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Plein Droit n° 44, décembre
1999
« Asile(s) degré
zéro »
Dans les zones d'attente :
Atteinte aux libertés et inefficacité
Stéphane Julinet,
permanent à l'Association nationale d'assistance
aux frontières pour les étrangers (Anafé)
Sept ans après la création officielle
des zones d'attente aux frontières, le bilan de l'accueil des
étrangers est plutôt négatif sur le plan du respect
de la liberté individuelle et du droit d'asile, mais également
du point de vue de l'efficacité de la procédure mise en
place. Pour le ministère de l'intérieur, qui fait la même
constatation, l'essentiel est ailleurs. Il est dans les nouveaux outils
de contrôle de la circulation transfrontière qui se situent
en amont et qui sont aujourd'hui les visas et la responsabilisation
des transporteurs. Dans ce contexte, on ne peut que s'inquiéter
du devenir du droit d'asile.
La question des demandeurs d'asile aux frontières, de leur détention
et de leur refoulement n'a jamais constitué une question politique
importante. Elle n'intéresse guère les médias,
donc l'« opinion », ni même la plupart
des militants qui défendent les étrangers. L'accès
au territoire est le grand absent des débats sur l'immigration
et l'asile, comme s'il existait un consensus implicite des différentes
forces politiques sur un véritable pouvoir régalien du
contrôle des frontières, le droit d'accorder ou de refuser
librement l'entrée sur son territoire constituant un élément
de la souveraineté de l'État.
Jusqu'à la fin des années quatre-vingt, l'État
agissait sur ce point dans l'indifférence générale,
tant il est vrai qu'il est difficile de s'intéresser à
ce qui est invisible, ce qui était le cas de ces étrangers,
inconnus et renvoyés immédiatement ou après quelques
jours passés au secret. Le durcissement des conditions d'entrée
dans les années quatre-vingt et la détérioration
de la situation des personnes, de plus en plus nombreuses, détenues
pendant une durée parfois très longue dans les aéroports
parisiens a suscité l'indignation de militants syndicaux du transport
aérien qui en ont alors « révélé »
l'existence aux organisations de défense des étrangers.
En décembre 1991, sous la pression des associations et des syndicats
regroupés depuis décembre 1989 dans l'association nationale
d'assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé)
et sous la menace de plusieurs procédures judiciaires, le gouvernement
socialiste introduit sous forme d'amendement, dans un projet de loi
en cours de discussion, un article créant des « zones
de transit »visant à donner une base légale
à la détention, à la frontière, des étrangers
non-admis ou dont l'entrée en France au titre de l'asile était
en cours d'examen. Élaborée dans la précipitation
et introduite en catimini, cette tentative maladroite suscite suffisamment
d'oppositions pour que les sénateurs socialistes obtiennent du
Premier ministre, en échange de leur vote, la promesse de déférer
lui-même la loi au Conseil constitutionnel.
Celui-ci rappellera quelques principes : les documents et justificatifs
nécessaires à l'entrée en France n'étant
pas exigibles d'un demandeur d'asile, celui-ci « ne saurait
faire l'objet d'un maintien en zone de transit [
] que s'il apparaît
que sa demande d'asile est manifestement infondée »,
appréciation qui implique de « se borner à
apprécier la situation de l'intéressé sans avoir
à procéder à aucune recherche ».
Il censure ensuite la loi parce qu'elle ne prévoit pas l'intervention,
dans les meilleurs délais, de l'autorité judiciaire, gardienne
de la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution,
pour contrôler le maintien en zone de transit.
Mais c'est dans l'indifférence presque générale
que le gouvernement suivant fera adopter, le 6 juillet 1992, la loi
Quilès créant les zones d'attente, intégrant formellement
les exigences du Conseil constitutionnel, mais qui ne lui sera pas déférée.
