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Plein Droit
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Plein Droit n° 18-19, octobre
1992 En Suisse, loterie humanitaireMichel Bührer La Suisse ne déroge pas à la règle occidentale. Elle a beau accueillir le siège du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), sa politique de fermeture aux flux migratoires s'applique également aux demandeurs d'asile. Le souci sécuritaire parasite ici encore le devoir humanitaire. Voir aussi l'encadré «
Coup de semonce L'écriteau « Requérants d'asile » est accroché sur la porte en grillage encadrée de fil de fer barbelé. Une caméra vidéo et un interphone complètent le système de sécurité. Le tout est actionné d'un invisible bureau, au-delà du dédale en grillage qui prolonge l'entrée. Au Centre d'enregistrement de requérants d'asile (CERA) de Genève, l'accueil est technologique. Le requérant qui vient poser son sac à l'entrée du CERA de Genève, juste en face de l'aéroport, le long du tarmac, aurait tout aussi bien pu échouer dans un des trois autres centres d'enregistrement que compte le pays (deux en Suisse alémanique, un en Suisse italienne). La procédure de demande d'asile est fédérale et centralisée. L'entrée légale en Suisse est possible par n'importe quel poste frontière depuis 1990 (auparavant, seuls douze postes étaient habilités à recevoir une demande d'asile). Mais il y a toujours un risque de refoulement. Alors 80 à 90 % des requérants estiment plus sûr d'entrer illégalement. « J'ai pris un billet Kinshasa-Rome, raconte ce Zaïrois, et là, devant l'aéroport, un type en BMW m'a demandé si j'avais besoin de ses services. Je lui ai payé 800 dollars. Au petit matin, je me suis réveillé, il m'a dit que nous étions à Genève ». C'est l'histoire standard de la plupart des Zaïrois, qui permet de protéger les filières organisées. Pour ceux qui débarquent par avion à Bâle, Genève ou Zurich, la police demeure l'intermédiaire obligé. Comme les autres pays ouest-européens, la Suisse s'estime « débordée » par les requérants d'asile. En fait, elle s'est laissé déborder par un afflux qu'elle n'a pas su prévoir. Sa loi sur l'asile date de 1979. En 1978, 290 demandes sont en souffrance. Elles atteignent 529 une année plus tard, puis 916, 2 670, 6 200... En 1985, 31400 dossiers sont en attente, dont 8 600 recours pendants. Au printemps 1986, la confédération dresse son plan de bataille, nomme un « Monsieur réfugiés » (Peter Arbenz) et envoie 200 juristes sur le front. Las ! La pile des cas en souffrance monte à 70 000 en 1991, alors que, cette même année, plus de 35 000 nouvelles demandes sont déposées. En juin 1990, le gouvernement publie un « arrêté fédéral urgent » afin d'accélérer (en la simplifiant) la procédure et résorber le retard. En mai 1991, la courbe des cas traités dépasse enfin celle des nouvelles demandes (qui sont en légère baisse). Selon un sondage récent, deux tiers des Suisses estiment cependant que leur gouvernement est dépassé par le problème. Au centre d'enregistrement, le requérant se trouve au départ de l'énorme machinerie administrative qui statuera, en quelques mois si tout va bien, sur son sort. La police identifie, fouille, photographie et prend les empreintes des requérants. Elles serviront à débusquer les demandes multiples. Une première entrevue d'une quarantaine de minutes (avec traducteur si nécessaire) permet de ficeler le dossier sur la base duquel l'Office fédéral des étrangers, à Berne, prend une première décision : non entrée en matière, rejet (parfois immédiat) ou admission. Au terme de cette première étape (qui dure de quelques heures à quelques jours), le requérant reçoit l'adresse d'un centre d'accueil (choisi en fonction d'un quota par canton et de « l'unité des familles ») et un billet de train pour s'y rendre. Dès lors, il peut bénéficier de l'assistance matérielle de l'État, chercher du travail après trois mois (bientôt six mois) de séjour on lui retient alors les charges sociales plus une provision pour frais de retour éventuel et doit demeurer à disposition de l'administration pour la suite de sa procédure. Il sera logé au gré des possibilités du canton d'accueil dans un hôtel, un centre de la Croix-Rouge, un immeuble locatif, voire un centre de protection civile souterrain. L'obsession actuelle de l'Office des réfugiés est de réduire à six mois la durée de cette procédure, afin d'éviter l'intégration