jurés te condamnent en sachant qu'il y aura des remises de peine,
dit-il, mais toi, tu fais ta peine jusqu'au bout. »
Avec quelques autres détenus, Momo a fondé, au sein de
la prison, un mouvement de résistance. « Je me considérais
comme un résistant, dit-il. J'étais prêt
à aller très loin, à être violent, à
me faire jeter en prison à nouveau pour cette lutte. »
Grève de la faim, mouvements de soutien, la décision d'expulsion
prononcée contre Momo sera annulée par le Conseil d'État.
De la résistance
à l'offensive
Le terme de « résistant » se retrouve dans
le mouvement « Résistance des banlieues »,
né début 1990. Pour définir ses fondateurs, Momo
a cette jolie formule, qui fait allusion à la marche des Beurs :
« C'étaient des marcheurs qui n'avaient pas fini
de marcher ». Et pour exprimer toute l'importance de ce
mouvement, il ajoute : « Politiquement parlant, nous
sommes les harkis d'aujourd'hui ».
Car les anciens du mouvement ont le sens de la formule qui frappe :
ils revendiquent l'invention du terme « double peine »,
qu'ils nomment aussi « bannissement des temps modernes ».
La mobilisation s'étend. La lutte pour l'abolition de la double
peine gagne du terrain. En mai 1990, un collectif décide
de travailler sur cette question et de regrouper les dossiers des personnes
concernées. Le Comité contre la double peine est né.
Pour se faire connaître, il reprend les mêmes voies que
celles adoptées par Résistance des banlieues : distribution
de tracts dans les parloirs des prisons d'Ile-de-France et utilisation
des radios de taulards. Les proches des personnes touchées par
une menace d'expulsion sont invités à venir aux réunions
du collectif, l'idée étant de mobiliser les gens au-delà
de l'affaire qui les concerne personnellement.
« Souvent les gens arrivent en disant moi, c'est
différent, c'est pas la came, c'est une erreur judiciaire.
Nous, on leur montre que les cas sont différents mais tous
semblables. Que c'est un système contre lequel il faut lutter ».
Ils commencent par ceux que la loi protège et peu à peu
étendent leur collecte de cas à ceux qui n'ont pas de
droit reconnu à une protection. Ils insistent sur la stratégie
qui a toujours été la leur : d'une part, une mobilisation
par cercles concentriques, en premier lieu les intéressés
eux-mêmes, puis les gens autour d'eux, famille, amis, et enfin
tout un quartier ; d'autre part, le regroupement de dossiers, pour
la défense individuelle des cas bien sûr, mais plus largement
pour dresser une liste, « pour faire savoir que ça
existe, la double peine ».
C'est resté dans leurs pratiques : la grande salle de leur
local est couverte sur tout un mur d'affiches portant une photo, un
nom, quelques lignes laconiques (date et lieu de naissance, éventuellement
situation de famille, durée de la peine prononcée), et
puis, sonnant comme une sinistre conclusion, la mention « frappé
d'expulsion » ou « interdiction définitive
du territoire français ».
Les années
de croissance
Le 6 octobre 1990, se tient une grande réunion publique
à Paris, à la Bourse du travail. Elle rassemble trois
cents personnes, des représentants d'associations mais aussi
des expulsés, des membres de leurs familles, des proches. Pour
les fondateurs du Comité, cette réunion fait la démonstration
qu'on peut rassembler du monde autour de la question de la double peine.
Ils demandent à être reçus dans les ministères.
Ils y viennent avec des fiches constituées à partir des
dossiers qu'ils ont rassemblés. Très vite, ils obtiennent
des abrogations d'arrêtés d'expulsion, ou des assignations
à résidence.
Les récits glorieux des succès circulent. Des décisions
favorables leur sont attribuées aussi d'office, s'amusent-ils
à dire. L'association grandit vite. Fin 1990, 450 personnes
ont adhéré au Comité, certains simplement le temps
de faire aboutir un dossier, d'autres restant pour soutenir les autres
et militer. Le Comité, d'ailleurs, n'a pas d'existence juridique.
En octobre 1990, est créée officiellement une structure
intitulée « Association de soutien aux expulsés
et à leur famille ». Des subventions sont obtenues,
qui permettront de rémunérer quelques personnes à
temps partiel.
Changement législatif
Durant l'année qui suit, des émeutes ont lieu un peu
partout dans les banlieues : à Sartrouville, Vaulx-en-Velin,
Argenteuil, Mantes-la-Jolie. Résistance des Banlieues connaît
les jeunes qui participent à ces mouvements, viennent leur parler
de la double peine. Sa suppression sera présentée par
les médias comme une revendication majeure des jeunes en lutte.
