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Plein Droit
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Plein Droit n° 32, juillet 96 - Sans frontières ? Un dogme à réviserEdito Le choix fait par le gouvernement d'opposer la force aux revendications des « sans papiers » de Saint-Ambroise, venant après les propositions extrémistes du rapport Sauvaigo et de l'avant-projet de loi Debré, aura eu au moins deux effets positifs. D'une part elle a fini par provoquer un sursaut dans une certaine partie de l'opinion, qui prend tout à coup conscience des conséquences intolérables d'une politique de plus en plus répressive. D'autre part elle aura achevé de nous convaincre que, face à cette escalade sans fin de la répression, une attitude purement défensive n'est plus possible, et qu'il est désormais urgent d'explorer des solutions alternatives à la fermeture des frontières qui tient lieu de politique d'immigration depuis plus de vingt ans.La fermeture des frontières est en effet devenue une sorte de dogme intouchable que personne n'ose contester de peur d'être taxé d'irresponsabilité. Mais précisément, nous ne pouvons plus continuer à dénoncer les dérives de la politique d'immigration, les violations toujours plus graves des droits fondamentaux qu'elle engendre, la corruption de la démocratie sous l'effet de la délation et de la suspicion, sans accepter de questionner les dogmes, de remettre en cause ce qui est à la racine même de ces dérives. Inlassablement, nous dénonçons les atteintes portées au droit de vivre en famille, l'étranglement progressif du droit d'asile, la violation des procédures prévues par la loi, le caractère inhumain des pratiques administratives, l'amalgame entre clandestins et irréguliers. Mais ce discours a ses limites. D'abord parce qu'il entérine, au moins par ses silences, l'idée d'un partage entre deux catégories d'étrangers : ceux qui ont un droit légitime à se maintenir en France et ceux qui n'en ont pas. Simplement nous ne faisons pas passer la ligne de partage entre les uns et les autres au même endroit que les hommes politiques qui définissent la politique d'immigration et les fonctionnaires qui l'exécutent. Pire encore : en soutenant de façon prioritaire, sans doute parce que c'est la plus aisée à faire admettre comme légitime par l'opinion publique, la revendication du droit de vivre en famille, nous entérinons une hiérarchie fondée sur un critère idéologique qui survalorise le modèle familial le plus traditionnel fondé sur le mariage modèle que nous récusons éventuellement pour nous-mêmes , et qui conduit inexorablement à sacrifier l'étranger célibataire ou vivant en union libre dépourvu d'enfants. Ce discours a aussi ses limites parce qu'il nous place face à nos propres contradictions. En effet, si l'on admet que tous les étrangers n'ont pas vocation à rester en France, peut-on refuser à l'administration le droit de reconduire à la frontière ceux qui sont en situation irrégulière et si nécessaire de les maintenir en rétention sans s'exposer à l'accusation d'angélisme ou pire d'hypocrisie ? La gauche au pouvoir a cru pendant un temps qu'on pouvait poursuivre l'objectif de la maîtrise des flux migratoires d'une façon humaine et respectueuse des droits de l'homme. L'expérience a montré qu'une fois qu'on est entré dans une logique de la répression, il est difficile de s'arrêter en chemin et que, très vite, celle-ci prend le pas sur le respect des droits des personnes. Il faut donc tirer la leçon de l'expérience. Si nous voulons que notre discours soit crédible, si nous voulons convaincre l'opinion qu'une autre politique est possible, il est urgent de sortir de la problématique imposée qui considère comme inéluctable la fermeture des frontières : il faut avoir le courage de poser l'ouverture des frontières comme une hypothèse non pas irréaliste ou irresponsable, mais qui mérite d'être véritablement prise au sérieux. C'est à cette condition, d'abord, que la liberté de circulation, la liberté de chacun de vivre où il veut, avec qui il veut, pourra être réaffirmée comme un droit fondamental de l'homme, qui ne doit pas être systématiquement sacrifié aux prérogatives souveraines et aux politiques protectionnistes des États. Sous prétexte de réalisme, on a eu trop tendance à l'oublier. Aujourd'hui où tout circule : les marchandises, les capitaux, les informations, les idées..., comment admettre que seuls les hommes ne puissent pas circuler librement ? L'hypothèse de l'ouverture des frontières paraît d'ailleurs moins irréaliste dès lors qu'on se donne la peine de rappeler les mensonges sur lesquels repose la politique dite de fermeture des frontières, ses contradictions et ses effets pervers :
Ainsi, non seulement l'ouverture des frontières doit être considérée comme une hypothèse réaliste, mais on peut même se demander, plus radicalement encore, s'il y a une alternative à l'ouverture des frontières. Certes, pas plus que la fermeture des frontières, l'ouverture des frontières étendue bien entendu au moins à l'ensemble de l'Europe ne peut tenir lieu à elle seule de politique. Mais elle indique la perspective dans laquelle il convient de penser les problèmes de l'immigration. La réflexion est encore balbutiante. Mais c'est une raison supplémentaire pour la mener avec détermination.
Dernière mise à jour :
27-08-2000 18:04. |