Depuis cette date, le cadre juridique est demeuré quasiment
inchangé. Sept ans après, le bilan de l'application de
cette loi fait apparaître un paradoxe qui reste à expliquer
: l'inefficacité d'une procédure pourtant marquée
par l'arbitraire et le secret.
Le refus d'entrée :
une décision sans recours
La Convention de Genève sur les réfugiés dispense
les demandeurs d'asile de la présentation des documents exigibles
des étrangers pour entrer en France, définis à
l'article 5 de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Cet article renvoie
également à toutes les conventions internationales, en
particulier à la Convention européenne des droits de l'homme
dont l'article 3, prohibant la torture, interdit de renvoyer, par quelque
moyen que ce soit, une personne vers un pays où elle risque de
subir des traitements cruels, inhumains ou dégradants.
La loi du 6 juillet 1992, en autorisant le maintien en zone d'attente
d'un demandeur d'asile « le temps d'un examen tendant
à déterminer que sa demande n'est pas manifestement infondée
», a créé un motif spécifique de refus d'entrée
pour les demandeurs d'asile. Ce faisant, elle n'a fait que légaliser
une pratique existante.
La principale lacune de cette procédure est qu'elle ne prévoit
pas de recours suspensif dans une matière où l'exécution
de la décision - le refoulement - rend illusoire toute possibilité
réelle de recours et le prive, de toute façon, de toute
efficacité. Ce n'est que dans de très rares cas particuliers
que des refus d'entrée ont été contestés
devant le juge administratif. Toutes les décisions attaquées
ont d'ailleurs été annulées, mais le ministère
de l'intérieur a systématiquement refusé de s'incline
: le 27 mai 1994, le TA de Paris a jugé que le ministère
de l'intérieur ne pouvait légalement considérer
une demande d'asile manifestement infondée au motif que l'intéressé
avait transité par un pays tiers, mais l'administration a ignoré
cette décision.
Par ailleurs, le ministère de l'intérieur continue à
exiger des demandeurs d'asile des récits détaillés
et circonstanciés et à rejeter ainsi de nombreuses demandes
qu'il estime dépourvues de justification alors que le TA de Paris
a annulé plusieurs de ses décisions en se satisfaisant
d'allégations pourtant moins étayées de risque
de persécution.
Enfin, le ministère de l'intérieur écarte les
demandes qu'il estime hors champ de la Convention de Genève.
Or, ni la loi ni la jurisprudence n'imposent ce critère, beaucoup
trop difficile à manier au stade de l'examen nécessairement
superficiel du caractère manifestement infondé de la demande.
De plus, le ministère devrait prendre en compte tous les risques
de persécution susceptibles d'entrer dans le champ de l'article
3 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Le ministère de l'intérieur rechigne même à
appliquer les arrêts du Conseil d'État. Le 29 juillet 1998,
celui-ci a confirmé que le placement en zone d'attente est le
seul cadre légal permettant à l'autorité administrative
de priver de sa liberté un étranger arrivant par voie
aérienne, maritime ou ferroviaire, et que la consignation des
passagers clandestins maritimes à bord des navires est illégale.
Interrogé, le ministère de l'intérieur s'est évidemment
engagé à respecter cet arrêt, mais a ensuite estimé
que « si la loi est claire sur la nécessité
de débarquer les clandestins maritimes » (il l'a
néanmoins contesté pendant plus de quatre ans !), « le
moment où l'on doit procéder à ce débarquement
l'est moins ». Or, la décision du Conseil d'État
énonçait clairement que « l'administration
est tenue de placer en zone d'attente les étrangers non-admis
qui ne peuvent être immédiatement renvoyés et ceux
qui demandent l'asile, le temps d'examiner leur requête ».
De fait, si la consignation à bord n'est plus systématique
dans certains ports où de nombreux passagers clandestins sont
débarqués et placés en zone d'attente (Marseille
ou Dunkerque par exemple), elle continue de l'être dans beaucoup
d'autres.
