Plein Droit n° 13, mars 1991
« Des visas aux frontières »
La signature, le 19 juin 1990, de la Convention d'application
de l'accord de Schengen de 1985 a été perçue comme
une étape majeure dans la construction de l'Europe qui doit normalement
être achevée le 31 décembre 1992. Néanmoins,
le nombre restreint de pays signataires, de même que le contenu
de certaines dispositions pose le problème de la conformité
de cette Convention avec le droit communautaire et de la manière
dont sera jugée cette compatibilité. À l'heure
actuelle, ce problème suscite quelques inquiétudes.
À l'origine de ces accords, on trouvait une déclaration
publiée à l'issue du Conseil européen de Fontainebleau
de juin 1984, dans laquelle les chefs d'État et de gouvernement
des États membres convenaient du principe d'une suppression des
formalités de police et de douane pour les personnes voyageant
à l'intérieur de la Communauté.
Mais parmi eux, seuls la RFA et la France, puis les pays du Bénélux,
ont décidé de concrétiser réellement cet
objectif, tout d'abord en signant le 14 juin 1985, l'accord de
Schengen, puis en adoptant sa Convention d'application annoncée
dans l'accord initial le 19 juin dernier. L'adhésion
de l'Italie s'est faite, elle, en novembre 1990, tandis qu'Espagne
et Portugal devenaient observateurs.
Peut-on alors estimer que cette Convention concerne directement la
CEE si six de ses États membres (c'est-à-dire le Danemark,
la Grèce, l'Espagne, l'Irlande, le Portugal et le Royaume-Uni)
en sont formellement exclus et que les normes communautaires s'appliquent
généralement sur l'ensemble du territoire de la Communauté ?
Certes, la Convention elle-même prévoit une procédure
d'adhésion et limite cette possibilité aux seuls États
membres mais, tant que cela n'a pas été fait, les effets
des dispositions qu'elle contient ne seront perceptibles que sur le
territoire de chacun des six États signataires et ne concernent
aucunement l'ensemble de la Communauté.
Ainsi, il convient de se demander si la publicité qui a été
consacrée lors de la signature de cette Convention n'a pas été
quelque peu exagérée car elle laisse un certain nombre
d'ambiguïtés qui méritent d'être soulignées
et qui constituent la conséquence directe des conditions dans
lesquelles cette Convention a été négociée
et qui ont été marquées par le secret, malgré
de nombreuses critiques.
Alors que la situation des migrants intra-communautaires est en constante
amélioration et tend de plus en plus vers leur assimilation aux
nationaux, le bilan qui peut être actuellement établi à
propos des migrants ressortissants de pays tiers, soit environ huit millions
de personnes, est encore loin d'être satisfaisant.
La plupart des décisions prises en la matière relèvent
encore de la compétence exclusive des autorités nationales,
et bien que la Commission dispose, sur le fondement des articles 118
et 235 du Traité de Rome, d'un pouvoir d'intervention sur
les problèmes posés par l'immigration en provenance des
États tiers, son action éventuelle se limite à
une simple harmonisation des législations nationales élaborées
et appliquées par des États qui, en tout état de
cause, restent protégés par le principe de la souveraineté
nationale.
Les interventions de la Commission ont été jusqu'à
maintenant très timides et n'ont consisté qu'en de simples
avis qui n'ont aucune force contraignante à l'égard des
États membres. Il en va de même pour le Conseil qui, composé
des ministres compétents en la matière, s'est cantonné
à de pures résolutions n'ayant qu'une valeur de déclaration
d'intention. La première d'entre elles date de 1974 et n'a donné
lieu à aucune concrétisation depuis lors...
Les seuls textes élaborés par les Communautés
qui puissent éventuellement provoquer un quelconque effet positif
en faveur des migrants ressortissants de pays tiers sont les accords
d'association ou de coopération, selon les cas
conclus entre la CEE d'une part, la Turquie, la Yougoslavie et les pays
du Maghreb d'autre part, qui, bien qu'ayant principalement un objet
commercial, contiennent chacun un certain nombre de dispositions relatives
à l'immigration et plus particulièrement à la protection
sociale.