Les pouvoirs publics commencent à changer un peu d'attitude.
Le Haut Conseil à l'Intégration préconise un changement
législatif. En septembre 1991, un projet de loi sur la question
est présenté au Parlement.
Pendant ce temps, le Comité grandit toujours, continuant, avec
des troupes fluctuant de quinze à vingt personnes, à constituer
des « fiches techniques » sur chaque cas recueilli.
Le millième dossier est atteint en septembre 1991. Les membres
du Comité rencontrent les groupes parlementaires, font campagne.
Un meeting réunit un millier de personnes à St-Denis en
décembre.
La loi est adoptée en première lecture, mais elle est
loin de répondre à toutes les situations dénoncées
par le Comité. Elle laisse en effet de côté des
personnes qui ont fait l'objet d'une interdiction du territoire français
(ITF) ou d'un arrêté d'expulsion. En janvier 1992, une
trentaine de personnes entament une grève de la faim, en prison,
dans les locaux de la Cimade à Paris, et dans ceux de l'association
Jeunes Arabes de Lyon et banlieue (JALB). Des manifestations de soutien
viennent de toutes parts : meetings, jeûnes de soutien, lettres
et communiqués. La grève de la faim se poursuit jusqu'au
52e jour pour dix-neuf des grévistes, qui finiront par obtenir
deux circulaires en leur faveur, leur attribuant même
des
cartes de résident !
Euphorie
« C'était une période d'euphorie, se
souvient Tarek, qu'on n'a pas très bien réussi à
gérer ». Durant les années 1992 et 1993,
le Comité se consacre au suivi de l'application de la loi, se
bat sur chaque dossier individuel, contre les refus de relever des ITF,
contre des refus de régulariser après des relèvements
d'ITF, etc. Mais toute l'énergie dépensée dans
l'urgence, explique Tarek, empêche l'association de se doter des
moyens nécessaires à cette croissance. Des problèmes
d'encadrement se posent, et des problèmes financiers. Surtout,
« il aurait fallu prendre le temps de capitaliser, d'avoir
une réflexion collective sur les suites à donner au mouvement ».
Le Comité paie le prix de sa notoriété, estime-t-il :
« on était considérés comme dépositaires
de la loi, et on nous envoyait tous les dossiers de double peine
»
A partir de 1993, le Comité s'installe dans ses locaux actuels,
rue de Montreuil, hébergé cette fois par le collectif
des associations immigrées en France (CAIF).
L'ambition de départ, qui était de créer un vaste
mouvement dépassant largement la revendication contre la double
peine est retrouvée. Des réunions se tiennent un peu partout
en France, dont une à la Bourse du travail à Paris le
4 décembre 1993, jour anniversaire de la marche de 83. Deux
ans après, l'appel est lancé pour la création d'un
« Mouvement de l'Immigration et des Banlieues » :
le MIB.
Face aux « Monoprix-Viniprix
de l'immigration »
Dès qu'ils se mettent à parler des associations qui travaillent
dans le champ des droits des étrangers, de la lutte contre le
racisme et les discriminations la Ligue des droits de l'homme,
la Cimade, SOS Racisme, le Mrap, le Gisti, etc. , les pionniers
du mouvement laissent percer amertume et orgueil. Ils considèrent
qu'il y a aujourd'hui « un consensus pour entériner
l'exclusion », et que ces associations participent à
ce consensus. « Personne n'attend que quelque chose vienne
des quartiers mêmes où les gens vivent l'exclusion. »
C'est Momo qui est l'auteur de cette formule, « les Monoprix-Viniprix
de l'immigration », pour désigner « les
associations » : manière de dire qu'elles
font commerce de luttes dont elles sont déconnectées.
Ils disent être les seuls à aller « sur le terrain ».
Ils ont le sentiment que « les associations » sont
plus que frileuses sur le sujet de la double peine, qu'elles l'ont toujours
été. Et ils se plaignent de n'être pas traités
en partenaires par elles : « Au début, elles
n'ont pas pris au sérieux le CNCDP », dit l'un
des anciens. Et un autre : « Elles n'avaient pas confiance
en nous, on était des petits jeunes, on ne savait pas
Quand
on leur disait on va y aller, nous, rencontrer les gens au
ministère, à
la Chancellerie, dites-nous qui il faut voir, expliquez-nous qui sont
ces gens-là, donnez-nous les téléphones,
ils nous répondaient ça ne vaut pas la peine ».
