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Plein Droit
n° 20, février 1993
Europe : un espace de « soft-apartheid »
Maastricht : un régime
à deux vitesses
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Le 7 février 1992 était
signé à Maastricht le traité sur l'Union européenne
conclu les 10 et 11 décembre 1991 par les chefs d'Etat et
de gouvernement des douze Etats membres de la Communauté européenne.
Dans cette nouvelle Europe cependant, s'il est prévu une liberté
totale de circulation pour marchandises et capitaux, il n'en est pas de
même pour les personnes. Selon que l'on sera ressortissant d'un
pays de la Communauté ou ressortissant d'un pays tiers, même
installé en Europe depuis de nombreuses années, le régime
sera différent. Les uns sont des communautaires, les autres des
étrangers, avec tout ce que cela sous-entend de limitations aux
droits d'entrée, de circuler, de séjourner.
Après la signature, par six pays, du traité de Rome en mars
1957, fondant la Communauté économique européenne
(CEE), puis l'adhésion successive de plusieurs Etats et, enfin,
l'adoption en 1986 de l'Acte unique européen, le traité
de Maastricht marque sans aucun doute un pas supplémentaire dans
la construction de l'Europe.
A l'origine, les chefs d'Etat et de gouvernement avaient convenu de
se réunir pour tenter de renforcer les liens déjà
tissés depuis plusieurs années en matière monétaire.
Les bouleversements constatés sur la scène internationale
et plus particulièrement chez nos voisins de l'ancien
bloc de l'Est ainsi que les premiers résultats obtenus
par plusieurs groupes de travail, ont rapidement incité les négociateurs
à traiter également des questions de politique et de sécurité.
L'ampleur de la couverture de cette réunion par la presse a,
de plus, largement démontré le caractère solennel
auquel certains chefs d'Etat et de gouvernement étaient attachés.
Maastricht n'était pas une affaire d'Etats mais une affaire
d'Europe !
Parmi les dispositions qui figurent dans le traité de Maastricht,
un bon nombre d'entre elles traitent de la « circulation des
personnes » terme considéré comme
plus généreux probablement que celui d'immigration qui,
lui, n'est utilisé que lorsqu'il s'agit des ressortissants des
Etats tiers... D'emblée, la distinction entre ressortissants
des Etats membres et ressortissants des Etats tiers s'impose. Il s'agit
bien en effet du renforcement d'un régime à deux vitesses
et de son institutionnalisation.
Ressortissants communautaires :
une générosité apparente
Ils sont les principaux bénéficiaires de la générosité
manifestée par les signataires du traité de Maastricht.
Il ne faudrait cependant pas surestimer la portée des innovations
qui ont été apportées à cette catégorie
de ressortissants. Certaines des dispositions, même, ne font que
reprendre purement et simplement, en une seule phrase, un large arsenal
réglementaire déjà existant, rassemblé dans
trois directives adoptées le 23 juin 1990 et qui ont acquis
une pleine efficacité juridique le 1er juillet 1992. Tel est
notamment le cas de l'article 8A qui prévoit que :
« Tout citoyen de l'Union a le droit de circuler et de
séjourner librement sur le territoire des Etats membres, sous
réserve des limitations et conditions prévues par le présent
Traité et par les dispositions prises pour son application ».
Le traité de Maastricht institue par ailleurs, dans son nouvel
article 189 B, une procédure visant à élargir
les pouvoirs du Parlement européen, afin d'accroître « la
légitimité démocratique » de la construction
de l'Europe. Cette procédure de codécision associe pleinement
cette institution au processus d'adoption des actes communautaires,
en la plaçant sur un pied d'égalité avec la Commission
et le Conseil. Elle sera utilisée dans plusieurs domaines limitativement
énumérés, parmi lesquels figurent la libre circulation
des travailleurs, la liberté d'établissement, la reconnaissance
mutuelle des diplômes ainsi que l'accès aux activités
non salariées.