L'autorité administrative est donc libre de faire ce qu'elle
veut, avec tous les risques d'abus et de dérapages inhérents
à toute action incontrôlée.
Détention sans contrôle
Lorsqu'un étranger n'est pas admis sur le territoire ou demande
son admission au titre de l'asile, il peut être placé en
zone d'attente par décision de la police pour quarante huit heures
renouvelables, soit quatre jours, durée sans équivalent
en droit, comparée par exemple à celle de la garde à
vue (vingt quatre heures renouvelables une fois sur autorisation du
procureur de la République) ou même à celle de la
rétention administrative (dont le passage de vingt quatre à
quarante huit heures a suscité de nombreux débats). A
l'expiration de ce délai, c'est au juge qu'il appartient de se
prononcer sur une éventuelle prolongation du maintien pour une
durée de huit jours renouvelable une fois.
Or, depuis 1993, la durée moyenne de maintien n'a pratiquement
jamais dépassé quarante huit heures, ce qui signifie que
90 % à 95 % des étrangers non admis ont été
renvoyés sans être passés devant le juge, sans avoir
jamais vu personne d'autre que les policiers qui leur ont refusé
l'entrée et sans que personne n'ait pu s'assurer de la régularité
de leur privation de liberté.
En ce qui concerne les demandeurs d'asile, le gouvernement avait affirmé,
lors du vote de la loi en 1992 que, du fait de la procédure,
tous seraient présentés au juge. Or, jusqu'en 1996, la
durée de maintien des demandeurs d'asile n'a cessé de
se raccourcir (deux jours à Roissy, par exemple, qui concentre
la quasi-totalité des demandes). Elle est restée inférieure
à trois jours en 1997. Un tiers seulement des demandeurs environ
a donc été présenté au juge et moins de
la moitié (44,5 %) en 1998, malgré l'allongement du délai
moyen à sept jours, en raison de l'augmentation du nombre de
demandes à instruire.
On peut se féliciter de ces chiffres, comme le ministère
de l'intérieur, pour qui ils traduisent une moindre atteinte
à la liberté individuelle des intéressés.
On pourrait par contre regretter que plus de la moitié des demandeurs
n'ait pu bénéficier de ce contrôle, en raison de
sa tardiveté. Mais force est de relativiser ces regrets, au regard
de la faiblesse de ce contrôle, et c'est sa deuxième limite.
Autocensure des juges
Le juge doit normalement contrôler la régularité
de la procédure administrative et de sa saisine, vérifier
ensuite que les conditions permettant le maintien en zone d'attente
sont réunies, et enfin que celui-ci est nécessaire. Or,
sur tous ces points, son contrôle est défaillant. S'estimant
lié par les décisions de l'administration, il n'assume
pas son rôle de protection de la liberté individuelle.
La plupart des juges répugnent déjà à vérifier
que des irrégularités portant atteinte aux droits des
intéressés n'entraînent pas la nullité de
la procédure. Ainsi, la tardiveté de la décision
de maintien par rapport à l'arrivée effective de l'étranger
n'est qu'exceptionnellement sanctionnée, y compris lorsqu'un
P.-V. d'interpellation dressé à la sortie de l'avion prouve
que l'intéressé était bien à la disposition
de la police dès son arrivée. Il en était de même
des conditions de la notification de la décision et des droits,
notamment l'interprétariat, pourtant rarement assuré par
un interprète agréé sur place, jusqu'à ce
qu'un arrêt de la Cour de cassation du 7 octobre dernier n'impose
la présence physique de l'interprète « aux
côtés de l'étranger ». Et il a fallu
attendre six ans pour que la cour d'appel de Paris se décide
à constater qu'en application du code de procédure civile,
l'irrégularité de la présentation de mineurs isolés
et non représentés, donc incapables juridiquement, entachait
la saisine du juge de nullité. Mais bien que cette jurisprudence
soit aujourd'hui établie, tous les juges du TGI de Bobigny, en
Seine-Saint-Denis (dont dépend l'aéroport de Roissy) ne
la suivent pas et certains persistent à autoriser la prolongation
du maintien de mineurs pour lesquels ils ne sont pas valablement saisis.
