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Plein Droit
n° 15-16, novembre 1991
« Immigrés :
le grand chantier de la dés-intégration »
Portes ouvertes
dans quelques préfectures
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Immigrés, membres de famille d'un étranger
installé en France, demandeurs d'asile, étudiants étrangers,
travailleurs salariés, tous arrivent avec une certaine idée
de la France en tête. Très vite, cependant, cette idée
va être mise à l'épreuve de la réalité
sociale française.
L'accueil des étrangers, c'est à la fois des milliers
de rencontres informelles entre citoyens et nouveaux arrivants, l'immersion
dans une autre culture, mais c'est aussi des démarches formelles
exigées par l'administration et qui varient d'une part en fonction
des directives gouvernementales du moment, d'autre part des pratiques
quotidiennes à tous les niveaux : préfecture, centre
de réception, commissariat, mairie, sans oublier, pour les demandeurs
d'asile, l'Office français de protection des réfugiés
et des apatrides (OFPRA) et la commission des recours.
Une étude des conditions d'accueil dans les préfectures
de Nanterre, Versailles, Créteil et Bobigny, met en lumière
l'existence d'un réel pouvoir de la part des responsables qui,
sortant du cadre légal, peut aller des innombrables obstacles
dressés sur la route du demandeur à l'exigence de conditions
totalement abusives.
L'explosion des demandes d'asile en 1989 a amené les préfectures
à traiter un nombre grandissant de dossiers et, en juin
1990, le nombre d'étrangers se présentant chaque jour
au guichet a été de :
- 200 personnes à Paris
- 120 à Bobigny
- 300 à 400 à Créteil
- 130 à 150 à Nanterre
- 350 à Versailles.
Aucune augmentation de personnel, guichetiers ou fonctionnaires, n'ayant
suivi ce brusque accroissement des demandes, il a bien fallu faire preuve
d'imagination et inventer les moyens de gérer cette nouvelle situation.
Les mots-clés :
efficacité et rapidité
Constamment surmenés, les services des étrangers de certaines
préfectures reconnaissent l'existence de pratiques assez douteuses
qui font que l'on a tendance à privilégier l'efficacité
et la rapidité au détriment de l'examen individuel de chaque
dossier. Par exemple, de l'aveu même de certains responsables, les
invitations à quitter le territoire sont signées à
la chaîne après le rejet définitif de la demande d'asile,
sinon « tout le monde ferait un recours ».
Dans toutes les préfectures de Paris et de la région
parisienne, il existait un décalage entre la durée de
validité du récépissé et la durée
de l'instruction de la demande d'asile. Ce décalage était
favorable aux intéressés. Fin 1989, une liaison rapide
entre les préfectures et l'OFPRA a mis fin à cette situation :
la prolongation de l'autorisation de séjour pour un demandeur
d'asile débouté n'est en principe plus possible au-delà
du rejet par la commission des recours, la préfecture étant
avertie immédiatement de la décision de cette commission.
Au niveau de la pratique quotidienne, deux systèmes ont été
mis en place. D'une part une procédure accélérée
pour les nationalités ne présentant pas de difficultés,
c'est-à-dire les ressortissants de la CEE, les Américains
et les Japonais. Les « concitoyens » européens
ont ainsi droit à un traitement préférentiel puisque
non seulement ils sont reçus dans un bureau (« on ne
va pas les embêter en les faisant attendre avec tous les étrangers
en bas »), mais de plus l'entretien fait plutôt
figure de « prestation de service », vu la rapidité
de délivrance du titre de séjour. Certains pensent même
que « pour les ressortissants CEE, il vaudrait mieux installer
un distributeur automatique de cartes de séjour » !
L'autre volet, c'est l'introduction d'un système d'accueil sur
convocation. Cependant, étant donné que les personnes
reçues, malgré leur convocation, doivent attendre entre
une heure et demi (cas de Paris et d'Aubervilliers) et six heures (cas
de Bobigny), un certain doute subsiste quant à l'efficacité
d'un tel système.