Là encore, la portée d'une telle innovation est limitée,
tout au moins dans le domaine qui nous intéresse. En effet, si
la nouvelle procédure constitue en elle-même une large
victoire pour le Parlement européen dans l'élargissement
de ses pouvoirs, on peut d'ores et déjà prévoir
que ses interventions dans les matières précitées
seront nécessairement limitées, puisque l'essentiel des
principes et des conditions de leur mise en uvre a déjà
été adopté. Au mieux, le Parlement européen
dira son mot sur des questions de détail qui n'ont pas encore
été réglementées...
La seule innovation consacrée par le traité de Maastricht
(et qui a eu un retentissement démesuré lors des négociations)
est celle de la « citoyenneté européenne »
(article 8). Outre la dimension volontairement symbolique attribuée
à l'appartenance des individus à la Communauté
européenne et aux droits dont ils bénéficient déjà
largement, cette citoyenneté européenne comporte trois
aspects :
-
Le droit de vote et d'éligibilité aux élections
municipales et aux élections européennes d'un
Etat est accordé à tout citoyen d'un Etat membre résidant
dans un autre Etat membre, dans les mêmes conditions qu'aux
nationaux. Les débats sur cette question ont fait apparaître
la frilosité de certains acteurs politiques, et les répercussions
constitutionnelles de cette disposition dans plusieurs pays constituent
parfois un véritable casse-tête politique. Pour d'autres
Etats, par contre, comme les Pays-Bas, ceci ne représentera
pas une nouveauté, puisque ce droit existe déjà
depuis plusieurs années au sein de leur propre législation
nationale.
-
Sur le territoire d'un Etat tiers où son pays n'est pas
représenté, tout ressortissant communautaire bénéficie
d'une protection diplomatique et consulaire de la part de tout autre
Etat membre, dans les mêmes conditions que les nationaux de
cet Etat. Le traité de Maastricht est cependant muet sur
la question des modalités du choix de l'Etat qui accordera
une telle protection. Faut-il en conclure que chaque individu pourra
ainsi, le cas échéant, solliciter la protection de
l'Etat qui appliquera la politique qui lui conviendra le mieux ?
- Afin de défendre les droits qu'il tire du nouveau traité,
le traité de Maastricht prévoit enfin que le citoyen
de l'Union a le droit de pétition devant le Parlement européen
et peut adresser au médiateur nouvellement institué
des plaintes relatives à des cas de mauvaise administration
dans l'action des institutions ou organes communautaires. Il est encore
impossible, bien entendu, de mesurer l'efficacité réelle
de cette nouvelle disposition.
Ainsi, sous une apparence généreuse en faveur des ressortissants
communautaires, le traité de Maastricht ne fait que reprendre en
des termes nouveaux le dispositif réglementaire existant, ou accorde
des nouveaux droits qui suscitent parfois de nombreuses difficultés
pratiques de mise en uvre et qui, surtout, sont d'une portée
effective limitée.
Ressortissants des Etats
tiers :
une sévérité accrue
La plupart des dispositions relatives aux ressortissants des Etats tiers
ne laisse même pas apparaître une quelconque faveur et révèle,
au contraire, un renforcement des limitations auxquelles ceux-ci sont
soumis dans l'accès sur le territoire de l'un des douze Etats membres.
On peut d'ores et déjà regretter que les ressortissants
des Etats tiers résidant régulièrement dans un
Etat membre de la Communauté européenne, parfois depuis
de longues années, aient été mis à l'écart
de la participation à la vie politique locale, par le refus de
leur accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections
municipales. Une telle possibilité aurait eu l'avantage de renforcer
leur intégration dans une société qui constitue
souvent la leur et, probablement, d'atténuer le problème
dit « des banlieues » qui se propage dans l'ensemble
de l'Europe.
Les ressortissants des Etats tiers apparaissent dans le Titre relatif
à l'Europe sociale du traité de Maastricht. Mais il est
regrettable de constater que les textes communautaires relatifs aux
« conditions d'emploi des immigrés extra-communautaires »
doivent tout d'abord être adoptés à l'unanimité
ce qui permet ainsi à tout Etat membre d'opposer
son veto en cas de désaccord. Il sont de plus soumis à
une simple consultation du Parlement européen et non pas à
un véritable pouvoir de codécision.
