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Plein Droit n° 38, avril 1998
« Les faux-semblants de la régularisation »

Au nom de l'intérêt supérieur
de l'enfant...

À propos de la convention internationale
sur les droits de l'enfant

La Convention internationale sur les droits de l'enfant, ratifiée par la France et entrée en vigueur le 6 septembre 1990, n'avait jusqu'à présent jamais été considérée d'« effet direct », c'est-à-dire applicable directement par les juridictions françaises. Dans une décision capitale, le Conseil d'État s'est prononcé récemment en sens inverse et a annulé un refus de séjour au nom de l'« intérêt supérieur de l'enfant ».

« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale » (art. 3-1 de la Convention de New York relative aux droits de l'enfant.

Par sa décision du 22 septembre 1997, le Conseil d'État a accepté, pour la première fois, de censurer un refus de séjour en se fondant sur la violation de cet article.

Cette importante décision a été rendue sur le recours formé par Mlle CINAR, ressortissante turque, contre la décision du préfet de la Moselle refusant d'autoriser le séjour en France de son enfant âgé de quatre ans au titre du regroupement familial. Pour justifier son refus, la préfecture invoquait, comme l'exige l'article 29-1 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, la présence en France de l'enfant au moment où la mère a déposé sa demande.

Celle-ci a soutenu devant le juge administratif que contraindre son fils en bas âge à se séparer d'elle, ne serait-ce que l'espace de quelques mois, alors même qu'il n'a plus d'attaches familiales dans son pays d'origine et qu'il est scolarisé en France était incompatible avec l'intérêt supérieur de l'enfant tel qu'il est entendu par la Convention de New York.

Le Conseil d'État lui a donné raison en soulevant deux questions essentielles.

Tout d'abord, dans la mesure où le juge administratif contribue, d'une certaine manière, à contourner les effets pervers de l'application rigide de la réglementation sur le regroupement familial, on peut se demander si l'arrêt CINAR ne marque pas l'amorce d'une politique jurisprudentielle plus audacieuse de la part du Conseil d'État.

Revirement de jurisprudence

Ensuite, celui-ci opère un revirement de jurisprudence, en acceptant de contrôler la légalité du droit au séjour d'un mineur au regard de la Convention sur les droits de l'enfant, dont il convient de mesurer la portée. À l'instar de la Cour de cassation, la juridiction administrative avait, jusqu'à présent, dénié tout effet direct à cette Convention.

Les dispositions de l'ordonnance du 2 novembre 1945 excluent du bénéfice du regroupement familial les membres de famille qui se trouvent déjà en France de façon durable.

Faire de la localisation une condition substantielle du droit au regroupement constitue une iniquité qui n'est justifiée par aucune considération d'ordre public et produit une conséquence dont l'inutilité est démontrée, celle de contraindre les membres de famille à être séparés. Peu importe alors que toutes les autres conditions posées pour l'exercice de ce droit soient remplies.

Le juge administratif a accepté, sans trop de réticence, de contrôler la légalité d'un refus de séjour, dans le cadre du regroupement familial, au regard de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit le respect de la vie privée et familiale. Toutefois, il lui a donné une portée limitée. Il a en effet considéré que la disposition conventionnelle n'a pas à être mise en œuvre, et que le refus de séjour, en raison de la présence sur le territoire national des membres de famille, est légalement justifié dans la mesure où ceux-ci peuvent ultérieurement bénéficier d'une autorisation d'entrée et de séjour en France au titre du regroupement familial ou dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'ils sont dans l'impossibilité de s'établir ailleurs qu'en France.

Dans l'arrêt CINAR, le Conseil d'État a ainsi jugé que l'atteinte portée au droit au respect de la vie familiale de la mère du jeune Tolga, qui résultait de la séparation d'avec son fils, n'était pas excessive.

En revanche, il a considéré que la décision préfectorale violait la Convention sur les droits de l'enfant dont le champ d'application est en apparence moins étendu que le texte européen.

La première ne protège en effet, a priori, que le droit de l'enfant, son « intérêt supérieur », alors que le second consacre notamment le droit, pour des conjoints, de vivre ensemble et celui, pour un enfant et un parent, d'être ensemble dans le cadre du regroupement familial.