A la préfecture de Paris, en 1989, il fallait encore
attendre quatre mois et demi pour avoir une convocation. Les conditions
d'accueil se sont améliorées et ce délai est actuellement
d'un mois.
Au centre d'accueil du boulevard Sébastopol, le dépôt
d'une première demande d'asile ne nécessite pas de convocation.
Dès 9 heures du matin, les demandeurs d'asile sont tenus de remplir
un formulaire de renseignements personnels pour obtenir, le même
jour, une autorisation provisoire de séjour ainsi qu'un dossier
à remplir et à transmettre à l'OFPRA.
A la préfecture de Bobigny, de l'avis de tous, « c'est
l'enfer » : les personnes sont convoquées pour
un jour donné, entre 9 heures et midi, sans autre précision
horaire. Aussi, dès 4 heures du matin, commencent à se
constituer de longues files d'attente pour... obtenir un numéro
d'ordre. Et il n'est pas rare qu'après une journée d'attente,
les personnes apprennent qu'elles ne seront pas reçues. Inutile
de dire que, pour une même démarche, les personnes doivent
revenir plusieurs fois.
Le spectacle quotidien de conditions d'accueil aussi déplorables
debout, en plein air a sans doute choqué
le personnel du TGI voisin et les avocats. Et ce n'est qu'à la
suite d'une mobilisation de ces derniers et d'une grève des services
de la préfecture l'hiver dernier qu'à eu lieu la grande
innovation : la construction d'une « salle d'attente »,
ne protégeant que de la pluie et ressemblant en fait beaucoup
plus à un clapier qu'à un endroit destiné à
accueillir les gens. Quant à son utilisation (heures d'ouverture,
nombre de personnes accueillies), elle est entièrement soumise
au bon vouloir de l'agent responsable de la clé.
A Créteil, l'obtention des visas touristiques, le renouvellement
des cartes de séjour, les premières demandes, ne nécessitent
pas de convocation. Celle-ci n'est délivrée que dans certains
cas particuliers : personnes âgées, dossiers difficiles.
En général, l'accès a lieu de la façon suivante :
à partir de 4 heures du matin, les étrangers se rassemblent
devant la préfecture alors que celle-ci n'ouvre ses portes à
8h30. Dès l'ouverture, c'est la ruée vers la porte d'entrée :
les plus sportifs auront de plus grandes chances d'être reçus,
les autres passeront plus tard ; quant aux femmes enceintes, aux
personnes accompagnées d'enfants en bas âge ou aux personnes
âgées, leur sort est des plus incertains.
Ce système a bien entendu suscité de vives critiques de
la part des administrés, mais il est toujours en vigueur.
A Nanterre, le système des convocations a été
mis en place en 1989. Il faut aujourd'hui prévoir un délai
de trois semaines pour un rendez-vous. Etant donné qu'environ
20 % des personnes convoquées ne se présentent pas
à la préfecture, un système de « sur-booking »
a été instauré avec une capacité d'accueil
de 20 % sans convocation.
A Versailles, à côté du chateau, l'accueil
des étrangers n'est guère royal : entre deux bâtiments
de la préfecture, qui se trouve actuellement en pleine transformation,
se dresse une tente qui fait office, provisoirement heureusement de
salle d'attente. Ceux qui ne viennent que pour des renseignements, sont
cependant reçus tout de suite.
Les étudiants : vrais ou faux ?
L'inscription dans un établissement d'enseignement est la condition
de l'obtention d'une carte de séjour mention « étudiant »
renouvelable tous les ans.
Pour faciliter les démarches, certaines préfectures (Paris,
Nanterre) ont passé des accords avec quelques établissements
d'enseignement (Paris V, VI, VII, Institut d'études politiques,
Institut catholique et quelques écoles privées) en vue
d'instituer une coopération dans le traitement des dossiers.
Le principe dit de la « cellule postale » est le
suivant : un étudiant étranger désirant étudier
en France doit envoyer un dossier d'inscription à la faculté
avec la justification des ressources, le certificat d'hébergement
et, le cas échéant, la preuve qu'il n'est pas ressortissant
de la CEE. Le dossier ainsi constitué est transmis aux services
de la préfecture. Après examen et acceptation, la carte
de séjour est délivrée dans un délai de
trois semaines.
