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Plein Droit
n° 15-16, novembre 1991
« Immigrés :
le grand chantier de la dés-intégration »
Le droit au travail des demandeurs d'asile :
l'expérience de l'Allemagne
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Depuis le 1er octobre 1991, les étrangers
qui sollicitent en France la reconnaissance de la qualité de
réfugié ne bénéficient plus d'une autorisation
de travail. Le récépissé valable trois mois renouvelable
qui leur est délivré par la préfecture vaut seulement
autorisation de séjour, la situation de l'emploi leur est opposable.
La France met donc en place aujourd'hui un système que l'Allemagne,
après dix ans d'expérience, a fini par abandonner, l'estimant
inefficace et coûteux.
Les entrepreneurs, jusqu'au début du XXème siècle,
disposaient en Allemagne d'une entière liberté de recrutement.
Ce n'est qu'après la première guerre mondiale que l'Etat
a mis en place une organisation du marché de l'emploi étroitement
liée aux intérêts des nationaux et réglementant
par conséquent la main d'oeuvre étrangère.
Le principe de la « priorité aux nationaux »,
encore en vigueur aujourd'hui, est né dans les années
1918-19, suite à la demande des agriculteurs qui désiraient
faire venir des Polonaises pour les moissons. Cette demande fut acceptée
à la condition qu'il n'y ait pas de travailleurs allemands aptes
à faire le même travail. Les décisions d'admissibilité
étaient prises par un comité paritaire employeurs/salariés.
La première réglementation, élaborée en
1922 et légèrement modifiée en 1926, subordonna
toutes les décisions à l'accord du ministère du
Travail. En 1933 fut prise une ordonnance relative aux travailleurs
étrangers, dont les principes furent surtout l'opposabilité
de la situation de l'emploi, le renforcement des pouvoirs au niveau
local et la suppression des commissions paritaires, la décision
n'émanant donc plus que du pouvoir étatique.
Permettant une certaine flexibilité et l'importation de main
d'oeuvre étrangère en cas de besoin économique,
cette disposition resta en vigueur longtemps après la guerre
jusqu'en 1969.
Les besoins
de l'après-guerre
Le besoin de main d'oeuvre étrangère après la
deuxième guerre, lié au Plan Marshall de reconstruction
du pays détruit, conduisit la RFA a conclure des accords, notamment
avec l'Italie, la Turquie, l'Espagne et le Portugal, afin de faire venir,
jusqu'à l'automne 1973, environ 2,6 millions de travailleurs
immigrés : ainsi fut constituée une « armée
de réserve » pour des travaux pénibles, sales,
une armée que l'on pouvait diminuer en cas de baisse de l'activité
économique.
Du fait de ce besoin constant de main d'oeuvre, la politique d'asile
menée à l'époque fut une politique d'intégration
des demandeurs d'asile comme travailleurs étrangers sur le marché
de l'emploi ; l'autorisation de travail leur fut donc accordée
sans limites.
Mais en novembre 1973, à la suite d' une étude du ministre
du Travail, M. Arendt, publiée l'année précédente
et démontrant que les inconvénients liés à
l'immigration étaient équivalents aux avantages pour la
croissance, fut décidé l'« Anwerberstopp »,
l'arrêt total de tout recrutement de main d'oeuvre étrangère,
décision qui suscita de vives critiques. A la même époque,
on constata une explosion des demandes d'asile et, allant de pair, une
tension sociale de plus en plus forte due à la polémique
entre « vrais » et « faux »
demandeurs d'asile. C'est alors qu'apparut l'expression de « réfugié
économique ».
A partir du 1er avril 1979, la réglementation mise en place
subordonna de façon générale la délivrance
d'une autorisation de travail à une certaine durée de
présence sur le territoire allemand. De ce fait, les demandeurs
d'asile, directement touchés par cette nouvelle mesure, furent,
dans leur grande majorité, exclus du marché légal
du travail.
Néanmoins, étant donné la longueur de la procédure
de reconnaissance du statut de réfugié qui comprend l'examen
de la demande par l'Office fédéral, la possibilité
de faire un recours, puis de déposer éventuellement une
nouvelle demande suite à une décision négative,
les demandeurs d'asile finissaient par avoir une présence sur
le territoire suffisante pour y exercer légalement un emploi.
Une très forte augmentation
Force est de constater que le nombre de demandes d'asile avait considérablement
augmenté puisqu'il était passé de 4 100 en moyenne
par an de 1953 à 1973, à 9 429 en 1974 et à
107 818 en 1980, dont 53,71 % émanaient de ressortissants
turcs.
Dans la campagne contre les faux demandeurs d'asile, ce fort pourcentage
fut alors utilisé comme la preuve que le détournement
du droit d'asile était « un problème turc » :
la Turquie ayant été le pays le plus touché par
l'arrêt de l'immigration, il paraissait évident pour tout
le monde que ses ressortissants avaient utilisé la procédure
de demande d'asile pour entrer en Allemagne. Il n'était tenu
aucun compte de la situation dans laquelle se trouvait le pays depuis
le début des années 70.
