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Plein Droit
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Plein Droit n° 17, avril 92 Immigrés sans toits ni droits EditoS'il faut évidemment se réjouir de ce que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 25 février 1992, ait invalidé le fameux « amendement Marchand », on ne saurait pour autant crier trop fort victoire. Cette décision sanctionne surtout les invraisemblables imprudences commises par le gouvernement, et apparaît à cet égard comme un désaveu que la presse a été prompte à interpréter comme une défaite politique ; mais ses effets pratiques risquent d'être assez limités. D'abord parce que le Conseil laisse au gouvernement et au Parlement, invités à « réécrire leur copie » en tenant compte des indications qu'il leur fournit, une latitude d'action suffisamment importante pour nous inquiéter ; ensuite parce que son intervention laisse intact le reste de la loi, et ses dispositions toutes plus répressives les unes que les autres.Que, dans l'immédiat, la décision du Conseil signe la victoire politique de ceux qui ont combattu l'initiative gouvernementale, n'est pas contestable, surtout si l'on a en mémoire la trame des événements passés. Pour goûter tout le sel de l'histoire, il faut en effet se rappeler que, pendant des années, le gouvernement a prétendu que la rétention pardon, le maintien des étrangers en zone internationale pendant des jours, voire des semaines, ne violait aucune règle de droit, bien qu'il eût lieu au mépris des dispositions de l'article 35 bis qui encadrent la rétention et en limitent strictement la durée, parce que prétendait-il la zone internationale n'étant pas la France, les lois françaises ne trouvaient pas à s'y appliquer (c'est ce que les juristes appellent le principe de la territorialité des lois) ! Il a fallu la perspective d'une condamnation par le tribunal de grande instance de Paris, saisi par cinq demandeurs d'asile pour séquestration arbitraire, pour l'inciter à déposer dans la précipitation l'amendement que l'on sait : comme par miracle, la zone internationale, rebaptisée zone de transit, a été tout à coup réincorporée au territoire national ; et non moins soudainement le gouvernement s'est montré préoccupé de combler au plus vite ce « vide juridique » dont il s'était accommodé pendant des années.
Mais la précipitation est mauvaise conseillère. Sans doute l'amendement Marchand a-t-il été facilement adopté à l'Assemblée nationale, le groupe socialiste n'y opposant qu'une faible résistance ; mais l'émotion suscitée hors de l'enceinte parlementaire parmi les associations de défense des droits de l'homme, relayées par la Commission consultative des droits de l'homme qui, à l'unanimité de ses membres, a fait connaître son opposition au projet, ont fini par troubler les députés socialistes, qui ont obtenu d'Edith Cresson qu'en contrepartie de leur vote positif elle saisisse elle-même le Conseil constitutionnel pour l'interroger sur la constitutionnalité des dispositions adoptées. Et c'est là que le gouvernement s'est trouvé pris au piège : car, soit par inconscience, soit par cynisme, sachant que ni la droite, favorable au texte, ni la gauche, ligotée par la solidarité gouvernementale et ses préoccupations électoralistes, ne s'aventurerait à saisir le Conseil constitutionnel, il avait non seulement sous-estimé les réactions sur le terrain politique, mais également mal ajusté son texte aux exigences pourtant connues du Conseil constitutionnel. De sorte qu'à partir du moment où celui-ci était saisi, il ne pouvait pas, compte tenu de sa jurisprudence antérieure, ne pas invalider le dispositif mis en place par l'amendement Marchand. Ce dispositif encourait de façon évidente la censure du Conseil constitutionnel pour deux raisons au moins : d'abord la durée du maintien, prononcé initialement pour vingt jours par l'administration elle-même, et susceptible d'être prolongé pendant dix jours par le président du tribunal administratif, paraissait manifestement excessive ; ensuite le choix du juge administratif était en contradiction tout aussi manifeste avec la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, qui estime que seule l'intervention de l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, est de nature à ôter à la privation de liberté le caractère d'internement arbitraire. Comme il était prévisible, le Conseil constitutionnel a invalidé le texte pour ces deux motifs, rappelant que le maintien supposait une intervention de l'autorité judiciaire dans les meilleurs délais, et que sa durée ne saurait excéder un « délai raisonnable ». Il a admis cependant que si le maintien en zone de transit portait atteinte à la liberté individuelle de l'intéressé, l'atteinte était moins grave que celle qui résulte du placement dans un centre de rétention, et que le législateur avait par conséquent la possibilité de prévoir d'autres règles sous-entendu moins strictes que celles qui régissent la rétention. On sait bien, pourtant, que les étrangers maintenus en zone de transit sont en pratique enfermés sous constante surveillance policière dans des chambres d'hôtel, de sorte que leur liberté de quitter à tout moment cette zone pour le pays de leur choix paraît bien théorique. Le gouvernement, en tout cas, ne manquera pas de tirer profit de cette lattitude qui lui est laissée. Le reste de la décision laisse la même impression ambiguë. D'un côté on se félicite de ce que le Conseil constitutionnel confirme que le droit d'asile est bien un principe de valeur constitutionnelle que le législateur doit respecter lorsqu'il définit les conditions d'admission des étrangers sur le territoire, et de ce qu'il reconnaisse au moins implicitement le droit pour le demandeur d'asile d'entrer sur le territoire français en vue de voir sa demande examinée par les instances compétentes dans tous les cas où celle-ci n'est pas « manifestement infondée » (tout dépend évidemment de ce qu'on met sous cette notion floue). D'un autre côté, on déplore que le Conseil constitutionnel ait laissé subsister la disposition qui permet d'infliger des amendes aux entreprises transportant des étrangers démunis de passeport et de visa, qui vont entraver la possibilité pour les réfugiés de quitter leur pays. Il lui était difficile, il est vrai, de la censurer, à partir du moment où il n'avait pas fait d'objection, lorsqu'il avait été saisi de la loi autorisant la ratification de la convention de Schengen, à l'article 26 de cette convention par laquelle la France s'est engagée à instaurer des sanctions à l'égard des transporteurs... Le contenu du projet de loi en préparation atteste l'impact limité de la décision du Conseil constitutionnel : l'hypothèse retenue en l'état actuel du projet est celle d'un délai maximum de vingt-quatre jours, dont vingt sur décision d'un magistrat du siège. Ce délai de vingt-quatre jours est-il vraiment plus « raisonnable » que le délai de trente jours précédemment retenu ? On peut en douter. Mais le gouvernement ne donnera sans doute plus cette fois au Conseil constitutionnel l'occasion de dire ce qu'il en pense ; et même s'il prenait le risque de le saisir, il serait difficile à ce dernier de désavouer deux fois de suite la représentation nationale.
Dernière mise à jour :
27-08-2000 17:45. |