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Droit n° 21, juillet-septembre 93
Les étrangers sous surveillance policière
Une, deux, trois lois Pasqua
Edito
Pasqua était prêt à faire passer son texte en force :
il n'a même pas eu besoin de jouer des coudes, puisque tous ceux
qui auraient pu s'opposer à lui ont capitulé sans combattre.
Simone Veil s'est émue d'un amendement Marsaud assurément
déplaisant dans sa formulation et symboliquement lourd de sens,
mais dont l'adoption n'aurait pas changé grand chose aux pratiques
policières sur le terrain et qui n'avait au demeurant pas la moindre
chance de passer le cap de la censure du Conseil constitutionnel ;
de sorte que cette émotion a surtout confirmé, a contrario,
que le ministre des Affaires sociales, en charge des banlieues, de la
famille, de la santé, et de l'intégration, ne trouvait rien
à redire au reste du projet. Le rapporteur de la commission des
lois à l'Assemblée nationale a fait de son mieux pour réintroduire
dans le texte un minimum de garanties, mais il devait être bien
isolé si l'on en juge par les résultats. Claude Malhuret
a rapidement fait taire ses états d'âme une fois que le gouvernement
plus sensible peut-on penser aux remontrances de l'ordre des médecins
qu'à celles de l'ancien président de Médecins sans
frontières et ex-secrétaire d'Etat aux droits de l'homme
eut accepté de supprimer la condition de régularité
du séjour pour l'aide médicale à domicile (qui reste
quand même subordonnée, notons-le au passage, à une
condition de résidence de trois ans...). Quant aux socialistes,
mieux vaut faire le silence sur leur attitude, histoire de ne pas désespérer
le petit nombre de ceux qui, parmi eux, ont encore à coeur de défendre
quelques principes.
Le combat n'ayant pas été livré, on ne peut donc
même pas parler de victoire de Pasqua. Il n'en demeure pas moins
que ce texte signe la défaite de l'Etat
de droit et qu'il déshonore ceux qui l'ont conçu, ceux
qui l'ont voté, et finalement l'ensemble de la société
française qui n'a pas voulu ou n'a pas su empêcher qu'il
soit adopté.
Non seulement, en effet, les dispositions nouvelles marquent une régression
spectaculaire de la condition des étrangers en France, mais on
y lit en filigrane une philosophie implicite qui postule que les étrangers
autres que communautaires, bien sûr, Europe oblige...
n'ont aucun droit à être en France ni à y demeurer,
qu'ils ne peuvent par conséquent y jouir d'aucune autre protection
que celle que l'on consent, discrétionnairement, par pure bonté
d'âme, à leur accorder, et que la précarité
reste donc l'essence même de leur condition.
Venant après les modifications apportées au code de
la nationalité et au régime des contrôles d'identité,
la réforme de l'ordonnance
de 1945 aura pour conséquence qu'aucun étranger ne
pourra se sentir réellement en sécurité sur le
territoire français. Elle entraînera en effet :
- l'insécurité pour tous les jeunes nés ou ayant
grandi en France, dont le sort sera désormais incertain et
qui n'auront plus aucune assurance de pouvoir vivre durablement en
France, surtout s'ils se sont rendus coupables d'un délit quelconque ;
- la précarisation de tous ceux qui risquent de se voir refuser
ou retirer leur titre de séjour pour une raison ou pour une
autre, laissée à l'appréciation arbitraire et
sans contrôle de l'administration ;
- la restriction brutale de droits aussi fondamentaux que celui de
se marier et de vivre en famille ;
- la dénégation du droit aux soins et à un minimum
de revenus à toute personne qui n'est pas ou n'est plus en
possession d'un titre de séjour, même si elle a travaillé
et cotisé à la sécurité sociale ;
- la mort programmée du droit d'asile, dès lors que
la possibilité de déposer une demande à l'OFPRA
sera subordonnée à une admission préalable au
séjour décidée par le ministre de l'Intérieur
ou les préfectures, sans aucune possibilité de recours ;
- le renforcement de l'Etat policier, dont le souci obsessionnel de
« l'ordre public » et les contrôles d'identité
représentent l'aspect le plus spectaculaire, mais qui se manifeste
plus fondamentalement dans l'adhésion à une logique
de la suspicion généralisée.
Déshonorants, les textes adoptés seront au demeurant
inefficaces pour atteindre les objectifs que le gouvernement prétend
poursuivre :
- La sécurité ?
Elle n'est pas spécifiquement menacée par les étrangers
en situation irrégulière.
- L'identité nationale ?
A supposer qu'elle soit véritablement affaiblie et qu'il soit
urgent de la renforcer ce qui reste à démontrer
, ce n'est pas en mettant des obstacles, symboliques et juridiques,
à l'accès à la nationalité française
de ceux qui se sentaient ou se croyaient déjà Français
parce qu'ils sont nés en France qu'on y parviendra.
- La lutte contre le travail clandestin ?
Qui peut croire sérieusement qu'on en viendra à bout
sans agir prioritairement contre les entreprises qui embauchent les
étrangers en situation irrégulière ?
- La diminution du nombre des « clandestins » ?
Là non plus la loi n'apporte pas les bonnes réponses,
car si elle permettra sans doute, grâce au renforcement d'un
arsenal répressif déjà impressionnant, d'améliorer
le taux d'exécution des mesures de reconduite à la frontière
mais à quel prix ! , elle créera
simultanément de nouveaux clandestins, par l'effet mécanique
des restrictions mises à la délivrance des titres de
séjour qui feront basculer dans l'irrégularité
des milliers de personnes auxquelles les textes donnaient jusque là
un droit à demeurer en France, notamment en raison de leurs
attaches familiales ou personnelles dans notre pays.
Ces textes, enfin, sont dangereux :
- dangereux parce que la polarisation de l'action gouvernementale
sur la question de l'immigration ne peut qu'accréditer dans
l'opinion l'idée que les étrangers sont fondamentalement
des intrus sur le territoire national, une source de danger potentiel,
et la cause des maux dont souffrent actuellement la France et les
Français, au risque d'attiser les pulsions xénophobes
et racistes ;
- dangereux parce que, plaçant l'ensemble de la population
immigrée, et en particulier la fraction la plus exposée
et fragile de cette population, à savoir les jeunes, dans une
situation de précarité et d'insécurité
accrues, ils ne peuvent qu'accroître les phénomènes
d'exclusion et de marginalisation et susciter un sentiment de révolte
chez ceux que l'on prétend vouloir intégrer ;
- dangereux, enfin, parce que, sous couvert de lutter contre l'immigration
clandestine et l'insécurité, ils organisent la mise
en place progressive d'un système répressif et policier
dont nous aurons tous, nationaux inclus, à subir les conséquences.
Pensons à ce que signifient l'intensification des contrôles
d'identité ou l'accès des caisses de sécurité
sociale aux fichiers de police pourquoi pas, demain, des directeurs
d'école ou des employeurs ? Et comment accepter l'immixtion
des maires et des parquets dans la vie intime des gens, sous couvert
de vérifier que le mariage n'est pas envisagé en vue
d'atteindre un « résultat étranger à
l'union matrimoniale » ? A qui reviendra-t-il, dans
le silence du code civil, de déterminer les raisons pour lesquelles
il est légitime de convoler en justes noces et les raisons
pour lesquelles il ne l'est pas ?
Autant de questions, parmi d'autres, que personne ne s'est avisé
de poser tout au long de ce qui n'aura été qu'un simulacre
de débat.
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Dernière mise à jour :
27-08-2000 17:48.
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