L'administration ne porte cependant pas atteinte à la vie privée des destinataires potentiels du texte européen, s'il est démontré que la famille peut se reconstituer en dehors du territoire français, fût-ce de façon partielle.

Il en est de même de l'exercice du droit au regroupement familial.

Le refus de la préfecture n'est que temporaire puisqu'il correspond au fait que le demandeur ne remplit pas, à un moment donné, les conditions exigées par l'ordonnance du 2 novembre 1945. Il ne s'agit donc pas de lui interdire de faire venir sa famille, mais d'ajourner sa demande jusqu'à ce qu'il satisfasse aux exigences de la loi.

En pratique, il pourra être rejoint par les siens lorsqu'il trouvera un emploi stable, un logement suffisamment grand pour y loger sa famille...

Bref, quand il aura obtenu, à la lumière de ces conditions, l'autorisation de la faire venir.

La protection que peut alors offrir la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme paraît bien limitée, voire empreinte d'hypocrisie. La jurisprudence ne prend en compte ni la réalité du marché de l'emploi avec le développement des emplois précaires, ni la difficulté d'obtenir un logement social ou à loyer modéré.

Par ailleurs, les destinataires de cette protection ne sont pas forcément plus nombreux que ceux couverts par la Convention de New York, malgré son intitulé. Rien ne semble en effet empêcher le parent d'un enfant mineur, dans le cadre de la protection offerte par cette dernière Convention, de l'invoquer afin de faire obstacle à une mesure de refus de séjour ou d'éloignement le concernant.

Le droit de ne pas être séparé
de ses parents

Selon la jurisprudence CINAR, relève de l'intérêt supérieur de l'enfant le droit, pour un mineur, de ne pas être séparé de ses parents.

Par conséquent, l'enfant ou son parent à qui est refusé le bénéfice du regroupement familial, ne devait pas nécessairement être contraint de quitter le territoire (pour y revenir peu de temps après), uniquement pour satisfaire à la condition de localisation imposée par l'ordonnance de 1945.

On ne saurait pour autant déduire de cette décision un principe général sur le droit au regroupement familial dès lors qu'un enfant est concerné ou, plus exactement, que la séparation d'un enfant d'avec ses parents est encourue. L'existence d'un tel principe conduirait systématiquement à empêcher la mise en œuvre du droit national qui exclut toute régularisation sur place.

Le Conseil d'État entend, en effet, poser des exigences pour se réclamer de la protection de la Convention de New York.

Dans l'affaire CINAR, il a considéré que c'est l'absence de famille proche prête à l'accueillir dans de bonnes conditions, dans son pays d'origine, qui fait du refus de séjour opposé au jeune Tolga un acte contraire au droit protégé par l'article 3-1, quand bien même aurait-il porté — momentanément — atteinte au lien unissant Tolga à sa mère.

A contrario, si l'enfant avait eu un parent capable de le recevoir en Turquie, on peut supposer que le juge administratif aurait estimé que le refus de séjour n'était pas illégal au regard de la Convention internationale.

Malgré ces limites, cette jurisprudence permet d'invoquer la rupture provisoire du lien entre un étranger et son enfant provoquée par une décision préfectorale, rupture susceptible en elle-même de porter atteinte à l'intérêt supérieur de ce dernier.

Il ne reste plus à la Cour de cassation, à l'instar du Conseil d'État, qu'à reconnaître un effet direct à la Convention relative aux droits de l'enfant, ce qu'elle refuse de faire pour l'instant, en considérant que « ce texte, qui ne crée d'obligations qu'à la charge des États, ne saurait être invoqué directement devant les juridictions nationales... ».

Les raisons qui la conduisent à s'attacher à une telle position sont contestables. Certaines Cours d'appel, notamment en matière d'adoption, ont d'ailleurs reconnu cet effet direct.

L'arrêt CINAR amènera-t-il la Cour de cassation à revoir sa jurisprudence ? Si tel devait être le cas, on pourrait espérer quelques évolutions sur le droit aux allocations familiales dénié aux enfants entrés en dehors de la procédure de regroupement familial.

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Dernière mise à jour : 11-06-2002 12:32 .
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/plein-droit/38/enfant.html


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