Mais les véritables innovations apportées par le traité
de Maastricht à l'égard de cette catégorie de ressortissants
figurent à l'article 100 C ainsi que dans le Titre relatif
à la Justice et aux Affaires intérieures (articles K
à K 9). On peut remarquer que la plus grande précision
des textes apparaît justement là où il s'agit de
renforcer la sévérité.
L'article 100 C concerne les visas requis auprès des
ressortissants des Etats tiers lors du franchissement des frontières
extérieures des Etats communautaires, et institue une procédure
d'adoption à l'unanimité, après simple consultation
du Parlement européen, qui s'appliquera à compter du 1er janvier
1996. Il prévoit également qu'en cas de situation d'urgence
(tel qu'un afflux massif de ressortissants d'un pays tiers), le Conseil
statuant à la majorité qualifiée pourra, sur la
base d'une recommandation de la Commission, rendre l'obtention d'un
visa obligatoire pour les ressortissants du pays concerné pour
une durée de six mois. Toute prolongation sera décidée
à l'unanimité.
Il s'agit ici seulement des visas de tourisme, bien entendu obligatoires
pour le franchissement des frontières extérieures ;
la dimension communautaire apportée à la politique des
visas ne porte que sur la définition d'une liste des pays pour
lesquels ces documents seront exigés. Les tentatives de fixation
commune des critères d'attribution apparues lors des négociations
n'ont pas abouti..
Bien que la liste des pays pour lesquels un visa sera requis sur l'ensemble
du territoire de la Communauté n'ait pas encore été
communiquée, il est à prévoir que nous assisterons
à un nivellement par le haut et que les Etats qui connaissent
actuellement les politiques les plus sévères parviendront,
sans aucune difficulté, à imposer leurs exigences aux
autres Etats qui, comme l'Italie ou l'Espagne par exemple, commencent
à peine à rendre l'obtention d'un visa obligatoire. Ainsi,
on retrouve, comme dans les accords de Schengen qui, on
le sait, ne constituent rien d'autre que le laboratoire d'une politique
d'immigration de dimension communautaire le souci de coordonner
les actions lorsqu'elles tendent à la propagation d'un savoir-faire
et au renforcement des contrôles aux frontières extérieures.
Vers une communautarisation
des questions d'immigration ?
C'est également la coordination des politiques nationales qui est
traitée dans les articles K à K 9 du traité
de Maastricht. Les matières concernées sont celles de la
Justice et des Affaires intérieures et, plus particulièrement,
la politique d'asile, les règles régissant le franchissement
des frontières extérieures des Etats membres et l'exercice
du contrôle de ce franchissement, la politique d'immigration à
l'égard des ressortissants des Etats tiers, leurs conditions d'entrée,
de circulation, de séjour, y compris le regroupement familial et
l'accès à l'emploi, la lutte contre l'immigration, le séjour
et le travail irréguliers...
Dans tous ces domaines, il ne s'agit aucunement d'empiéter sur
la souveraineté nationale, à laquelle l'ensemble des Etats
restent encore fermement attachés. Le traité de Maastricht
ne se substituera nullement aux différentes législations
nationales. Le Conseil des ministres n'acquiert des pouvoirs qu'afin,
tout d'abord, d'arrêter à l'unanimité des positions
communes qui seront présentées par les Etats membres dans
les organisations internationales ou lors des conférences internationales
auxquelles ils participeront, ensuite, d'adopter des actions communes,
dans la mesure où celles-ci se révèleront plus
efficaces que si les Etats membres agissaient isolément. Enfin,
il pourra établir des conventions dont il se bornera à
recommander l'adoption par les Etats membres. Il est, en outre, prévu
que la Commission sera pleinement associée aux travaux réalisés
en la matière, et qu'il sera veillé à ce que les
positions du Parlement européen soient prises en considération.
Aucun pouvoir contraignant ne sera cependant laissé à
la seule institution démocratique de la Communauté européenne.