La mise en vigueur des principes d'assimilation qui y étaient
posés était pendant longtemps conditionnée par
l'adoption de mesures d'application à propos desquelles les parties
signataires n'ont manifesté que très peu d'effort. Ils
restaient donc quasiment lettre morte et n'avaient qu'une valeur simplement
indicative et programmatique.
Cependant, un arrêt tout récent de la Cour de justice
des Communautés européennes (CJCE du 20 septembre
1990, aff. 192/89, « SEVINCE », non publié)
prévoit que certaines dispositions figurant dans des décisions
prises en application de l'accord d'association conclu entre la CEE
et la Turquie peuvent être invoquées directement par tout
justiciable concerné, même si ces décisions n'ont
pas été publiées.
La Cour motive un tel raisonnement en affirmant que la période
pendant laquelle ces dispositions ont une simple valeur programmatique
est désormais dépassée et que la plus grande efficacité
juridique doit leur être consacrée.
Bien qu'il soit encore trop tôt pour mesurer la portée
réelle de cet arrêt, il est cependant permis de conclure
à l'existence d'un premier pas vers une très nette ouverture
marquée par la Cour.
Dans ces conditions, il convient de se demander si cette ébauche
de jurisprudence sera de nature à donner une certaine impulsion
aux organes communautaires, et plus particulièrement à
la Commission, dans la construction de l'« Europe des étrangers ».
Plusieurs dispositions figurant au Traité de Rome, telles que
complétées par l'Acte unique européen, offrent
cependant la possibilité pour les instances communautaires de
développer, si elles le souhaitent, une politique communautaire
en matière d'immigration, même si celle-ci serait établie
en collaboration étroite avec les États membres qui restent
actuellement souverains.
L'article 8A prévoit que
« le marché intérieur comporte
un espace sans frontières intérieures dans lequel la
libre circulation des marchandises, des personnes et des capitaux
est assurée selon les dispositions du présent traité. »
Afin de garantir la meilleure efficacité à un objectif
d'une telle envergure, l'article 235 précise que
« si une action de la Communauté apparaît
nécessaire pour réaliser, dans le fonctionnement du
marché commun, l'un des objets de la Communauté, sans
que le traité ait prévu les pouvoirs d'action requis
à cet effet, le Conseil, statuant à l'unanimité
sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement
européen, prend les dispositions appropriées. »
Dans le cas où une telle action serait engagée, les organes
communautaires interviendraient par voie de directives adoptées
sur le fondement de l'article 100 du Traité, c'est-à-dire
en harmonisant les législations nationales.
Enfin, l'article 118 du Traité confère à
la Commission un pouvoir général d'intervention en matière
sociale. Cela peut bien entendu concerner directement les travailleurs
ressortissants des pays tiers.
C'est au titre de l'article 235 qu'une Convention concernant les
demandes d'asile a été décidée tout récemment
et qu'une autre relative à la politique des visas aurait dû
intervenir avant la fin de l'année 1990.
Le bilan qui peut aujourd'hui être dressé à propos
d'une éventuelle politique communautaire menée par les
organes de la Communauté est par conséquent très
faible.
Serait-ce par volonté de compenser ces lacunes que l'adoption
de l'accord complémentaire de Schengen a été présentée
comme une étape déterminante dans la construction du Marché
commun prévu pour le 31 décembre 1992 ?
Afin de tenter de répondre à cette question, il convient
tout d'abord de mesurer la portée réelle de cette Convention
par rapport au droit communautaire positif, indépendamment de
toute la publicité qui lui a été accordée.
L'adoption de normes communautaires est régie par des règles
spécifiques figurant au Traité de Rome, indépendantes
de celles normalement suivies au cours de la conclusion d'accords internationaux
classiques.
