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Plein Droit
n° 43, septembre 1999
« Outre-mer, autre droit »
Ceux pour qui les TOM
ne sont pas la France
Claire Rodier
juriste, permanente au Gisti
Au moment où était signé à
Nouméa un accord reconnaissant le « traumatisme »
de la colonisation et ouvrant ainsi à la Nouvelle-Calédonie
la voie vers l'indépendance, on apprenait à
l'occasion du débarquement de cent boat people chinois demandeurs
d'asile que le statut des étrangers dans ce territoire
d'outre-mer était régi par des textes datant de l'époque
coloniale. Si de nouveaux textes ont été publiés
depuis, ils ne font que reprendre, pour l'essentiel, les vieilles dispositions.
Si la législation sur les étrangers a nécessité
des aménagements pour pouvoir être « exportée »
dans les départements français d'Amérique, la question
de son application dans les territoires d'outre-mer est tranchée
par l'article 3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 selon lequel
« l'expression "en France" au sens de la présente
ordonnance s'entend du territoire métropolitain et de celui des
départements d'outre-mer ». C'est ainsi qu'en Polynésie
française, à Wallis et Futuna et dans la collectivité
territoriale de Mayotte s'appliquent, au nom du « régime
de spécialité législative », des
textes particuliers en matière d'entrée et du séjour
des étrangers, hérités de l'époque coloniale.
C'est aussi le cas en Nouvelle-Calédonie, où, même
si la loi organique du 19 mars 1999 prévoit que les règles
relatives à l'accès au travail des étrangers relèvent
des nouvelles instances de la Nouvelle-Calédonie [1], l'État reste en revanche compétent pour ce
qui concerne les conditions d'entrée et de séjour (article 21
de la loi).
Dans ces domaines, on continue par conséquent à se référer
au décret du 13 juillet 1937, pris en application d'une
loi du 29 mai 1874 et signé du ministre des colonies, qui
réglemente « l'admission des citoyens français,
des sujets et des protégés français et des étrangers
en Nouvelle-Calédonie ».
Les grandes lignes de ce régime spécifique sont décrites
dans une circulaire
du 22 juin 1998, qui rappelle qu'à l'instar des DOM,
et des autres TOM, l'accès des étrangers pour un séjour
de courte durée en Nouvelle-Calédonie sauf
pour les ressortissants de l'Union européenne et les nationalités
dispensées de visa est subordonné à
l'obtention d'un visa de court séjour, avec consultation obligatoire
du représentant de l'État dans le territoire.
L'exigence de visa concerne également les étrangers
résidant légalement en métropole, leur titre de
séjour ne leur permettant pas de circuler à l'extérieur.
Enfin, le visa Schengen, qui permet aux étrangers de se déplacer
librement dans tous les États signataires de la Convention de
Schengen, n'est pas valable pour les TOM, pas plus d'ailleurs que pour
les DOM. Dans les deux cas, c'est à la préfecture du lieu
de résidence que le visa doit être demandé.
Un visa obligatoire
pour la « colonie »
En ce qui concerne les visas de long séjour, il est bien précisé
par la circulaire qu'aucune nationalité n'en est dispensée.
Elle fait écho au décret de 1937 qui prévoit que
les « étrangers immigrants » (en gros, tous
ceux qui se rendent en Nouvelle-Calédonie pour y travailler, en
qualité de « directeurs, d'employés, de contremaîtres
[...] ainsi que ceux qui viennent y exercer le métier de domestique
ou d'homme de peine », selon l'article 11 du décret)
doivent, pour être admis, « avoir obtenu du gouverneur
l'autorisation de débarquer dans la colonie », autorisation
sollicitée auprès du « consul de France s'ils
habitent leur pays d'origine » ou du « préfet
du département où ils résident s'ils habitent la
France » (décret du 22 juillet 1937, article 12).
Les seules exceptions à ce principe sont issues du traité
de Rome, ou plutôt d'une décision du Conseil des Communautés
européennes datant de 1991 qui veut que les ressortissants communautaires
qui souhaitent s'installer dans un TOM pour y exercer une activité
indépendante (mais ceci ne concerne pas les salariés)
bénéficient, sous certaines réserves, d'un droit
d'établissement et soient donc dispensés de visa de long
séjour.
Le droit au séjour des étrangers en Nouvelle-Calédonie,
comme dans les autres TOM, est totalement dissocié du droit au
séjour en métropole : « Les titres de
séjour délivrés en métropole ou dans un
département d'outre-mer n'ont aucune valeur dans les territoires
d'outre-mer. Ils ne facilitent ni l'entrée ni l'installation
dans un territoire. De même une carte de séjour délivrée
dans un territoire d'outre-mer n'est pas valable dans un autre territoire
ou dans un département d'outre-mer ou métropolitain »
(circulaire du 22 juin 1998).
Sur quels critères obtient-on alors l'autorisation d'y séjourner ?
Condition indispensable : y être entré sous couvert
d'un visa de long séjour car « aucun visa de régularisation
n'est délivré sur place et le visa de court séjour
ne permet d'obtenir aucun titre de séjour et aucune autorisation
de travail », est-il rappelé.