On peut cependant se demander si cette coopération s'arrête
là ou si, par exemple, le personnel préfectoral chargé
de la transmission des dossiers a un droit de regard sur la crédibilité
des dossiers transmis. Les préfectures concernées ont
affirmé qu'il n'y avait aucune délégation de pouvoir.
Elles ont reconnu néanmoins que les dossiers « douteux »
pouvaient être signalés. Sur quelles bases ? Là,
les choses deviennent plus floues. Comme il n'existe aucun critère
légal préétabli, on s'appuie sur « la
connaissance des hommes en général » et sur
l'expérience professionnelle. Et on reconnaît qu'avec les
établissements d'enseignement privé, on recourt de temps
en temps à une « collaboration approfondie »,
ce qui n'est pas possible avec les universités publiques « malheureusement »
couvertes par une tradition de neutralité et de non-ingérence.
En effet, les préfectures se méfient davantage des étudiants
inscrits dans des établissements privés, ont plus souvent
tendance à mettre en doute la réalité de leurs
études, au point qu'à Créteil par exemple, les
cartes délivrées ne sont valables que six mois au lieu
d'un an pour les étudiants incrits dans le public. D'après
une étude non publiée, faite par les préfectures,
il y aurait 30 à 40 % de « faux » étudiants
chaque année.
Cette situation a conduit les préfectures à prendre en
compte de nouveaux critères d'appréciation de l'authenticité
des études suivies : la seule attestation d'inscription
ne suffit plus pour la prolongation de la carte de séjour. L'étudiant
devra désormais justifier d'un cursus cohérent et régulier ;
ni l'étudiant qui change trop souvent (droit - lettres modernes -
beaux arts - psychologie), ni « le maghrébin qui
vient étudier l'arabe en France » ne sont considérés
comme sérieux. On exige de toute façon des preuves d'assiduité
et de participation, voire de réussite aux examens.
Demandeurs d'asile :
l'adaptation à la réalité
La pratique préfectorale concernant les demandeurs d'asile a longtemps
reposé sur une fiction juridique : la nécessité
de justifier d'un domicile pour pouvoir déposer une demande. Cette
exigence a eu pour conséquence le développement, dans le
métro parisien, de tout un trafic de quittances et d'adresses pour
pouvoir présenter la sacro-sainte domiciliation. Lorsque la préfecture
s'est aperçue que, parfois, une vingtaine de personnes se réclamaient
du même logeur, elle a supprimé cette formalité et
désormais une simple déclaration suffit, les organismes
bénévoles pouvant assurer la domiciliation lors de la première
demande.
Concernant les demandeurs d'asile déboutés, avant la
circulaire de juillet 91, celle de 87 ne fixait aucun critère
de régularisation ; son application se faisait donc de manière
arbitraire. A Nanterre, par exemple, on reconnait que « ayant
entendu dire que la France avait besoin d'ingénieurs, on (avait
choisi les ingénieurs roumains pour les régulariser ».
Familles : la polygamie
en question
Le droit au regroupement familial est accordé en France à
deux conditions : que le demandeur ait un logement adapté
et qu'il ait des ressources suffisantes. Concernant les familles musulmanes,
même si le Conseil d'Etat a reconnu implicitement ce droit aux
familles polygames, dans la pratique les préfectures multiplient
les obstacles en exigeant des conditions de logement et de ressources
doubles des conditions réglementaires.
Nationalité : la « réforme »
des préfectures
En ce qui concerne l'acquisition de la nationalité française,
les préfectures ne se sont pas gênées pour entreprendre
leur propre projet de réforme après que les tentatives
de modification du code de la nationalité aient échoué.
Par exemple, à Nanterre, un jeune homme ayant vécu en
France toute sa vie, se rend à la préfecture trois semaines
après son dix-huitième anniversaire afin de faire une
déclaration de nationalité française ; on
lui affime qu'il va recevoir sa carte d'identité française.