En effet, la procédure est marquée par une collaboration
étroite entre les différents organes communautaires, certains
représentant les intérêts des États membres
(le Conseil, notamment), d'autres uniquement ceux de la Communauté
prise dans son ensemble (la Commission, principalement). Enfin, la participation
d'autres instances, telles que le Parlement européen, est obligatoire,
même si son rôle est purement consultatif.
Depuis l'adoption de l'Acte unique européen, la plupart des
décisions sont prises à la majorité qualifiée,
en tenant compte d'une pondération des voix en fonction de l'importance
de la population des États membres, mais certaines matières
restent cependant soumises à la règle de l'unanimité,
notamment la libre circulation des personnes.
Une fois qu'une norme a été adoptée, celle-ci
s'applique en principe sur l'ensemble du territoire de la Communauté,
sans aucune réserve et indépendamment des règles
nationales existantes qui doivent par conséquent être abrogées
dans le cas où elles sont contraires à la nouvelle règle,
conformément au principe constant de la primauté du droit
communautaire.
L'une des missions confiées à la Cour de justice des
Communautés européennes, siégeant à Luxembourg,
est de veiller à une bonne application uniforme de l'ensemble
de ces normes et à leur conformité aux règles figurant
au Traité de Rome.
Dans ces conditions, on voit mal comment la Convention de Schengen
pourrait être qualifiée de norme du droit communautaire,
puisque six des douze États membres en sont formellement exclus
et que la procédure normalement en vigueur n'a nullement été
suivie.
La Commission n'est pas intervenue en tant que telle (si ce n'est apparemment
pour fournir un certain soutien « logistique »...),
le Parlement européen a été totalement écarté
de toute consultation (il s'en est d'ailleurs plaint à plusieurs
reprises... en vain) et la Convention a été signée
directement par les représentants des ministres concernés,
sans siéger en Conseil qui aurait dû normalement réunir
les ministres des Douze.
Même si la Convention prévoit expressément la possibilité
pour les États membres de la CEE d'y adhérer, ils devront,
le cas échéant, l'accepter comme telle et resteront ainsi
définitivement écartés de la phase de négociation.
Pratique inconnue du droit communautaire...
Enfin, la mise en vigueur de la Convention de Schengen est soumise
à la procédure de ratification à l'intérieur
de chacun des pays signataires. C'est dire qu'elle relève du
droit international classique et non pas du droit communautaire !
Bien que, sur le plan juridique, il soit impossible d'affirmer que
la Convention de Schengen constitue une norme de droit communautaire
en tant que telle, certains indices permettent cependant de penser que
son adoption marque une étape dans la construction de l'Europe,
au moins sur le plan politique, et que son contenu révèle
dès maintenant quelle sera la teneur d'une politique communautaire
encore à peine ébauchée en matière d'immigration
en provenance des pays tiers.
La participation, au moins indirecte, et le soutien actif manifesté
par la Commission n'y sont d'ailleurs pas étrangers.
Il ressort de la lecture de la Convention que les pays signataires
ont, comme la Commission, pour l'élaboration d'une véritable
politique communautaire, limité leur accord à la mise
en place d'un simple mécanisme de coordination, sans abandonner
leur part de souveraineté à laquelle ils restent tous
très attachés.
Néanmoins, cette intention de semi-intégration politique
de la Convention de Schengen dans le bloc de la légalité
communautaire provient également des pays signataires puisqu'ils
y font référence à plusieurs reprises au sein même
de la Convention.
Ainsi, ceux-ci ont limité la possibilité d'adhésion
ultérieure aux seuls États membres de la Communauté
(article 140).
