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Plein Droit
n° 20, février 1993
Europe : un espace de « soft-apartheid »
Police des étrangers et droit
au respect de la vie familiale
Jurisprudence des organes
de la Convention européenne des droits de l'homme
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La Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
ne garantit comme tel aucun droit pour un étranger d'entrer ou
de résider dans un pays déterminé, ni le droit
de ne pas être expulsé d'un pays donné.
Si, en cette matière, les Etats contractants disposent d'un
pouvoir discrétionnaire de principe, ceux-ci « n'en
ont pas moins accepté de restreindre le libre exercice des pouvoirs
que leur confère le droit international général,
y compris celui de contrôler l'entrée et la sortie des
étrangers, dans la mesure et la limite des obligations qu'ils
ont à assumer en vertu de la Convention » [1].
L'article 8
Dès lors, selon une jurisprudence constante, l'exclusion d'une
personne d'un pays où vit sa proche famille peut poser problème
au regard de l'article 8 de la Convention ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie
privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».
« 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité
publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence
est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans
une société démocratique, est nécessaire
à la sécurité nationale, à la sûreté
publique, au bien-être économique du pays, à la
défense de l'ordre et à la prévention des infractions
pénales, à la protection des droits et libertés
d'autrui ».
En raison de l'économie de cet article, les instances conventionnelles,
appelées à en appliquer les dispositions, suivent un raisonnement
en trois phases :
-
Il faut d'abord apprécier, à la lumière d'un
faisceau de critères, précédemment dégagés
selon une méthode d'interprétation réaliste
et évolutive, si les rapports invoqués relèvent
de la notion de vie familiale.
-
Puis, à supposer que l'article 8 soit applicable, il
convient, en tenant compte de la marge d'appréciation dont
les Etats-parties jouissent dans ce domaine, de déterminer
les conditions dans lesquelles la mesure incriminée est susceptible
de s'analyser en une ingérence dans l'exercice du droit au
respect de la vie familiale.
- Enfin, si une ingérence est établie, les organes de
la Convention en apprécient la licéité au regard
des exigences de légalité, légitimité
et nécessité, énoncées au paragraphe 2
de l'article 8.
Le contrôle de la nécessité de la restriction en cause
implique une pesée minutieuse et circonstanciée des intérêts
général et privé en jeu.
Il s'agit alors de suivre la démarche intellectuelle adoptée
au fil des affaires par la Commission et la Cour dans l'interprétation
et l'application des dispositions de l'article 8 aux décisions
de haute police.
Notion de vie familiale
Les organes de la Convention ont, de cette question, une approche particulièrement
concrète. Dès lors, la notion de vie familiale, au sens
de l'article 8 de la Convention, a nécessairement un contenu
à géométrie variable et dynamique en fonction, notamment,
des nouveaux modes de vie en famille.
Tant la Commission que la Cour estiment que la vie familiale « englobe
pour le moins les rapports entre proches parents lesquels peuvent y
jouer un rôle considérable, par exemple entre grands-parents
et petits-enfants » [2].
Encore faut-il qu'il existe, en plus de la parenté par le sang,
certains liens entre les personnes pour que leurs relations puissent
être considérées comme représentant une vie
familiale [3].
Au nom de cet élément d'effectivité, les rapports
entre un homme et une femme non mariés vivant ensemble peuvent
ressortir au concept de vie familiale [4].
En effet, pour se prononcer sur l'absence ou l'existence de la vie
familiale, la commission recherche, par exemple, si les personnes vivent
effectivement ensemble et s'il existe entre elles un rapport de dépendance
pécuniaire [5].
En l'absence de ces éléments de fait ou de l'un d'eux,
cette instance a refusé la protection de l'article 8 aux
rapports entre un oncle et son neveu adoptif [6],
entre une femme mariée âgée de 26 ans et ses
parents [7], entre un fils adulte
et son père [8], ou sa mère [9].
Il ne s'agit pas pour autant de critères nécessairement
déterminants. Ces standards, même s'ils sont souvent importants,
sont pris en considération parmi bien d'autres éléments
pour estimer l'existence de liens familiaux [10].
Dans l'arrêt BERREHAB [11],
la Cour a considéré, en accord avec une jurisprudence
constante de la Commission, que la vie commune n'était pas un
élément indispensable pour qu'il existe une vie familiale
entre parents et enfants mineurs.