De même, rares sont les magistrats qui vérifient que les
conditions autorisant le maintien en zone d'attente sont réunies.
Conditions matérielles d'abord. La loi parle de « prestations
de type hôtelier » mais malgré la dénonciation,
par des policiers, des conditions de détention à Roissy
comme constitutives d'un traitement inhumain et dégradant, des
juges autorisent chaque jour la prolongation du maintien de dizaines
de personnes.
Conditions juridiques ensuite. Le juge doit d'abord vérifier
que la requête de l'administration est suffisamment motivée
pour pouvoir ainsi contrôler que l'intéressé entre
bien dans une des catégories visées par la loi, que s'il
est non-admis, il existe une décision de refus d'entrée
et qu'un réacheminement dans les délais impartis est effectivement
prévu et possible.
Concernant plus particulièrement les demandeurs d'asile, lors
du vote de la loi en 1992, le gouvernement avait affirmé que
le juge pourrait bien entendu prendre en compte le caractère
manifestement infondé ou non de leur demande pour statuer sur
la demande de prolongation du maintien en zone d'attente. Or, dans la
confidentialité des prétoires, c'est l'inverse que plaideront
ses avocats dès l'entrée en vigueur de la loi : c'est
au ministère de l'intérieur qu'il appartient d'examiner
si une demande d'asile n'est pas manifestement infondée. Le juge
qui s'aventurerait sur ce terrain contrôlerait de fait la décision
de l'administration et violerait ainsi la séparation des pouvoirs.
Pourtant, le Conseil constitutionnel n'a autorisé le maintien
des demandeurs d'asile en zone d'attente que si leur demande est manifestement
infondée, et a censuré la loi précédente
parce qu'elle ne prévoyait pas l'intervention du juge judiciaire
pour contrôler, dans les meilleurs délais, l'atteinte à
la liberté individuelle que constitue ce maintien. L'appréciation
du juge judiciaire ne lie pas l'administration, pas plus que celle du
ministère de l'intérieur ne lie le juge judiciaire dont
la décision se limite à refuser la prolongation du maintien
en zone d'attente, sans remettre en cause la décision éventuelle
de l'administration, qui ne peut être annulée que par le
juge administratif.
En cas de refus de prolongation, l'étranger doit être
mis en possession d'un visa de régularisation de huit jours au
terme desquels il doit soit avoir quitté le territoire, soit
avoir régularisé sa situation (par la délivrance
par une préfecture d'une autorisation provisoire de séjour
pour saisir l'OFPRA d'une demande de reconnaissance de la qualité
de réfugié ou pour déposer une demande d'asile
territorial par exemple). Pourtant, le juge se laisse généralement
enfermer dans le seul rôle que lui concède l'administration,
à savoir prendre acte du refus d'admission sur le territoire
et prolonger le maintien en zone d'attente pour en permettre l'exécution.
Enfin, le juge devrait vérifier que le maintien en zone d'attente
s'impose, que l'atteinte à la liberté est non seulement
possible, mais également nécessaire. La Cour de cassation
a ainsi admis que l'existence de garanties de représentation
pouvait justifier le refus de prolonger un maintien en zone d'attente
qui n'apparaissait plus nécessaire, atteinte inutile à
la liberté individuelle de l'intéressé.
La prolongation du maintien en zone d'attente ressemble néanmoins
aujourd'hui à une loterie où l'étranger ne peut
qu'espérer tomber sur un magistrat qui accepte de remplir sa
mission et ne nie lui-même sa compétence. Mais les numéros
gagnants sont rares. L'administration a réussi à transformer
les magistrats, avec leur complicité, en chambre d'enregistrement
de ses propres décisions.