Tarek raconte : « A une époque, on rencontrait
le directeur des libertés publiques, des gens à la Chancellerie
sur la question des ITF. On nous recevait, on nous écoutait.
Et, dans le même temps, les associations disaient qu'on ne pourrait
pas faire bouger les choses là-dessus !
».
Se rendre dans les ministères avec des gens menacés d'expulsion,
c'était les mettre en danger, leur disait-on. Finalement, conclut
Nourredine, « elles voulaient faire les choses à
notre place, mais surtout ne pas les faire, parce qu'elles n'y croyaient
pas ».
Interrogés sur leur analyse des raisons de cette frilosité,
ils se souviennent des craintes exprimées qu'associer immigration
à délinquance fasse le jeu du Front national, mais ils
parlent surtout des réticences à défendre par exemple
un ancien dealer. Un avocat, rappellent-ils, a même justifié
la double peine pour des délits graves.
Manu parle, lui, en sociologue du milieu associatif : « En
fait, il y a un vrai hiatus culturel », dit-il, rejoint
par Nourredine : « Des enfants d'immigrés qui
se battent sur le droit des étrangers
ils ont besoin de
tuteurs ! »
Parfois ils ont des accents de héros qui ont eu raison contre
tous, et qui mènent seuls les batailles délaissées
par les autres
La Maison de l'Immigration
Ces batailles, ils les organisent aujourd'hui à partir du lieu
qu'ils ont ainsi baptisé : la Maison de l'Immigration. C'est
là que se tient leur permanence juridique, et c'est à
partir de ce lieu voulu comme un centre de ressources qu'ils élaborent
des campagnes d'information et de dénonciation, qu'ils organisent
des actions de défense, qu'ils préparent des interventions
dans « les quartiers ».
La Maison de l'Immigration a une existence juridique via une association
créée en 1996, LAMI, qui reçoit des subventions,
essentiellement du FAS, pour les activités de conseil juridique
et d'information. Le budget de l'association, dit Tarek, est de 700 000 F,
avec 200 000 d'entrées propres (adhésions, concerts,
et le produit de la vente du CD réalisé en 1997). Cet
argent leur permet de faire fonctionner la structure, de payer quelques
emplois à temps partiel, de tirer affiches et publications, d'organiser
déplacements et interventions.
Il n'est pas très facile de comprendre les articulations entre
les différentes structures du mouvement depuis sa naissance,
ni d'avoir des informations concordantes sur tout ce qui touche aux
questions matérielles : tout cela est traité par
les membres avec une apparente désinvolture. L'essentiel n'est
pas là. L'essentiel est l'action : les campagnes, les interventions,
l'extension et l'animation du réseau.
Les campagnes du MIB peuvent avoir pour thèmes des problèmes
qui ne concernent exclusivement ni l'immigration, ni les banlieues au
sens géographique du terme mais, explique Nourredine en bon étymologiste :
« les banlieues ce sont tous les endroits où des
gens vivent au ban de la société, ce sont les zones de
non-droit ». L'idée, dit Tarek, est de créer
un véritable rapport de force politique, à partir du réseau
créé depuis la naissance de Résistance des Banlieues.
Ainsi, une campagne intitulée « Justice en banlieue »
a été lancée en 1994, pour dénoncer l'attitude
de la police à l'égard des jeunes, les « bavures »
policières impunies, la dureté de la répression
judiciaire dans les quartiers défavorisés. D'autres ont
suivi : sur les droits des détenus, l'emploi, le logement
ou les discriminations en tout genre. A chaque fois, l'angle de bataille
est de mettre à jour les injustices dont personne ne s'occupe.
« Par exemple, les détenus pour rébellion
contre agents de police sont exclus des grâces du 14 juillet ;
qui s'intéresse à ça ? »
Dans leurs interventions, les militants du MIB parlent aussi bien des
contrôles d'identité que du regroupement familial, du droit
de manifester que des conseils municipaux, des prisons que des possibilités
de revendiquer des espaces dans les HLM. « C'est la gestion
post-coloniale des quartiers qui mène aux problèmes de
ces quartiers », dit Tarek.
