Plein Droit
n° 20, février 1993
Europe : un espace de « soft-apartheid »
Grande-Bretagne :
anti-Schengen mais pro-Dublin
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Dans l'éventualité d'une signature par la
Grande-Bretagne des accords de Schengen, la ratification devrait
être votée par les deux chambres et approuvée par
la Reine. Mais, a priori, dans le contexte actuel, il paraît improbable
qu'une signature intervienne dans un avenir proche.
La principale opposition semble émaner du gouvernement
qui tient à conserver la maîtrise des frontières
intérieures. Une telle attitude s'explique par la position géographique
de la Grande-Bretagne. Sa situation insulaire la place à part
au sein de la Communauté dans la mesure où elle a les
moyens de surveiller efficacement ses frontières. Le gouvernement
n'entend pas renoncer à ses prégoratives en ce domaine.
Au-delà des arguments officiellement avancés (répression
du terrorisme, du trafic de drogue...), il s'agit avant tout d'un problème
de souveraineté et de manque de confiance des Britanniques à
l'égard de leurs partenaires européens.
La Commission européenne, représentée par M. Bangeman,
a récemment attaqué avec virulence le gouvernement britannique
au motif que l'Acte unique européen présume illégal
tout contrôle des frontières intérieures après
le 1er janvier 1993. La Grande-Bretagne soutient au contraire que
les accords de Schengen ne sont pas une extension logique de l'Acte
unique européen. Cette divergence ne sera pas sans susciter un
contentieux substantiel dans les mois qui viennent.
De ce fait, le débat interne n'a pas été suffisamment
approfondi pour que l'on puisse réfléchir concrètement
aux implications de la signature des accords de Schengen sur le droit
interne.
Le gouvernement britannique s'est par contre engagé à
ratifier la convention de Dublin (voir l'article « Dublin :
demande d'asile et Etat responsable »).
Des conséquences pratiques de la signature de l'Accord
sont d'ores et déjà apparues. Conformément au dispositif
mis en place par la Convention de Dublin, une procédure de réadmission
a été établie en Grande-Bretagne. Certaines dispositions
de cet accord sont de fait appliquées, notamment à l'encontre
des demandeurs d'asile qui sont passés par un autre Etat membre
avant d'arriver sur le sol britannique.
Des personnes entrées sur le territoire commun par la Grande-Bretagne
peuvent toujours solliciter le statut de réfugié, malgré
un séjour plus ou moins prolongé dans un autre pays de
la Communauté sauf dans l'hypothèse où
le gouvernement estime que leur retour est possible, en toute sécurité,
dans un Etat tiers.
Les tribunaux ont récemment jugé, dans une affaire concernant
un ressortissant soudanais qui avait déposé une demande
d'asile en Allemagne, mais qui souhaitait obtenir le statut de réfugié
en Grande-Bretagne autant pour échapper à la répression
au Soudan que pour quitter l'Allemagne où il avait fait l'objet
d'agressions racistes, que cette dernière crainte devait être
appréciée de la même manière que lors d'une
demande d'asile « classique ».
Une telle décision ne sera pas sans influencer le ministère
de l'Intérieur dans le traitement des demandeurs d'asile ayant
séjourné dans d'autres Etats membres.
Pour ce qui est du renvoi dans des pays tiers considérés
comme « sûrs », il n'y a pas de politique
clairement définie (pas de liste de pays sûrs) ; on
peut cependant penser que, dans certains cas, le gouvernement n'hésitera
pas à user de cette possibilité (il est acquis, par exemple,
que le Nigéria est considéré comme un pays tiers
sans danger pour les Zaïrois).
Il n'existe pas pour le moment d'échanges systématiques
d'informations individuelles sur les demandeurs d'asile dans le cadre
de la coopération avec d'autres Etats membres. Il faut préciser
cependant que le gouvernement britannique participe aux travaux du groupe
ad hoc immigration qui, dans son programme de travail, préconise
l'échange de données, tant formelles qu'informelles, entre
les autorités intergouvernementales compétentes.
La Grande-Bretagne n'a pas à ce jour consacré le concept
de zone internationale. Le mécanisme de l'appel dans le domaine
de l'asile comme dans celui de l'immigration en général
est d'une telle complexité, qu'on peut se demander s'il existe
véritablement une voie de recours effective en cas de refus d'entrée.
Certes, la Cour Suprême examinerait tout recours contre des procédures
« injustes » ou « peu raisonnables ».
Ce recours est ouvert à tous au nom de l'Habeas Corpus qui ne
fait pas de distinction entre les différents statuts.
Il faut souligner que les tribunaux ont apprécié de façon
restrictive l'exercice de leurs compétences.
Depuis 1987, ont été instaurées des pénalités
à l'encontre des sociétés de transport qui embarquent
des passagers dépourvus des documents requis. La loi établit
une responsabilité pleine et entière, sans possibilité
réelle d'exonération, sauf si, par la suite, un passager
obtient le statut de réfugié, ou si la compagnie parvient
à prouver que les documents présentés avaient une
apparence « raisonnable » de validité. L'interprétation,
par les tribunaux, de cette dernière notion reste encore obscure.
L'existence de sanctions est dangereuse dans la mesure où l'identité
des personnes transportées irrégulièrement fait
forcément l'objet d'une publicité, ce qui n'est pas sans
conséquences s'agissant de demandeurs d'asile
sur la sécurité de leurs familles restées au pays
d'origine, lorsque les liens entre la société de transport
et le gouvernement sont étroits comme c'est le cas pour Iran
Air.
L'introduction de la libre circulation des personnes peut être
considérée comme une évolution positive bien qu'elle
n'implique pas vraiment un droit d'aller et venir.
L'instauration d'un visa uniforme pour l'espace Schengen devrait aplanir
les difficultés que rencontrent actuellement les étrangers
souhaitant se déplacer dans plusieurs Etats membres (démarches
souvent longues et coûteuses pour obtenir autant de visas que
nécessaire).
Ces aménagements pratiques ne doivent cependant être qu'une
étape vers la communautarisation du droit de l'immigration, dont
un des effets serait d'aligner les conditions de déplacement
des ressortissants de pays tiers résidant dans la Communauté
sur celles, beaucoup plus favorables, des communautaires.
Elspeth Guild
ILPA (Immigration Law Practitioner's Association)
Londres
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Dernière mise à jour :
6-02-2001 11:45.
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