Du fait même de sa naissance, l'enfant issu d'un mariage légal
et non fictif s'insère dans la relation familiale existant entre
ses parents. Même si ceux-ci ne cohabitent pas alors, il existe
entre lui et ses parents un lien constitutif d'une vie familiale.
En l'espèce, Monsieur BERREHAB, ressortissant marocain, n'avait
jamais vécu avec sa fille née, pendant la procédure
de divorce, de son union avec son épouse néerlandaise.
Toutefois, jusqu'à son expulsion, consécutive au refus
de renouvellement de son titre de séjour, le père avait
eu des contacts réguliers et fréquents avec son enfant.
La Commission [12] d'abord, puis
la Cour, ont donc estimé que le lien de vie familiale entre eux
ne s'était pas brisé.
Par raisonnement analogique, la Commission a étendu cette analyse
aux relations entre un parent non gardien et son enfant naturel [13].
Dans les affaires MOUSTAQUIM c/ Belgique [14]
et DJEROUD c/ France [15],
ayant pour objet l'expulsion de migrants de la seconde génération,
la Commission a pris en considération tout élément
de fait permettant d'établir qu'en dépit des fugues, incarcérations
ou éloignements forcés des intéressés, les
liens familiaux n'avaient pas été rompus.
Ainsi ont été retenus, entre autres indices pertinents
d'une vie familiale effective, les démarches de diverse nature
accomplies par les familles dans l'intérêt de leurs proches
en vue d'obtenir la reconstitution de l'unité familiale, ou encore
le fait, bien que répréhensible, que le requérant
ait enfreint, à plusieurs reprises, l'arrêté d'assignation
à résidence pour se rendre dans sa famille.
En principe, l'article 8 garantit l'exercice d'une vie familiale
déjà existante. Néanmoins, dans l'affaire ABDULAZIZ,
CABALES et BALKANDALI [16], la
Cour a estimé que « il n'en résulte pourtant
pas que toute vie familiale projetée sorte entièrement
du cadre de l'article 8 »... « Quoi
que le mot « famille » puisse désigner par
ailleurs, il englobe la relation née d'un mariage légal
et non fictif... ».
Existence d'une ingérence
Le refus de délivrance ou de renouvellement de titre de séjour
à un étranger n'emporte violation de l'article 8 de
la Convention que si la mesure de haute police compromet décisivement
la possibilité de vie familiale de l'intéressé.
Il n'est est pas ainsi lorsqu'aucun obstacle juridique ou d'une autre
nature n'empêche la reconstitution de la cellule familiale dans
le pays de destination.
La Commission examine chaque situation « en tenant compte
de facteurs comme la relation de l'un des intéressés avec
ce pays, leur niveau d'intégration dans l'Etat où ils
résident, l'âge des enfants, la lourdeur des conséquences
économiques et culturelles pouvant résulter de leur éloignement
du lieu de séjour... » [17].
La Commission prend également en considération la précarité [18]
ou l'irrégularité [19]
du séjour de l'étranger lorsqu'il a noué dans le
pays d'accueil les liens de famille allégués.
Dans l'affaire ABDULAZIZ, CABALES et BALKANDALI, les requérantes,
établies au Royaume-Uni légalement et à demeure,
se plaignaient de s'y voir privées ou menacées d'être
privées de la compagnie de leurs conjoints, non autorisés
à y rester avec elles ou à les y rejoindre en qualité
de mari. Après avoir souligné que les intéressées
n'avaient contracté mariage qu'une fois établies dans
ce pays en tant que célibataires, la Cour a déclaré
que « l'article 8 ne saurait s'interpréter
comme comportant pour un Etat contractant l'obligation générale
de respecter le choix par des couples mariés de leur domicile
commun et d'accepter l'installation de conjoints non nationaux dans
le pays ».
En l'espèce, « les requérantes n'ont pas
prouvé l'existence d'obstacles qui les aient empêchées
de mener une vie familiale dans leur propre pays ou dans celui de leurs
maris, ni de raisons spéciales de ne pas s'attendre à
les voir opter pour une telle solution ».