du requérant ou pire, de sa famille avant décision. La deuxième audition, plus approfondie, centrée sur les motifs de la venue en Suisse, sera conduite par la police du canton où réside le requérant (en présence d'un représentant d'une organisation d'entraide ou d'un mandataire). L'administration fédérale prend sa décision finale sur la base de ce dossier (parfois après une nouvelle audition). En cas de réponse négative, 70 % des requérants font recours. Résultat des courses : en 1991, seules 3 % des demandes d'asile ont connu une issue positive. Une certaine catégorie des refusés peuvent toutefois demeurer provisoirement en Suisse si la situation dans leur pays est trop mauvaise, à la suite d'un conflit civil notamment (Liban, Yougoslavie, etc.). Parmi les déboutés qui doivent quitter le territoire national, on estime que 30 % environ disparaissent dans la nature (sans doute plus). Au pays de la Croix-RougeDans un pays comme la Suisse, sans passé colonial, la présence de lointains étrangers sans attaches culturelles ne passe pas inaperçue. Seule Genève, ville internationale et cosmopolite, échappe à la règle, mais Genève n'est pas vraiment la Suisse, comme New-York n'est pas les États-Unis. Ailleurs, les groupes de tamouls ou d'Africains font tache. Bien sûr, l'Helvétie avait ouvert les bras tout grands aux Hongrois en 1956-57. Mais c'étaient des bons réfugiés qui fuyaient les communistes, et ils étaient souvent formés et qualifiés. Pour les mêmes raisons idéologiques, des Tibétains ou des Cambodgiens ont pu trouver asile facilement. La Suisse a ensuite utilisé plus qu'accueilli une population migrante de travailleurs saisonniers main-d'uvre à bon marché pour le bâtiment et l'hôtellerie venus d'Italie, puis d'Espagne et du Portugal. Une partie s'est intégrée et a fait souche. Avec les requérants d'asile, dont le citoyen moyen n'arrive même pas à localiser la provenance sur une carte, qui souvent ne parlent pas l'une des langues nationales, la donne change. Les saisonniers vivaient regroupés dans des baraques, les requérants se mêlent à la population. Au pays du conformisme mou et de la discrétion maladive, un groupe de Zaïrois un peu « sapeurs » sur le quai d'une gare villageoise, ça se remarque. Et puis, les saisonniers débarquaient en plein boom économique, les requérants arrivent en même temps qu'un début de récession, dans un pays où les services sociaux ne brillent pas par leur générosité. Les chômeurs en fin de droit, les sans-abris, les personnes âgées démunies... commencent à être suffisamment nombreux (à l'échelle suisse, bien sûr) pour valoir quelques statistiques. Conséquence inévitable, sinon logique : le vieux fond de commerce xénophobe, voire raciste, d'une partie de la population se réveille. Les requérants « coûtent cher » ; lorsqu'ils ne travaillent pas, ils « vivent sur le dos des Suisses », et lorsqu'ils ont déniché un petit job, « ils nous piquent notre boulot ». Classique. « En outre, remarque un collaborateur de la Croix-Rouge, lorsque vous dites à un requérant qu'il a droit à une assistance complémentaire, il va la chercher. Un Suisse n'ira qu'en dernière extrémité, la honte au front ». Les grincheux oublient cependant que l'asile est aussi une affaire juteuse pour le secteur privé : en 1991, l'État fédéral a dépensé 614 millions de francs (près de 2,5 milliards de FF) pour les requérants, dont une grande partie est immédiatement recyclée dans l'hôtellerie, l'immobilier (location de chambres et d'appartements) et le petit commerce. De nombreux hôtels de moyenne catégorie ne vivent que de leurs revenus. Reste que le racisme se manifeste. Un rapport sur l'extrémisme en Suisse, publié par le conseil fédéral (gouvernement), le 24 mars dernier, dénombre 27 actions contre des demandeurs d'asile en 1990 et 77 en 1991 (attentats, incendies, agressions, etc.). Pour les trois permiers mois de 1992, on compte déjà 11 attentats. Actions parfois inspirées par des mouvances d'extrême-droite, mais jugées avec beaucoup d'indulgence par la justice. Le gouvernement est « inquiet », mais ne sait pas quoi faire. Il va proposer un article de loi « contre le racisme » (le Code pénal est aujourd'hui lacunaire), et envisage même suprême audace d'adhérer à la Convention des Nations unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, datant de... 1965. Associations et églises
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