Mais surtout, l'article 134 prévoit que
« les dispositions de la présente Convention
ne sont applicables que dans la mesure où elles sont compatibles
avec le droit communautaire. »
et l'exigence d'une telle conformité est garantie par les dispositions
de l'article 142 al.2 qui précisent que
« les dispositions qui sont contraires à
celles convenues entre les États membres des Communautés
européennes sont adaptées en tout état de cause. »
Les pays signataires reconnaissent ainsi que l'ensemble des normes
du droit communautaire c'est-à-dire les règles
figurant au Traité de Rome, les règles prises en application
de celles-ci, ainsi que l'interprétation qui leur en a éventuellement
été donnée par la Cour de justice ont
une valeur hiérarchiquement supérieure à celles
que l'on trouve dans la Convention de Schengen et qu'elles ne devront
se heurter à aucun obstacle tel que l'application d'une norme
de rang inférieur contraire.
Qu'en est-il par conséquent de la conformité de la Convention
de Schengen au droit communautaire ?
Nous savons déjà que l'éventail des normes de
droit communautaire applicables en matière d'immigration en provenance
des pays tiers est très faible et qu'il offre ainsi très
peu de références pour procéder à un tel
examen.
Cependant, plusieurs dispositions contenues dans la Convention de Schengen
semblent déjà être en contradiction au
moins partielle avec les règles actuellement en vigueur
dans la Communauté.
Tout d'abord, l'article premier définit l'étranger
comme
« toute personne autre que les ressortissants
des États membres des Communautés européennes. »
Puisque la Convention ne s'applique néanmoins pas à six
des États membres de la CEE, une telle définition a pour
effet de créer trois catégories de migrants : les
ressortissants des pays signataires, les ressortissants des États
membres de la CEE non signataires mais éventuellement parties
contractantes ultérieures dans le cas où ceux-ci décideraient
d'adhérer à la Convention, et enfin les ressortissants
des pays tiers.
C'est à propos de la distinction découlant des deux premières
catégories que la conformité de la Convention de Schengen
au droit communautaire est très discutable puisqu'il est un principe
fondamental que le Traité de Rome a pour objectif de créer
un espace européen ne contenant aucune discrimination exercée
en raison de la nationalité (article 7).
Il ne saurait exister aucune règle de droit communautaire qui
s'appliquerait seulement à une partie du territoire de la Communauté
et qui en exclurait une autre. Une telle pratique aurait pour effet
d'annihiler entièrement les objectifs fixés dans le Traité
de Rome ; c'est pourquoi elle est absolument prohibée.
Ensuite, dans le cadre du traitement de la demande d'asile d'un membre
de la famille d'une personne à qui le statut de réfugié
et le droit de séjour ont déjà été
reconnus, l'alinéa 2 de l'article 35 de la Convention
définit comme membre de la famille
« le conjoint ou l'enfant célibataire
de moins de dix-huit ans du réfugié ou, si le réfugié
est un enfant célibataire de moins de dix-huit ans, son père
ou sa mère. »
Ceci est également en contradiction avec la notion de regroupement
familial telle que reconnue en droit communautaire qui est beaucoup
plus large qu'une telle définition puisqu'elle regroupe le conjoint,
les descendants de moins de vingt-et-un ans, les descendants de plus
de vingt-et-un ans s'ils sont à charge ainsi que les ascendants
(et leur conjoint) qui sont à charge, quelle que soit leur nationalité,
que ce soit celle d'un État membre ou celle d'un État
tiers.
Enfin, la Convention de Schengen crée une catégorie juridique
d'étrangers : les étrangers signalés aux fins
de non-admission.
Aux termes de la définition donnée dans l'article premier,
il s'agit de
« tout étranger signalé aux
fins de non-admission dans le Système d'Information Schengen
conformément aux dispositions de l'article 96. »
Le régime posé à l'égard de cette catégorie
d'étrangers est très sévère puisque
« un signalement dans le Système d'Information
Schengen a le même effet qu'une demande d'arrestation provisoire »
(article 64)
et que
« lorsqu'une partie contractante envisage de
délivrer un titre de séjour à un étranger
qui est signalé aux fins de non-admission, elle consulte au préalable
la partie contractante signalante et prend en compte les intérêts
de celle-ci ; le titre de séjour ne sera délivré
que pour des motifs sérieux, notamment d'ordre humanitaire ou
résultant d'obligations internationales » (article 25).