Indifférence et immobilisme
Arbitraire car marquée par l'absence de recours et de contrôle
institutionnel, la procédure peut l'être aussi parce qu'elle
reste confinée dans le secret des seuls lieux de privation de
liberté où aucun intervenant extérieur à
l'administration n'est autorisé à entrer.
Le législateur, en 1992, y avait du moins prévu une présence
des associations. Dans son esprit (ou par hypocrisie ?) l'accès
des organisations humanitaires aux étrangers maintenus en zone
d'attente pour leur apporter une assistance humanitaire et juridique
constituait une garantie indispensable, et le groupe socialiste avait
subordonné le retrait d'un amendement en ce sens à l'engagement
du gouvernement d'en définir les modalités par décret.
La loi est entrée en vigueur dès sa publication, le 9
juillet 1992, mais le décret sur l'accès des organisations
humanitaires n'a été publié que trois ans plus
tard et n'est entré véritablement en application qu'un
an après, au printemps 1996.
De plus, le rôle concédé aux associations était
loin de celui qu'elles avaient revendiqué. Plus question d'assistance
humanitaire ou juridique, mais présence limitée à
des visites ponctuelles avec pour simple mission l'observation du fonctionnement
général des zones d'attente. Ces visites n'ont certes
pas été tout à fait inutiles. Elles ont permis
de faire un état des lieux des zones visitées, de dénoncer
la non application de la loi dans les gares et la plupart des ports
et aéroports de province, la violation fréquente des droits
reconnus aux étrangers ainsi que les conditions matérielles
de maintien souvent insuffisantes, voire scandaleuses, comme à
Roissy.
Mais cela fait maintenant trois ans que les associations font ce constat,
le consignent dans un rapport transmis aux administrations concernées
puis diffusé largement à toutes les institutions, organisations
et organes de presse possibles. Sans résultats puisque d'année
en année, rien ne change, ou presque.
Seule l'instauration de recours efficaces, c'est-à-dire impliquant
une sanction immédiate pour l'administration, serait de nature
à l'obliger à respecter le droit.
Une procédure inefficace
Le paradoxe de cette procédure, c'est qu'elle n'est pas efficace
au regard des objectifs qui lui sont assignés. Le ministère
de l'intérieur, dans son bilan annuel sur les zones d'attente
pour 1998 a dû lui-même, et pour la première fois,
le reconnaître : « si cette procédure a montré
son bon fonctionnement au cours des cinq années précédentes
c'est-à-dire sa capacité à effectuer des contrôles
frontaliers efficaces tout en respectant les libertés individuelles
des étrangers maintenus et la notion de droit d'asile, l'année
1998 a été marquée par des difficultés importantes
».
Respect de la liberté individuelle ? Pour le ministère
de l'intérieur, il est assuré quand la durée de
maintien est courte. Mais comment parler de respect de la liberté
individuelle quand l'accélération de la procédure
est acquise au prix de la violation du droit au délai d'un jour
franc avant l'exécution de la décision de refus d'entrée,
quand l'hébergement s'effectue dans des conditions matérielles
très insuffisantes et même attentatoires à la dignité
voire à la sécurité des personnes, en particulier
des mineurs, quand ces conditions d'hébergement n'autorisent
aucune liberté de mouvement et organisent l'isolement des personnes
maintenues, quand les intéressés ne sont informés
ni de leurs droits ni de la procédure dont ils font l'objet,
quand ne sont respectés ni leur droit à l'assistance d'un
interprète ou d'un médecin, ni leur droit à la
liberté de communication, et qu'il leur est ainsi finalement
impossible de se faire entendre et de se défendre ?