Par contre, dans l'affaire BERREHAB, la Cour a considéré
que le refus de renouvellement du permis de séjour de l'intéressé
et la mesure d'expulsion en résultant constituaient des ingérences
dans le droit du requérant au respect de sa vie familiale, en
l'empêchant pratiquement de garder avec sa fille des contacts
réguliers, pourtant essentiels vu le jeune âge de l'enfant.
L'expulsion d'une personne du territoire d'un Etat où vivent
des membres proches de sa famille peut certainement constituer une violation
de l'article 8.
Sur cette question, le raisonnement adopté par les organes de
la Convention est parallèle à celui développé
plus haut. Il s'agit, à la lumière des circonstances de
la cause, de déterminer si l'étranger expulsé a
raisonnablement la possibilité de recréer sa vie familiale
dans le pays de destination.
A propos de requêtes où la personne expulsée doit
quitter le territoire de l'Etat où elle vit avec son conjoint,
la Commission prend en considération la possibilité, pour
ce dernier, de suivre son époux(se) [20].
Le lien de nationalité du conjoint et/ou des enfants avec le
pays qui ordonne l'expulsion n'est pas un empêchement en soi au
regroupement de la famille sur le territoire d'un autre Etat.
Dans les affaires MOUSTAQUIM c/ Belgique, DJEROUD c/ France
et BELDJOUDI et TEYCHENE c/ France [21],
la Commission a relevé l'intensité des attaches familiales
de ces migrants de la seconde génération dans le pays
d'accueil, leur forte intégration ainsi que celle de leur famille
dans ce pays, et, pour le troisième requérant, l'existence
d'un lien matrimonial de plus de vingt ans entre lui et son épouse
française.
En revanche, dans l'affaire AMGRAR c/ France [22],
relative également à l'expulsion d'un migrant de la seconde
génération, célibataire, sans enfant, dont seulement
quatre de ses surs étaient restées en France les
autres membres de la famille étant retournés en Algérie
la Commission a estimé que la mesure litigieuse ne portait pas
atteinte à la vie familiale de l'intéressé.
Toutefois, elle a considéré que « compte
tenu de la situation particulière du requérant et, notamment,
de sa qualité de migrant de la seconde génération,
de la gravité des problèmes notamment d'insertion, auxquels
il se verra en toute probabilité confronté du fait de
l'expulsion, de ses liens faibles avec l'Algérie et de ses attaches
profondes avec la France, la mesure d'expulsion peut s'analyser en l'espèce
comme une ingérence dans le droit du requérant au respect
de sa vie privée protégé par l'article 8 de
la Convention ».
Licéité de l'atteinte
Les décisions relatives à l'entrée, au séjour
et à l'éloignement des étrangers, portant atteinte
au droit au respect de la vie familiale, répondent en général
à la condition de légalité et poursuivent bien un
ou plusieurs des buts légitimes visés au paragraphe 2
de l'article 8 de la Convention.
S'agissant du refoulement d'un étranger que motive un refus
d'admission ou de séjour, les organes de la Convention soulignent
le lien unissant la politique de contrôle de l'immigration à
la défense de l'ordre public ou à celle du bien-être
économique du pays.
En revanche, l'appréciation de la « nécessité »
de l'ingérence peut poser problème.
Selon une jurisprudence constante, la Convention n'interdit pas, en
principe, aux Etats contractants de régler l'entrée et
la durée du séjour des étrangers. Toutefois, le
critère de « nécessité » implique
une ingérence fondée sur un besoin social impérieux
et notamment proportionnée au but légitime recherché.
Pour que l'ingérence soit justifiée, l'atteinte portée
par la mesure de police à la vie familiale de l'étranger
ne doit pas être excessive eu égard au but légitime
en vue duquel elle a été prise. Néanmoins, s'agissant
des mesures de haute police dictées par une stricte application
de la réglementation de l'immigration, la Commission semble admettre
rarement que les considérations d'ordre familial puissent l'emporter
sur les intérêts de l'Etat défendeur.
Tel n'a pour autant pas été le cas dans l'affaire BERREHAB
où, après avoir estimé qu'un juste équilibre
n'avait pas été assuré entre les intérêts
en jeu, la Cour, en accord avec l'avis de la Commission, a conclu à
la violation de l'article 8.