L'ensemble de ces dispositions montre clairement que les différents
Etats membres sont encore réticents pour confier aux institutions
européennes la gestion d'une réelle politique commune
en matière d'immigration et, qu'à l'heure actuelle, la
principale préoccupation consiste avant tout à coordonner
les actions en vue soit d'imposer aux autres Etats membres une sévérité
croissante dans l'accès et le séjour des populations immigrées,
soit de la consolider. Cette attitude laisse présager que même
si, un jour, la communautarisation des questions d'immigration est plus
poussée, ce sera dans le sens d'une limitation de plus en plus
nette de l'accès des ressortissants provenant des pays tiers
au territoire de la Communauté européenne. C'est d'ailleurs
la première motivation qui ressort des travaux réalisés
par les ministres « TREVI » de la Justice
et de l'Intérieur et par le groupe ad hoc Immigration
qui s'était réuni le 3 décembre 1991, soit
quelques jours à peine avant le sommet de Maastricht...
Nous sommes encore loin de la libre circulation, sur l'ensemble du
territoire de la Communauté, des ressortissants des Etats tiers
résidant régulièrement dans un Etat membre.
La référence
aux droits fondamentaux
Finalement, la seule disposition bénéfique applicable aux
ressortissants des Etats tiers qui figure dans le traité de Maastricht
est l'article F2, repris dans l'article K2, qui dispose que :
« Les questions visées à l'article K 1
(c'est-à-dire les politiques d'asile et d'immigration des ressortissants
extra-communautaires) sont traitées dans le respect de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales du 4 novembre 1950 et de la Convention relative au
statut de réfugiés du 28 juillet 1951 et en tenant
compte de la protection accordée par les Etats membres aux personnes
persécutées pour des motifs politiques ».
C'est la première fois que la mention de ces deux Conventions
apparaît aussi clairement et que ces textes entrent expressément
dans le bloc de la légalité communautaire dont
l'application est soumise au contrôle de la Cour de justice des
communautés européennes. Cette dernière avait eu
l'occasion, à plusieurs reprises, de s'y référer, mais
la base juridique offerte par le traité de Maastricht consolidera
ainsi le développement d'une jurisprudence intéressante.
On ne peut évidemment que s'en réjouir, d'autant que le
droit communautaire ignorait jusqu'à maintenant toute référence
aux droits fondamentaux. Cette innovation ne pourra qu'inciter les praticiens
à en faire un usage systématique à l'heure où,
justement, les Etats ferment de plus en plus leurs portes, et tentent
de justifier leurs décisions de façon parfois douteuse.
Plus concrètement, il sera utile d'invoquer, au sein de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales du 4 novembre 1950, l'article 3 prohibant les
traitements inhumains et dégradants, l'article 8 garantissant
le respect d'une vie personnelle et familiale, et l'article 14
interdisant toute discrimination.
Deux indices en lien étroit avec les dispositions de l'article 100 C
relatif aux visas permettent cependant de se demander, dès aujourd'hui,
si les négociateurs ont bel et bien mesuré la portée
réelle de cette nouvelle protection juridique. D'une part, l'article K 9
prévoit que le Conseil examinera, avant la fin de 1993, la possibilité
d'appliquer à la politique d'asile la procédure communautaire
de l'article 100 C, visant, rappelons-le, à une communautarisation
des politiques relatives aux visas. On voit mal comment l'obtention
d'un visa peut être rendue obligatoire à l'égard
d'un demandeur d'asile peu importe ici que l'obligation
soit de source nationale ou communautaire et être
compatible avec la Convention relative au statut de réfugiés
du 28 juillet 1951 (Convention de Genève). D'autre part,
l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales prohibe toute
discrimination fondée sur le sexe, la race, la couleur, la langue,
la religion, l'opinion politique, l'origine nationale ou sociale etc...
Logiquement, la détermination des ressortissants des Etats tiers
soumis à l'obligation d'un visa devra, en vertu de l'application
combinée des articles 100 C du traité de Maastricht
et de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l'homme et des libertés fondamentales, être
effectuée sans discrimination fondée sur l'origine nationale
ou sociale... Ces questions mériteront, le cas échéant,
d'être confirmées par la Cour de justice des communautés
européennes, seule institution communautaire qui, à ce
jour, ait manifesté une ouverture certaine à l'égard
des ressortissants des Etats tiers.
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6-02-2001 11:44.
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