Respect de la notion de droit d'asile ? Comment croire que, dans les
conditions décrites ci-dessus, les intéressés peuvent
bénéficier d'un examen sérieux et attentif de leur
demande ? D'autant plus qu'entre 1993 et 1997, le nombre d'agents de
la division de l'asile à la frontière (DAF) du ministère
des affaires étrangères est tombé de 6 à
2 alors que le nombre de demandes doublait, passant de 500 à
1 000. Courant 1998, le nombre d'agents est remonté à
3 puis à 4 en fin d'année, mais dans le même temps,
le nombre de demandes, multiplié par 2,5, passait de 1 000 à
2 500 environ, chiffre atteint dès le mois d'août en 1999.
Il est impossible, dans ces conditions, pour ces agents de faire un
travail sérieux. Ils sont réduits à faire de l'abattage.
Le taux d'admission sur le territoire au titre de l'asile a toujours
été faible, environ un tiers des demandeurs, peut-être
un peu plus ces deux dernières années du fait de la part
importante de Rwandais (environ un quart). En effet, à la lecture
des statistiques du ministère de l'intérieur pour 1998,
il apparaît que le premier critère est celui de la nationalité.
Si les ressortissants de quelques pays comme le Rwanda, l'Irak, et
dans une moindre mesure le Burundi sont admis en quasi-totalité
au titre de l'asile, les ressortissants d'autres pays où la situation
est également dramatique ne semblent pas bénéficier
du même intérêt. Par exemple, pour rester dans la
région des Grands Lacs, le taux d'admission des Congolais (Kinshasa
et Brazzaville) est resté faible malgré les conflits qui
déchirent ces deux pays depuis deux ans, avec leur cortège
d'atteintes massives aux droits de l'homme et de massacres.
Seuls 12 % des ressortissants de la Sierra Leone, pays ravagé
depuis des années par un conflit marqué par la barbarie
la plus féroce ayant entraîné la mort ou la mutilation
de milliers de personnes et l'exode de centaines de milliers d'autres
dans les pays voisins, sont admis au titre de l'asile, de même
que 21 % des ressortissants du Nigeria, où régnait une
dictature militaire condamnée par de nombreux États, 27
% des demandeurs sri lankais, essentiellement des membres de la minorité
tamoule en lutte armée contre l'État cinghalais depuis
des années, ou 35 % des demandeurs soudanais, fuyant un régime
pourtant dénoncé comme intégriste et la guerre
menée contre les populations du sud.
Des contrôles frontaliers efficaces ? Là encore, la procédure
ne semble pas remplir les objectifs qui lui étaient assignés,
car si le pourcentage d'entrées au titre de l'asile reste bas,
le pourcentage total d'entrée explose (moins de 21 % de renvois
en 1998 et 17 % pour les huit premiers mois de 1999). Les décisions
de refus d'entrée sont de moins en moins exécutées,
comme si l'administration ne pouvait faire face à l'augmentation
du nombre de demandes.
Paradoxe apparent
Les délais s'allongent, de plus en plus de demandeurs doivent
être présentés au juge, et mécaniquement
un plus grand nombre d'entre eux est libéré avant d'avoir
pu être réacheminé (12 % des demandeurs en 1998
et 19 % pour les huit premiers mois de 1999). La charge de travail administratif
et de surveillance des étrangers des agents de la PAF limite
leur disponibilité pour pratiquer des contrôles à
la sortie des avions, et les étrangers qui arrivent à
cacher leur provenance doivent être admis pour défaut de
moyen de réacheminement (16 % des demandeurs en 1998, 31 % pour
les huit premiers mois de 1999).
Comment expliquer la contradiction entre une attitude affichée
de fermeté, voire la crispation des gouvernements successifs
pour protéger le pouvoir régalien de l'État de
contrôler librement ses frontières, menacé par la
moindre concession à l'État de droit ou à un regard
extérieur, et l'incapacité de celui-ci à se donner
les moyens matériels et humains d'exercer efficacement ce contrôle
?