Une semaine après, il reçoit une convocation de la préfecture
l'invitant « de manière urgente » à
venir muni d'une déclaration de répudiation de la nationalité
française. « Je ne suis pas bête, je sais très
bien que je suis déjà français. Mais, eux, ils
croient que je ne peux pas lire les lois qui s'appliquent ».
De même, à Bobigny, une personne française depuis
son dix-huitième anniversaire (article 44 du code de la
nationalité) se présente à la préfecture
pour faire une déclaration de nationalité. Mal reçue,
elle se voit remettre la liste des pièces à fournir pour
faire une demande de naturalisation !
La préfecture fait ainsi barrage à l'acquisition sans
formalité de la nationalité française à
18 ans, alors que les personnes auraient dû être orientées
vers le tribunal d'instance, seule autorité habilitée
à délivrer les certificats de nationalité française.
Interpellations guichet :
quel risque ?
En principe, un étranger qui n'est pas muni d'un titre de séjour
en France, peut faire l'objet d'un arrêté de reconduite
à la frontière pris par le préfet.
S'est donc posée la question du danger que représentait,
pour un étranger, le fait de se présenter spontanément
à la préfecture : risquait-il de se faire interpeller
au guichet et de se voir notifier un arrêté de reconduite
à la frontière ?
Théoriquement, une convocation équivaut à une
autorisation de séjour. Seule la préfecture de Bobigny
a utilisé les convocations comme piège : les gens
étaient convoqués en vue de la régularisation de
leur situation et interpellés dès leur arrivée
au guichet. Le ministre de l'Intérieur ayant souhaité
la fin de ses pratiques, il semble qu'elles aient disparu.
En fait, là comme ailleurs, les pratiques sont différentes
suivant les préfectures.
A Paris, l'individu se présentant à la préfecture
en situation irrégulière, sans convocation, aura toutes
les « chances » d'y être interpellé
(par exemple, « le Marocain clandestin qui vient pour des
renseignements sur l'obtention d'une autorisation de travail »).
Au Centre d'accueil des demandeurs d'asile de Réaumur
Sébastopol, des interpellations au guichet sont pratiquées
lorsque l'individu figure sur le fichier des personnes recherchées
ou s'il a déposé plusieurs demandes d'asile sous des noms
différents, mais qui s'avèrent grâce
à la comparaison des empreintes digitales recensées dans
un fichier informatique autorisé par la CNIL depuis 1990
correspondre au même individu.
A Créteil comme à Nanterre, on affirme
ne pas utiliser ce genre de pratiques.
A Versailles, la situation se présente autrement. Depuis
la décentralisation, ne sont accueillis à la préfecture
que les étrangers qui déposent leur première demande
de titre de séjour. Pour les renouvellements, les commissariats
se chargent de l'accueil puis transmettent les dossiers à la
préfecture ; celle-ci prend les décisions et les
communique aux commissariats qui ne font que l'exécuter. La collaboration
entre préfecture et commissariat peut s'avérer fructueuse
surtout quand les étrangers reçoivent une injonction à
quitter le territoire.
Reconduites à la frontière :
une efficacité maximum
Conformément aux consignes ministérielles, les préfectures
utilisent largement la notification par voie postale des arrêtés
de reconduite à la frontière, ce qui rend très
difficiles les recours devant le tribunal administratif. De toute façon,
même si un recours est fait et a abouti, « on fait systématiquement
appel devant le Conseil d'Etat contre les annulations d'arrêtés
et on les gagne tous ».
Il ressort de l'enquête que certaines préfectures dépensent
beaucoup d'énergie pour rendre la vie des étrangers encore
plus difficile, en ne leur donnant pas les renseignements nécessaires,
en multipliant les démarches inutiles, etc.
Des efforts notables ont cependant été faits qui montrent
bien que l'amélioration des conditions d'accueil relève
davantage d'une volonté et d'un état d'esprit que d'un
accroissement des moyens matériels.
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Dernière mise à jour :
27-12-2000 19:38.
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