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Plein Droit n° 18-19, octobre
1992
« Droit d'asile :
suite et... fin ? »
De toute évidence la France contemporaine a mal tourné.
Tout y est aujourd'hui prétexte à vexations, contrôles,
arrestations des étrangers, y compris réfugiés
statutaires. A la poste, par exemple.
« C'est une source de honte rétrospective lorsque
la France n'a pas su, à tels ou tels (réfugiés),
réserver l'accueil généreux qu'ils méritaient »,
notait, le 11 juin 1992, dans son discours d'ouverture du colloque
de l'OFPRA, Georges Kiejman, ministre délégué aux
Affaires étrangères. A en juger par les mésaventures
qui frappent, de nos jours, des réfugiés dans leur vie
quotidienne, il y a fort à parier que, dans l'avenir, un successeur
de M. Kiejman, à son tour attentif au respect par la France
d'aujourd'hui des droits des réfugiés, puisse légitimement
regretter les entorses et autres bavures qui tordent le cou aux grands
principes humanitaires affichés à cet égard. À
moins que le vingt-et-unième siècle n'ait définitivement
tiré un trait sur le droit d'asile...
J. S. G., réfugié statutaire haïtien âgé
de vingt-et-un ans, se rend, en cette fin de matinée du 26 juin
1992, au bureau de poste de la rue Goncourt, dans le 11ème arrondissement
de Paris où il possède un compte. Il entend
y prélever 550 F, comme il l'a fait quelques jours plus
tôt. Il se fait accompagner par son copain J. C. B.
qui parle et comprend mieux le français que lui.
Au guichet, J. S. G. présente sa carte de réfugié,
établie par l'OFPRA en mars 1992. On lui affirme que ce document
est insuffisant et qu'il doit produire un titre de séjour. Mais
il n'en possède pas encore en raison d'une interdiction du territoire
d'un an, prononcée à son encontre le 27 novembre
1991, du temps où, demandeur d'asile débouté, il
avait également écopé de deux mois d'emprisonnement
pour « infraction à la législation sur les
étrangers ». Son avocat s'occupe d'obtenir le relèvement
de l'interdiction du territoire. En attendant, il doit se contenter
de sa carte de réfugié.
J. S. G. ne s'énerve pas, selon des témoins
de la scène. Pour lui, cette carte toute neuve, difficilement
acquise à l'occasion d'une deuxième requête après
un refus initial de l'OFPRA, atteste de son identité et de la
régularité de son séjour. Par ailleurs, son compte
est approvisionné.
Le guichetier en réfère, sur le champ, au receveur. Il
annonce d'emblée, sans plus de dialogue, son intention d'appeler
la police et, joignant le geste à la parole, prend le téléphone.
La ligne est occupé. L'ami J. C. B. conseille la prudence
sur la base d'une expérience selon laquelle un étranger,
fut-il dans son droit, reste a priori suspect. Mieux vaut, selon
lui, opérer un repli stratégique. J. S. G. ne
veut pas en entendre parler. Il restera et prouvera sa bonne foi.
Quatre minutes plus tard, arrive la police. Menottes aux poignets,
J. S. G. est embarqué et conduit au commissariat d'arrondissement.
On examine si consciencieusement son identité que le rapport
affirmera que J. S .G. est un... apatride.
Désormais privé de ses papiers, il est déféré
en comparution immédiate devant la 23ème chambre du tribunal
de grande instance de Paris. Le lendemain, samedi 27 juin, son
affaire fait l'objet d'un renvoi au 31 juillet. En attendant, il
patientera à l'ombre des cellules de la prison de Fleury-Mérogis.
Trente-quatre jours de taule préventive pour un tel crime se
justifient de toute évidence.
Heureusement pour J. S. G., le Gisti et ses avocats membres
le connaissent. A leur demande, le tribunal consent à une libération
conditionnelle le 10 juillet dans l'attente du jugement définitif
qui sera finalement renvoyé au 9 octobre. A tout le moins,
son statut de réfugié ne lui aura pas épargné
deux semaines d'incarcération.
Aux demandes d'explications adressées par des conseiller municipaux
de l'arrondissement, saisis par diverses associations locales et le
père Yves de Malimann, curé de la paroisse, le commissaire
de police répond, pour se justifier de cette interpellation,
dont s'étonnent par ailleurs les syndicats CFDT et FO des postiers,
que J. S. G. a « un casier judiciaire lourd ».
Rien moins. Alors qu'il n'a été lourdement frappé
de deux mois de prison, en novembre 1991 que pour défaut
de papier (le statut lui était alors toujours refusé)
à un moment où, en Haïti, dans son pays d'origine,
culmine la violence des militaires revenus de force au pouvoir.
Le ministre des postes et télécommunications est aussitôt
saisi de cette affaire. Mais il choisit de plaider sa bienveillante
neutralité sous le prétexte de la transformation de la
Poste en « exploitant de droit public » (loi du
2 juillet 1990). Ministre des postes mais irresponsable. Il
s'en lave les mains et jette le dossier dans la première
boîte postale venue à destination du président de
la Poste. Lequel charge le modeste département Organisation et
Développement de la « Sous-direction marketing de la
distribution » de bien vouloir se mouiller.
En clair, ce n'est une affaire grave pour personne : rien qu'un
incident banal, voire normal.
Dernière mise à jour :
21-01-2001 22:07.
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