Quant au but légitime de défense du bien-être économique
du pays, il a été particulièrement retenu que l'intéressé
avait vécu plusieurs années légalement et paisiblement
aux Pays-Bas où il avait logement et travail, avant de se voir
refuser le renouvellement de son permis de séjour, et qu'en outre,
il y avait des attaches familiales effectives : il y avait épousé
une Néerlandaise et de leur mariage était issu un enfant.
Quant à l'ampleur de l'atteinte dans le droit de Monsieur BERREHAB
et de sa fille au respect de leur vie familiale, celle-ci a été
considérée par la Cour comme étant d'autant plus
grave que l'enfant, vu son jeune âge, avait besoin de rester en
contact avec son père.
Pour se prononcer sur le point de savoir si l'expulsion d'un étranger
délinquant ne comporte pas pour l'intéressé des
conséquences disproportionnées avec le but légitime
poursuivi, les organes de la Convention procèdent à la
balance entre la nature et la gravité de l'infraction commise
et l'ampleur de l'atteinte à la vie familiale en tenant compte
de la densité des liens familiaux, mais aussi sociaux et
culturels du requérant avec l'Etat contractant et le pays de
destination.
L'expulsion d'un étranger arrivé à l'âge
adulte dans le pays d'accueil où il a depuis lors tissé
des liens de famille ne paraît pas être justifiée
si l'infraction pénale reprochée n'est pas un délit
grave [23].
Par contre, le refoulement d'un immigrant condamné pour infraction
à la législation sur les stupéfiants peut être
considéré comme une mesure nécessaire à
la défense de l'ordre, à la prévention des infractions
pénales et à la protection de la santé [24].
Contrôle de proportionnalité
Les immigrés de la seconde génération ont toutes
leurs attaches familiales et sociales dans le pays hôte. Ils ne
maîtrisent pas la langue de leur pays d'origine auquel ils ne sont
rattachés que par le lien juridiquement formel de la nationalité.
De l'avis de la Commission, en raison de ces éléments,
la mesure d'éloignement vers ce pays crée une situation
d'une telle rigueur, que ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles
qu'elle pourrait être justifiée comme proportionnée
au but poursuivi selon le paragraphe 2 de l'article 8.
Dans les arrêts MOUSTAQUIM [25]
et BELDJOUDI [26], la Cour, sans
reprendre ces considérants de principe, a néanmoins considéré,
à l'instar de la Commission, que l'expulsion des intéressés
avait constitué ou constituerait une violation du droit de ceux-ci
et de Madame TEYCHENE, épouse BELDJOUDI, au respect de leur vie
familiale au sens de l'article 8 de la Convention. Les requérants
avaient pourtant eu une conduite délinquantielle grave.
Dans ces deux cas, la Cour s'est livrée à un contrôle
de proportionnalité approfondi des intérêts en jeu
dont il convient de reprendre les termes pour s'en approprier le fonctionnement.
Dans l'affaire MOUSTAQUIM, il s'agissait d'un ressortissant marocain,
arrivé en bas âge en Belgique dans le cadre d'un regroupement
familial, et qui, depuis lors, y avait résidé jusqu'à
son expulsion à l'âge de 20 ans.
Au moment de l'arrêté d'expulsion, toute sa famille résidait
dans le pays d'accueil. Trois de ses frères et surs y étaient
nés et l'un des aînés avait déjà acquis
la nationalité belge. L'intéressé n'était
retourné au Maroc qu'à deux reprises, en vacances. Il
avait suivi toute sa scolarité en français. Durant son
adolescence, il s'était vu reprocher 147 faits délictueux,
dont 82 vols qualifiés, 39 tentatives de vols qualifiés
et 5 vols avec violence. Seuls 26 de ces faits avaient été
déférés devant les juridictions correctionnelles
belges.
En appel, la Cour de Liège l'avait condamné, à
raison de 22 d'entre eux, à diverses peines d'emprisonnement
pour un total de 26 mois.
Plus de trois ans s'étaient écoulés depuis la
dernière infraction reprochée à l'intéressé
jusqu'à l'arrêté d'expulsion.
Dans l'affaire BELDJOUDI, la Cour a relevé d'emblée que
le « passé pénal » de l'intéressé
« apparaît beaucoup plus chargé que celui
de Monsieur MOUSTAQUIM » et « qu'il importe donc
de rechercher si les autres circonstances de la cause communes
aux deux requérants ou propres à l'un d'eux
suffisent à compenser cette donnée d'un poids considérable ».