La campagne électorale de 1980 fut l'occasion de violentes polémiques
à la suite desquelles le gouvernement, sous la pression des Länder
et de l'opposition chrétienne-démocrate, adopta une mesure
dite « d'urgence » dont le contenu fut, entre autres,
l'interdiction de travailler pour les demandeurs d'asile pendant leur
première année de séjour en Allemagne. Cette mesure,
avait pour but de réduire l'attrait que pouvait représenter
un pays riche pour des « demandeurs d'asile économiques ».
Dans un premier temps, les statistiques semblèrent donner raison
aux auteurs de cette décision : alors qu'en mai 1980, on
comptait encore 10 932 nouvelles demandes, ce chiffre tombait,
en avril 1981, à 2 338. Et surtout, le nombre de demandeurs
d'asile turcs passait de 57 913 en 1980 à 6 302 en
1981.
Précisons cependant que l'interdiction de travail fut accompagnée
de toute une série de mesures prises dans le cadre du programme
d'urgence, parmi lesquelles l'instauration d'un visa pour les principaux
pays de provenance des demandeurs d'asile, c'est-à-dire l'Alghanistan,
le Pakistan, le Sri-Lanka, le Bangladesh, l'Inde, l'Iran et surtout...
la Turquie.
L'interdiction de travailler alla de pair avec la suppression de l'allocation
de chômage pour les demandeurs d'asile. Ceux-ci ne furent plus
alors considérés comme chômeurs puisqu'ils n'étaient
plus disponibles pour le placement par l'Office du travail. La plupart
d'entre eux furent donc pris en charge par l'aide sociale, intitulée
« aide au coût de la vie », qui leur fut versée
en nourriture et prestations en nature et non en argent.
Des mesures d'assistance
Aussi, suite à cette mesure, le nombre d'étrangers dépendant
de l'aide sociale augmenta de 50 % et parfois davantage. En Bavière,
par exemple, avant l'interdiction de travailler, 14,1 % des demandeurs
d'asile dépendaient entièrement de l'aide sociale ;
ce chiffre passa à 41,3 % en 1980.
Les critiques les plus nombreuses portèrent surtout sur l'excès
de pouvoir commis par le ministre fédéral du Travail qui,
en modifiant le statut des demandeurs d'asile, avait considérablement
aggravé leurs conditions de vie, ce qui aurait dû faire
l'objet d'une modification législative. Par contre, aucune discussion
ne porta sur le fait de savoir si une telle mesure violait ou non les
droits fondamentaux des demandeurs d'asile.
La loi du 3 août 1981, dite « loi du temps d'attente »
disposait que « pour le premier emploi (...) l'autorisation
nécessaire est directement liée au fait que l'étranger
a séjourné, immédiatement avant la demande, pendant
une période qui ne peut pas être inférieure à
quatre ans, régulièrement sur le territoire ».
Pour les demandeurs d'asile, le délai d'attente obligatoire
fut fixé, après une violente polémique entre le
ministre de l'Intérieur et le ministre du Travail et des Affaires
sociales, à deux ans. Pour les demandeurs d'asile « privilégiés »,
c'est-à-dire ceux susceptibles de ne pas être expulsés,
malgré un rejet définitif de leur demande, pour des raisons
dites humanitaires, ce délai d'attente fut réduit à
un an.
En 1983, au vu de la diminution des demandes d'asile (19 737,
dont 4 669 provenant du bloc oriental), l'attente d'un an fut abrogée
pour ces « privilégiés » (y compris
les ressortissants d'Afghanistan). Pourtant, la situation de l'emploi
leur étant opposable (en vertu du principe de la priorité
des nationaux), sur les 10 000 Polonais résidant à
Berlin-Ouest, par exemple, seuls 5 à 8 % avaient des
contrats de travail conclus de manière légale.
Une contrepartie obligatoire
Suite à une nouvelle polémique concernant les coûts
que représentait pour la société cet abus du droit
d'asile des gens ne venant que pour bénéficier
de l'aide sociale le gouvernement décida de mesures
encore plus draconiennes, voire humiliantes. Les demandeurs d'asile, dans
un premier temps, n'eurent droit qu'à l'aide sociale, minimum indispensable
accordé sous forme de prestations en nature. Puis, après
que des études eurent démontré les graves conséquences
qu'une telle « condamnation au chômage » pouvait
avoir sur les individus concernés (dépressions, dégradations
sur le plan physique et psychologique, agressions, violence, ...),
les demandeurs d'asile se virent dans l'obligation d'effectuer des travaux
d'intérêt collectif (baptisés « aide au
travail ») pour le compte de l'Office d'urbanisme, tels que
le nettoyage des rues et des cimetières, pour un salaire dérisoire.
En cas de refus, les sanctions prévues étaient sévères,
la loi prévoyant que celui qui refusait d'effectuer un travail
qu'on pouvait équitablement exiger de sa part, perdait son droit
à l'« aide au coût de la vie ». Cette
loi avait pour but de lutter contre le chômage de longue durée.