En réalité, ce paradoxe n'est qu'apparent car le gouvernement
estime la situation globalement satisfaisante. Au regard de l'objectif
d'efficacité qu'il s'est donné, il n'a peut-être
pas tort. En effet, si le système semble désorganisé,
si le pourcentage d'entrées apparaît élevé,
que représentent, en chiffres absolus, quelque deux à
trois mille personnes ? Une quantité négligeable, comparée
par exemple au nombre de demandeurs d'asile recensés chaque année
par l'OFPRA (plus de 22 000 en 1998), au nombre d'étrangers autorisés
chaque année à s'installer légalement en France
(60 000 à 100 000), ou encore au nombre d'étrangers que
M. Jospin a cru pouvoir laisser sans papiers (63 000 sans compter ceux
qui n'avaient pas fait de demande de régularisation).
L'essentiel du contrôle de la circulation transfrontière
s'est déplacé en amont. Ces deux à trois mille
personnes représentent la partie émergée de l'iceberg,
les quelques poissons passés à travers les mailles des
filets jetés bien en deçà de la frontière,
dès les pays d'origine. Les outils principaux du contrôle
sont aujourd'hui les visas et la responsabilité des transporteurs.
Depuis 1986, la France exige un visa des ressortissants de la plupart
des pays étrangers et même, depuis 1991, des visas de transit
aéroportuaire des ressortissants des États dont proviennent
le plus grand nombre de demandeurs d'asile. Et depuis la loi du 26 février
1992, elle inflige aux transporteurs une amende de 10 000 F par personne
acheminée dépourvue de visa ou munie d'un visa falsifié,
leur imposant ainsi de vérifier les documents de voyage de leurs
passagers au départ, avant de les embarquer. Résultat
: les étrangers jugés indésirables, et notamment
les demandeurs d'asile, restent cloués au sol, assignés
dans leur pays ou condamnés au mieux à ne pouvoir se réfugier
que dans les États voisins, où ils n'ont parfois qu'une
protection toute relative. Ne peuvent embarquer que les personnes aisées
qui pourront se procurer les faux documents de qualité suffisante
pour abuser les compagnies aériennes. De fait, d'après
les responsables de la PAF de nombreux aéroports, les refus d'entrée
en France pour défaut de visa ont quasiment disparu tandis qu'augmentent
les refus pour falsification ou usurpation de documents.
Que reste-t-il du droit d'asile quand l'administration rejette plus
de la moitié des demandes par des décisions arbitraires
prises sans contrôle, après une instruction effectuée
dans des conditions contestables sur la base de critères qui
ne le sont pas moins ? De nombreuses personnes sont ainsi refoulées
malgré les risques de persécution qu'elles encourent,
et 80 % sont finalement admises par impossibilité matérielle
de les réacheminer.
Alors non, on ne peut se réjouir de cette situation injuste,
malsaine et dangereuse, d'autant que l'État peut, à tout
moment, si les choses deviennent trop explosives ou s'il y trouve un
intérêt, dénoncer l'incohérence de la situation,
voire son injustice, et apporter un dernier tour de vis en dégageant
quelques moyens supplémentaires. Tout démontre au contraire
la nécessité de modifier la législation sur l'accès
au territoire pour remplacer l'arbitraire et le secret par le droit
et la transparence.
Une telle modification implique au minimum l'instauration d'un recours
suspensif contre les décisions de refus d'entrée en France,
la limitation de la durée de maintien en zone d'attente et le
raccourcissement du délai d'intervention du contrôle du
juge judiciaire, la liberté d'accès des associations en
zone d'attente pour apporter une aide juridique aux étrangers
qui y sont maintenus.
Ces quelques modifications restant de toute façon insuffisantes
tant la logique de contrôle des flux migratoires et de fermeture
des frontières apparaît contradictoire avec le droit d'asile
et plus largement la liberté individuelle.
Dernière mise à jour :
6-05-2003 16:57
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