L'arrêt révèle en effet que Monsieur BELDJOUDI
a été condamné à partir de l'âge de
19 ans à diverses peines d'un montant total de plus de dix
ans. Après notification de l'arrêté d'expulsion,
pris à son encontre en 1979 à la suite de sa condamnation
à la peine de huit ans de réclusion criminelle pour vol
qualifié, l'intéressé a récidivé.
Il est toutefois à noter que la mesure d'expulsion n'a pour autant
pas été mise à exécution.
Une vie familiale menacée
Le caractère non proportionné de l'atteinte portée
par la mesure d'expulsion au droit des requérants au respect de
leur vie familiale a été déduit de quatre données
essentielles :
-
La situation de « quasi-français » de
Monsieur BELDJOUDI : né en France de parents alors français,
l'intéressé est réputé avoir perdu la
nationalité française au 1er janvier 1963, faute
pour ses parents d'avoir souscrit, avant le 27 mars 1967, une
déclaration recognitive de ladite nationalité. Dès
1970, puis en 1983 et 1984, il a tenté en vain de recouvrer
la nationalité française. Recensé à
sa demande en 1971, il a été reconnu apte au service
national par les autorités militaires françaises.
-
La force des liens de rattachement avec la France de l'épouse
et de la famille de Monsieur BELDJOUDI : Madame TEYCHENE, épouse
BELDJOUDI, est née en France de parents français.
Elle y a toujours vécu et en possède la nationalité.
Par ailleurs, toute la proche famille de Monsieur BELDJOUDI a possédé
la nationalité française jusqu'à 1963 et réside
en France depuis plusieurs dizaines d'années.
-
L'absence de liens de Monsieur BELDJOUDI avec l'Algérie,
hormis celui de la nationalité : le requérant
a passé toute son existence en France, soit plus de 40 ans.
Il a effectué toute sa scolarité en français
et ne parle pas l'arabe.
- Les empêchements à la poursuite de la vie de couple
en cas d'expulsion de Monsieur BELDJOUDI vers l'Algérie :
l'installation de Madame BELDJOUDI dans ce pays constituerait pour
elle un véritable déracinement et se heurterait à
de réels obstacles pratiques et même juridiques.
Dès lors, l'ingérence litigieuse risquerait de mettre en
péril l'unité, voire l'existence du ménage.
Récemment, la Commission a déclaré recevable la
requête d'un Algérien de la seconde génération
expulsé de France à la suite de sa condamnation à
la peine d'emprisonnement de trois ans et demi du chef, entre autres,
d'attentats à la pudeur, détournement de mineur, proxénétisme,
et d'infractions à la législation sur les stupéfiants.
Du fait de la mise à exécution de la mesure d'éloignement,
l'intéressé avait été séparé
de sa grand-mère, de ses oncles, tantes, cousins et cousines
qui l'ont élevé après son abandon à l'âge
de trois ans par ses parents [27].
La jurisprudence européenne en matière de respect de
la vie familiale des étrangers procède d'un raisonnement
essentiellement casuistique. La solution de chaque affaire dépend
de l'examen in concreto des faits de la cause et non pas d'orientation
abstraite.
Comme le souligne Madame Sally Dolle [28] :
« Les organes de Strasbourg exercent une fonction judiciaire
quasi constitutionnelle et non une fonction législative. Ils
doivent examiner le grief du requérant alléguant la violation
de la Convention et, comme leur décision peut se répercuter
sur d'autres personnes placées dans une situation semblable,
l'obligation de l'Etat, en vertu de la Convention, consiste d'abord
à satisfaire le requérant si une violation apparaît ».
Dans son opinion concordante, exprimée en annexe de l'arrêt
BELDJOUDI, le juge Martens a cependant regretté que la Cour n'ait
pas fondé sa décision sur le principe, accepté
par un nombre croissant des Etats membres du Conseil de l'Europe, de
l'« inexpulsabilité » des « étrangers
intégrés », sauf circonstances très exceptionnelles,
instillant ainsi une dose de sécurité juridique qui, spécialement
dans ce domaine, lui paraît hautement désirable.