La circulaire énumère ensuite les situations prises
en compte. Il faut : soit justifier d'un lien de parenté
au premier degré avec un Français, qui réside effectivement
sur le territoire - le fait d'être conjoint d'un ressortissant
français ne dispensant pas de l'obligation de détenir
un visa de long séjour ; soit détenir un titre de
propriété foncière sur le territoire ; soit
y avoir une perspective d'emploi (sachant que les demandes d'emploi
sont examinées au regard de la situation locale) ; soit
enfin disposer de revenus permettant de séjourner sur le territoire
sans y travailler. Il faut en outre justifier de garanties de rapatriement
et d'une couverture sociale.
Des textes poussiéreux
face au droit international
La circulaire ne précise pas la façon dont est formalisé
le droit reconnu aux étrangers de séjourner dans un TOM.
En ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, le décret de 1937
prévoit qu'un certificat d'immatriculation dont le modèle
est arrêté par le gouverneur est délivré aux
immigrants, valable pour une période de cinq années et « pouvant
être retiré aux titulaires qui négligent de se conformer
à la réglementation en vigueur sur les étrangers
ou qui cessent d'offrir les garanties requises » (décret
du 13 juillet 1937, article 26).
Il faut en convenir, la situation des étrangers dans les TOM
fait rarement l'actualité. Il a fallu que se déroule à
Nouméa, au printemps 1998, une répression d'une rare violence
contre des boat people chinois qui avaient demandé l'asile en
Nouvelle-Calédonie pour que l'opinion s'aperçoive que
les droits de l'homme ne se déclinent pas de la même façon
sur tout le territoire de la République [2]. Ce fut aussi l'occasion d'exhumer des textes poussiéreux
et de s'interroger sur leur compatibilité avec les principes
que la France s'est engagée, au plan international, à
respecter.
On se rappelle que ce sont plus de cent boat people qui ont accosté
à bord de bateaux hors d'âge non loin de Nouméa,
en novembre 1997. Sans doute n'avaient-ils pas vraiment choisi
la Nouvelle-Calédonie comme terre d'exil ; une chose paraissait
sûre, c'est qu'ils ne voulaient pas être refoulés
en Chine, d'où ils venaient. Saisi de leur demande d'asile, le
directeur de l'OFPRA répondait que la loi du 25 juillet
1952 (portant création de l'Office) ne s'appliquant pas en Nouvelle-Calédonie,
il ne jouait aucun rôle dans l'examen de cette demande.
C'est donc le représentant de l'État sur le territoire
qui devait être en charge de l'instruction « à
la lumière des principes à valeur constitutionnelle et
des engagements internationaux de la France », comme le
précisait le ministère de l'intérieur. Certes,
mais en attendant l'issue de cet examen, tardivement concédé
par les autorités deux mois après l'arrivée des
Chinois, ceux-ci furent détenus dans des locaux de la gendarmerie.
Détention qualifiée de rétention abusive par les
associations mobilisées par cette situation inhabituelle, qui
se référaient aux principes constitutionnels et à
la Convention de Genève. Simple application du décret
du 1937, rétorquaient les autorités françaises.
Celui-ci, c'est vrai, prévoit que les « immigrants »
non admis en Nouvelle-Calédonie doivent être consignés
à bord des bateaux qui les a convoyés en attendant leur
rapatriement ; par mesure de sécurité due à
l'état des bateaux, le lieu de cette consignation avait simplement
été déplacé...
Face à cette logique imparable, l'Anafé (Association
nationale d'aide aux frontières pour les étrangers) demandait
alors au Premier ministre d'abroger, en raison de leur inconstitutionnalité
manifeste, deux articles du fameux décret, qui traitent des conditions
d'entrée des étrangers sur le territoire et de leur consignation
en cas de refus d'admission.
Le Premier ministre n'ayant pas donné suite à cette
demande, l'affaire est désormais devant le Conseil d'État.
Entretemps, il a été heureusement mis fin à la
consignation des boat people, après que les autorités
françaises aient tenté, dans des conditions innommables,
de les expulser manu militari, puis finalement décidé,
sous la pression de l'opinion, de les admettre sur le territoire.
Quoiqu'il en soit, le gouvernement français ne doit pas être
aussi convaincu qu'il y paraît du bien-fondé de son argumentation :
la loi sur le droit d'asile de 1952 a en effet été modifiée
par l'article 31 de la loi
du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie
pour en étendre le champ de compétence à ce territoire,
et un décret
du 21 juin 1999 relatif à l'asile en Nouvelle-Calédonie
vient compléter le dispositif.
Quant aux dispositions du décret de 1937 concernant les conditions
exigées des étrangers pour l'accès au territoire,
elles ont fait l'objet, le 15 mars 1999, d'une instruction du secrétaire
d'État à l'outre-mer, qui en limite l'application...
(De plus, le décret n°99-849
du 27 septembre 1999 (JO du 2 octobre 99), est venu étendre
à la Polynésie française, aux îles Wallis
et Futuna et à Mayotte le décret n°53-377 du 2 mai
1953 relatif à l'Office français de protection des réfugiés
et apatrides.)
Notes
[1] Voir, dans ce numéro,
Danièle Lochak L'indépendance des peuples contre la
liberté de circulation ?
[2] cf. Plein Droit
n° 38, avril
1998, p. 57
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Dernière mise à jour :
23-10-2001 16:52
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