On considérait en effet que les chômeurs vivaient si confortablement
avec l'allocation de chômage et avec l'aide sociale qu'ils préfèraient
ne pas accepter les offres faites par l'Office de l'emploi si elles ne
correspondaient pas à leur formation et au salaire qu'ils percevaient
auparavant.
Les tribunaux mirent fin à toute discussion avec un arrêt
rendu le 13 octobre 1983 : « un demandeur d'asile
qui désire l'aide sociale, peut être enrôlé
pour des travaux d'intérêt commun, lorsque le permis de
travail ne peut pas lui être accordé », ce
travail d'intérêt commun étant la contrepartie de
l'aide sociale accordée.
A l'encontre de nombreux avis rendus, y compris par l'organisation
internationale du travail (OIT), les administrations se servirent alors
des demandeurs d'asile en toute bonne conscience : à Berlin,
par exemple, entre juillet 1983 et juin 1985, 44 706
personnes recevant l'aide sociale se virent ainsi « invitées »
à effectuer ces travaux dits d'intérêt collectif.
Mais l'effet dissuasif tant attendu n'eut pas lieu ; les demandes
d'asile, après avoir diminué jusqu'en 1983, recommencèrent
à augmenter régulièrement :
1984 |
35 278
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1985
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73 832
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1986
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99 659
|
Aussi, sous la pression de l'opposition au sein du Bundesrat, le gouvernement
adopta, le 14 janvier 1987, une loi relative à la procédure
d'asile et au permis de travail, dont la constitutionnalité fut
vivement contestée.
Cette loi prévoyait une interdiction de travail pendant cinq
ans pour les demandeurs d'asile, et d'un an pour les « privilégiés »
(voir plus haut).
Mais si, comme le prétendaient les porte-parole politiques de
l'époque, le but recherché était la diminution
de la durée de la procédure de reconnaissance du statut
de réfugié, pourquoi une interdiction de travail aussi
longue ?
L'échec d'une politique
L'idée sous-jacente était que le « vrai »
demandeur d'asile ne pouvait qu'être d'accord avec cette interdiction
étant donné qu'il venait pour être protégé
et qu'en outre l'aide sociale lui garantissait un niveau de vie bien supérieur
à celui qu'il avait dans son pays d'origine. Seuls les faux demandeurs
d'asile pouvaient songer à porter plainte.
Les années suivantes ne vinrent pas vraiment confirmer cette
thèse.
1987
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57 379 nouvelles demandes
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1988
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103 076 (8,6 % acceptées)
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1989
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121 318 (4,9 % acceptées)
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1990
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entre 98 000 et 200 000 demandes selon
les estimations.
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Au vu de ces chiffres, le gouvernement reconnut que l'interdiction de
travailler n'était pas une mesure efficace pour séparer
le bon grain de l'ivraie. Aussi, en janvier 1990, fut votée
une nouvelle loi sur les étrangers, limitant l'interdiction de
travailler à un an.
Et le 16 janvier 1991, l'interdiction de travailler a été
entièrement abrogé. C'est certainement sous la pression
des employeurs face à un énorme besoin de main d'oeuvre
bon marché dans les domaines de l'agriculture, de la viticulture
et de l'alimentation, que le gouvernement a si rapidement inversé
sa politique vis-à-vis des demandeurs d'asile.
Il faut préciser cependant que chaque fois qu'une baisse sensible
des demandes d'asile s'est fait sentir, ce n'est pas exclusivement la
réglementation du travail qui en a été la cause, mais
également les mesures prises conjointement, c'est-à-dire
l'instauration des visas en 1980, l'accord conclu pour éviter
le flux des demandeurs d'asile venant sans visa par l'aéroport
Schoenefeld (Berlin-Est), en 1986, enfin, en 1987, l'obligation, pour
les entreprises de transport, de rapatrier dans les pays d'origine les
personnes dépourvues de papiers.
Même si, pour quelques demandeurs d'asile, l'interdiction de
travailler a été dissuasive, pour la grande majorité
d'entre eux elle ne l'a pas été ; elle n'a fait que
s'ajouter au long cortège de discriminations dont ils sont victimes,
comme l'obligation de prendre un logement dans des zones déterminées
(quotas par Land).
La dissuasion par l'adoption de dispositions telles que l'interdiction
de travailler n'est conforme ni à la Convention de Genève
(art. 17), ni à la Charte sociale européenne, ni
à la résolution votée par le Parlement européen
le 13 mars 1987 relative aux « pratiques abusives et
contraires aux droits de l'homme en matière de droit d'asile
dans quelques Etats membres ». Cette résolution qui
n'a, il est vrai, aucune valeur juridique, déclare en effet que
l'obligation de vivre dans des logements communs et l'interdiction de
travailler ne peuvent pas dépasser six mois sans porter atteinte
à la dignité humaine. Ce texte n'a malheureusement aucune
valeur juridique au niveau européen.
Et n'est-il pas paradoxal que la France supprime l'autorisation de
travail pour les demandeurs d'asile au moment où l'Allemagne,
constatant l'inefficacité d'une telle mesure, décide de
la rétablir ?
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Dernière mise à jour :
10-12-2000 18:02.
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