La Commission, comme la Cour, n'en a pas moins élaboré,
nous l'avons vu, une série de critères et de principes,
lesquels constituent une trame de lecture des situations individuelles
et permettent, au-delà des décisions concrètes,
de dégager des tendances de fond.
Ainsi, la garantie offerte par l'article 8 de la Convention ne
semble pas être très protectrice, à l'exception
de circonstances particulières d'espèce, lorsque le refoulement
de l'étranger que motive un refus d'entrée ou de séjour
s'inscrit dans la politique de contrôle de l'immigration de l'Etat
défendeur.
Spécialement, en matière de regroupement familial, où
la Cour, contrairement au Conseil d'Etat français, ne consacre
pas le droit pour un étranger régulièrement installé
dans le pays d'immigration de faire venir à ses côtés
sa famille. Mais les instances conventionnelles accordent une importance
fondamentale aux liens unissant un parent et son enfant mineur.
Dès lors, comme le montre l'affaire BERREHAB, elles exercent
un contrôle d'une particulière intensité sur le
caractère de nécessité que doit remplir la mesure
d'éloignement d'un étranger, ayant pour effet de le séparer
de son petit enfant.
S'agissant de l'expulsion des étrangers, la Commission, puis
la Cour, ont développé ces dernières années
une jurisprudence particulièrement protectrice de la vie familiale
des migrants de la seconde génération, qu'il s'agisse
de jeunes délinquants (cas de Monsieur MOUSTAQUIM) ou de délinquants
adultes multirécidivistes (cas de Monsieur BELDJOUDI).
Pour cette dernière affaire, la Cour a conclu à la violation
de l'article 8 en contrariété de jurisprudence avec
le Conseil d'Etat.
Le Conseil d'Etat
et l'article 8
Plus généralement, la confirmation de l'extension du champ
d'application de la Convention à la police des étrangers
par le biais du droit au respect de la vie familiale garanti par l'article 8
a conduit le Conseil d'Etat français, en un important revirement
de jurisprudence opéré en janvier et avril 1991
par les arrêts BELDJOUDI [29],
BELGACEM [30] et BABAS [31],
à faire application de ces dispositions aux décisions d'expulsion
et de reconduite à la frontière des étrangers, puis
à étendre cette jurisprudence aux refus de délivrance
d'un visa [32], d'un titre de séjour [33]
et d'une demande d'abrogation d'un arrêté d'expulsion [34].
La jurisprudence européenne développée en ce domaine
n'a pas été non plus sans influencer la nouvelle législation
interne en matière d'interdiction du territoire français.
C'est dire l'impact des arrêts de la Cour, lequel déborde
largement leur stricte portée juridique, mais aussi des
décisions et rapports de la Commission, sur les autorités
nationales, comme le relève fort justement le professeur Frédéric
Sudre [35].
Hélène Clément
Avocat au Barreau de Paris
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Notes
[1] Actes du Colloque
sur les droits de l'homme sans frontières, Conseil de l'Europe,
1990, p. 127, Document d'information de M. J. Madureira.
[2] Arrêt MARCKX c/
Belgique, 13 juin 1979, Série A, n° 31.
[3] Req. 7229/75, X et
Y c/ Royaume-Uni, D.R. 12, p. 32.
[4] Req. 7289/75 et 7349/76,
X et Y c/ Suisse, D.R. 9, p. 57.
Req. 12495/86, Benny JONSSON c/ Suède, D.R. 54, p. 187.
[5] Req. 7229/75, X et
Y c/ Royaume-Uni, D.R. 12, p. 32.
[6] ibid.
[7] Req. 5269/71, X et
Y c/ Royaume-Uni, Annuaire n° 15, p. 565.
[8] Req. 2992/66, Harbajan
SINGH c/ Royaume-Uni, Annuaire n° 10, p. 483.
[9] Req. 10375/83, S. et
S. c/ Royaume-Uni, D.R. 40, p. 196.
[10] Req. 12402/86,
Angela et Rodney PRICE c/ Royaume-Uni, D.R. 55, p. 224.
[11] Arrêt du
21 juin 1988, série A, n° 138.
[12] Rapport Commission
du 7/10/1986.
[13] Req. 12495/86,
Benny JONSSON c/ Suède, D.R. 54, p. 187.
