Plein Droit n° 38, avril
1998
« Les faux-semblants de
la régularisation »
Le point de vue sur l'actualité de la Commission diocésaine
« Justice à Paris »
Avant toutes autres considérations, il nous faut voir, dans
ces événements, l'expression d'êtres humains blessés
dans leur dignité, désespérés par une trop
longue attente et ne voyant plus d'issue favorable à leur situation.
Comment, dès lors, ne pas craindre que le mouvement des « sans-papiers »
leur mouvement ne soit utilisé
par des partisans du tout ou rien.
Le ministre de l'intérieur évalue à 300 000
personnes une estimation inchangée depuis plusieurs
années le nombre des étrangers en situation
irrégulière en France (Le Monde du 18 mars 1998,
p. 9) ; 150 000 d'entre eux ont pris le risque de sortir
de l'ombre à l'occasion de la circulaire signée de M. Chevènement,
le 24 juin 1997, concernant le « réexamen de certaines
catégories d'étrangers en situation irrégulière ».
Fin février 1998, 62 000 dossiers avaient été
examinés par les préfectures, se partageant entre 32 344
régularisations, 30 353 rejets visant surtout des hommes
seuls, sans charge de famille en France.
Voilà les chiffres, sachant que, sauf probablement pour Paris
et Saint-Denis, en raison du nombre important des demandes déposées
dans ces préfectures, l'examen des dossiers sera clos le 30 avril
1998. Rappelons que la date limite de dépôt, sauf pour
de rares catégories, était le 31 octobre 1997.
Derrière ces chiffres, des visages d'hommes, de femmes et d'enfants
qui n'ont pas quitté leur pays de gaieté de cur,
mais que nous pouvons comparer à ces aventuriers, au sens noble
de ce terme. Ils ont pris le risque de l'exil pour une existence meilleure,
non seulement pour eux-mêmes, mais pour ceux restés au
pays : parents, femmes, enfants, villages... Une aventure risquée,
certes, mais une aventure qui force l'admiration. Une question
de dignité humaine en définitive.
Lorsque la porte ouverte se referme pour beaucoup... beaucoup trop,
on comprend que cela soit ressenti comme une immense déception
et même comme une injustice par des personnes qui ont fait la
preuve de leur capacité à s'insérer professionnellement
et socialement dans notre pays.
Que l'occupation des églises nous dérange, soit. Que
les autorités du diocèse de Paris ne puissent accepter
la violence qui est ainsi faite à l'Église, cela peut
se comprendre.
Mais demeure que l'Église aujourd'hui ne peut laisser au bord
du chemin ceux qu'elle a accompagnés jusqu'ici, notamment dans
les quatre lieux d'accueils mis en place par « Solidarité
migrants », avec le Secours catholique, le SITI, le CCFD,
les Équipes Saint-Vincent et Justice à Paris.
Que vont devenir ceux à qui l'on a fermé notre porte
après avoir fourni à l'administration les renseignements
justifiant de tout leur parcours administratif et professionnel depuis
leur entrée, le plus souvent régulière, sur le
territoire français ? De plus, l'opinion risque fort de
demander des comptes quant à l'efficacité des « invitations
à quitter le territoire » pour des « sans-papiers »
devenus officiels.
À l'heure où le gouvernement annonce la mise en uvre
d'une véritable politique de codéveloppement, pourquoi
ne pas permettre à des hommes sans charge de famille d'aider,
par leur importante contribution financière, à collaborer
à ce codéveloppement au travers d'associations qu'ils
ont eux-mêmes créées ? [1]
Prenons garde enfin, à l'heure où les pouvoirs publics
font évacuer les églises à Paris, que notre silence
ne soit récupéré par ceux qui se font les adeptes
d'une préférence nationale qui cache mal une xénophobie
inacceptable par la conscience chrétienne.
Le 2 avril 1998
Notes
[1] Selon la Banque de France,
en 1995, les transferts de fonds des immigrés résidant
en France s'élèvent à 13 684 milliards
de francs (5 906 pour le Maroc ; 2 580 pour l'Algérie ;
665 pour la Tunisie ; 214 pour le Sénégal ;
62 pour le Burkina Faso ; 49 pour le Mali). À quoi il faut
ajouter 6 milliards de francs envoyés directement par quelque
2 millions d'immigrés en France (cf. Migrations
société, la revue du CIEMI, vol. 10, n° 56, mars-avril 1998).
Dernière mise à jour :
25-02-2002 17:23
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