Aujourd'hui, c'est cet axe qu'ils revendiquent comme prioritaire :
être du côté des exclus, porter la parole de ceux
que l'on n'entend pas, et accompagner la prise en charge par les habitants
des quartiers de leurs propres problèmes. « Ça,
on est les seuls à le faire », disent-ils
Comité national contre la double peine
Maison de l'immigration
46 rue de Montreuil, Paris 11e
Tél. 01 43 72 75 85
Emission de radio
« L'écho des banlieues »
106.3
un lundi sur deux de 19 à 20h30
L'histoire de Fatiha
Si Fatiha est entrée au Comité, c'est parce que son mari
a été touché par la double peine. Elle s'est battue
pour lui, a gagné, et travaille maintenant comme permanente dans
l'association. « J'ai gagné et, avec le MIB, j'ai
aussi trouvé une famille », dit-elle.
Pourtant au départ, ses chances de voir son mari sortir libre
de prison étaient plus que maigres
Elle raconte comment elle a fait la tournée des associations
pour chercher de l'aide : d'abord SOS Racisme, puis le Mrap, le
Gisti, la Cimade. « A chaque fois, au bout de trois minutes,
on me demandait pourquoi il est tombé ton mari ? »
Le fait que cette question soit un préalable systématique
la scandalise.
Son mari purgeait une peine de six ans de prison, pour trafic de stupéfiants.
Il avait fait l'objet de deux ITF définitives. « Partout
on m'a dit qu'il n'y avait rien à faire, que le dossier était
pourri. On me conseillait de me résigner, d'organiser ma vie
autrement. On me demandait : mais pourquoi une fille
comme vous s'est retrouvée avec un homme comme lui ?
On m'a même conseillé de divorcer !
»
C'est par hasard qu'elle entend parler d'un comité fondé
par d'anciens détenus, luttant contre la double peine. « J'ai
cherché partout, j'ai fini par trouver leur adresse et j'y suis
allée. Pour une fois personne ne m'a posé la question
que je redoutais. On a commencé à m'expliquer ce que je
pouvais faire. J'ai dit mais
il est tombé pour
stups !. On m'a dit oui, et alors ? Tu
veux qu'il revienne, c'est ça ?
»
Enthousiaste, elle s'est mise à travailler bénévolement
pour le Comité. « J'avais trois ans à passer
toute seule, de toutes façons ». Elle répond
à des courriers de détenus, se forme, et finalement se
sent prête pour agir pour son cas personnel.
Elle va voir le procureur qui sera à l'audience deux jours plus
tard, et le gagne à sa cause. « Je lui ai dit qu'il
ne punissait pas simplement un homme mais aussi moi, sa femme, qui l'aimais. »
Le procureur a été ému. Les deux ITF ont été
relevées. Fatiha a gagné.
« La double peine, c'est le
pire »
Un des militants présents dans la salle, X, vient s'asseoir
près de moi : « Pourquoi le Gisti ne fait rien
contre la double peine? » , me demande-t-il . Je
dis que le Gisti se bat contre toutes les injustices qui frappent les
étrangers, et que la double peine en fait bien sûr partie.
Je cite d'autres dénis de droit qui nous révoltent également.
Il m'interrompt : « la double peine, c'est le pire ».
Cette formule résume sans doute le motif de fond du reproche
adressé « aux associations », les grandes
ou les moins grandes, en tous cas celles qu'ils ressentent comme ayant
pignon sur rue, et délaissant la principale cause à défendre
à leurs yeux. X explique : les sans-papiers, c'est important,
la protection sociale ou les réfugiés aussi bien sûr,
mais la double peine, ça touche des personnes qui sont en France
depuis longtemps, qui ont noué des attaches familiales, personnelles
dans ce pays, qui ne sont des étrangers que sur le papier, « et
tout d'un coup, comme ça, parce qu'ils ont fait une bêtise,
parfois une grosse bêtise c'est vrai, se retrouvent séparés
de leurs proches, de tout ce qui fait leur vie, et renvoyés dans
un pays qu'ils ne connaissent pas ». Surtout, peut-on
entendre dans les accusations de X et des autres, ses victimes appartiennent
majoritairement à la population des étrangers de la seconde
génération, des « jeunes des banlieues »,
dont on répète sans cesse qu'il faudrait tout faire pour
mieux l'intégrer.
Pour les membres du Comité et du MIB, qui protestent par exemple
« n'avoir rien contre les sans-papiers »,
non seulement les effets concrets de la double peine sont plus révoltants
que ceux d'autres textes ou pratiques, mais la légitimité
même de la lutte contre la double peine est clairement plus grande
que celle d'autres luttes. Ceux qu'on devrait intégrer, on les
met dans des ghettos, on les traite sans équité, et quand
quelques uns « tournent mal », on les bannit.
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Dernière mise à jour :
23-10-2001 16:16
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