[14] Rapport Commission
du 12/10/1989.
[15] Rapport Commission
du 15/3/1990. L'affaire a été rayée du rôle
de la Cour européenne des droits de l'homme le 23/1/1991, à
la suite d'un règlement amiable (arrêt, série A,
n° 191-B).
[16] Arrêt du
28 mai 1985, série A, n° 94.
[17] Actes du Colloque
sur les droits de l'homme des étrangers en Europe, Conseil de
l'Europe, 1975, p. 116, rapport de M. SILVEIRA.
Voir :
req. 5269/71, X et Y c/ Royaume-Uni, Annuaire n° 15,
p. 565 ;
req. 8244/78, UPPAL et autres c/ Royaume-Uni, D.R. 17, p. 149
et rapport Commission (règlement amiable) du 9/7/1980, D.R. 20,
p. 29 ;
req. 9088/80, X c/ Royaume-Uni, D.R. 28, p. 160 ;
req. 9478/81, X c/ République fédérale d'Allemagne,
D.R. 27, p. 243 ;
req. 9492/81, famille X c/ Royaume-Uni, D.R. 30, p. 232 :
req. 12122/86, S. LUKKA c/ Royaume-Uni, D.R. 50, p. 268 ;
req. 13078/87, FADELE c/ Royaume-Uni,, Déc. du 12/2/1990
(inédit) et rapport Commission (règlement amiable) du
4/7/1991.
[18] Req. 11333/85,
C. c/ République fédérale d'Allemagne,
D.R. 43, p. 227.
[19] Req. 9088/80, X c/ Royaume-Uni,
D.R. 28, p. 160
Req. 9285/81, X, Y et Z c/ Royaume-Uni, D.R. 29, p. 205
Req. 12122/86, S. LUKKA c/ Royaume-Uni, D.R. 50, p. 268
Req.14984/89, Andrea DE ALWIS c/ Royaume-Uni, Déc.
du 5/10/1990 (inédit)
[20] Req. 6357/73, X c/
République fédérale d'Allemagne, D.R. 1, p. 77
Req. 8041/77, X c/ République fédérale d'Allemagne,
D.R. 12, p. 197
Req. 11278/84, Famille K et W c/ Pays-Bas, D.R. 43, p. 216
Req. 12461/86, Y. H. c/ République fédérale
d'Allemagne, D.R. 51, p. 258
Req. 15100/89, Déc. du 13/7/1989 (inédit).
[21] Rapport Commission
du 6/9/1990.
[22] Req. 16990/90,
Arab AMGHAR c/ la France, Déc. du 7/4/1992 (inédit).
[23] Req. 6357/73, X c/
République fédérale d'Allemagne, D.R. 1, p. 77.
[24] Req. 7816/77, X et
Y c/ République fédérale d'Allemagne, D.R. 9,
p. 219
Req. 8041/77, X c/ République fédérale
d'Allemagne, D.R. 12, p. 197
Req. 9203/80, X c/ Danemark, D.R. 24, p. 239
Req. 15100/89, Déc. du 13/7/1989 (inédit)
Req. 19328/92, Déc. du 19/5/1992 (inédit)
[25] Arrêt du
18/2/1991, série A, n° 193
[26] Arrêt du
26/3/1992, série A, n° 234-A
[27] Req. 15671/89,
Rabah ABBAS c/ la France, Déc. du 6/12/1991 (inédit)
et rapport commission (règlement amiable) du 7/7/1992.
[28] Actes du Colloque
sur les droits de l'homme sans frontières, Conseil de l'Europe,
1990, p. 15, exposé de Mme S. Dollé.
[29] CE 18/1/1991, BELDJOUDI
[30] CE Ass., 19/4/1991,
BELGACEM
[31] CE Ass., 19/4/1991,
BABAS
[32] CE 10/4/1992, AYKAN
[33] CE 10/4/1992, MARZINI
[34] CE 10/4/1992, MININ.
[35] F. Sudre, Droit
interne et européen des droits de l'homme, PUF, 1989 ;
« L'influence de la Convention européenne des droits
de l'homme sur l'ordre juridique interne », RUDH, 1991, p. 259-274.
Dernière mise à jour :
6-02-2001 11:43.
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