Le seul fait d'être fiché sur la liste de signalement
confère à la personne concernée un statut distinct
de celui des autres étrangers et restreint automatiquement son
droit de circulation.
Ainsi, le principe applicable à cette catégorie de personnes
est l'interdiction de séjour, l'exception, l'autorisation.
Un tel effet est contraire au droit communautaire qui connaît
une interprétation très restrictive de la notion d'ordre
public permettant de justifier une mesure d'éloignement.
En effet, les notions d'ordre public, de sécurité publique
et de santé publique ont fait l'objet d'une directive (Directive
du 25 février 1964, J.O. n° L 56 du 4 avril
1964) qui tend à limiter toute éventuelle appréciation
discrétionnaire portée par les États membres et
à rappeler qu'en tant que dérogation au principe fondamental
de libre circulation des personnes prévu par le Traité
de Rome, la notion d'ordre public doit être interprétée
strictement, sous contrôle des institutions de la Communauté.
Ainsi, même si la Cour de justice reconnaît que le contenu
de la notion d'ordre public varie d'un État membre à un
autre (CJCE 4 décembre 1974, aff. 41/74, « VAN
DUYN »), celle-ci suppose néanmoins
« l'existence, en dehors du trouble social
que constitue toute infraction à la loi, d'une menace réelle
et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental
de la société » (CJCE 27 octobre
1977, aff. 30/77, « BOUCHEREAU »).
et qu'un certain nombre de conditions cumulatives soient réunies.
Tout d'abord, toute décision justifiée par l'ordre public
doit être motivée afin de mettre l'intéressé
« en mesure d'assurer utilement sa défense »
(CJCE du 28 octobre 1975, aff. 36/75, « RUTILI »).
Mais surtout, la mesure doit être fondée
« exclusivement sur le comportement personnel
de l'individu qui en fait l'objet et la seule existence d'une condamnation
pénale ne peut automatiquement motiver une telle mesure »
(article 3 de la directive du 25 février 1964, précitée).
Dans ces conditions, on voit mal comment le régime applicable
aux étrangers signalés aux fins de non-admission conformément
aux dispositions de la Convention de Schengen peut être considéré
comme compatible avec le droit communautaire.
Cela est évident pour le cas où, bien qu'étant
ressortissante d'un État membre de la Communauté et par
conséquent non considérée comme étrangère
au sens de la Convention de Schengen, une personne relevant d'un pays
non signataire figurerait sur la liste de signalement et se verrait
appliquer le régime qui en découle, malgré le principe
de non-discrimination posé par l'article 7 du Traité
de Rome.
Mais il risquerait d'en être également ainsi à
propos des étrangers ressortissants des pays tiers. En effet,
même si, jusqu'à maintenant, la notion d'ordre public telle
que précédemment décrite a été développée
uniquement au sujet des migrants intra-communautaires, la position des
instances communautaires et notamment de la Cour de justice pourrait
très bien être identique pour les migrants en provenance
des pays tiers en raison de la grande sévérité
des principes qu'elles ont toujours manifestée sur la question.
Si telle n'était pas leur position, les conséquences
seraient alors très graves puisqu'on verrait apparaître
un régime à deux vitesses, l'un s'appliquant aux migrants
communautaires, l'autre aux migrants des pays tiers.
De fait, nous sommes déjà dans cette situation, mais
il serait dangereux de la voir entérinée par la Cour de
justice.
Il apparaît utile de rappeler à cet égard que la
Cour a tout récemment fait preuve d'une très grande ouverture
en reconnaissant que certaines dispositions figurant dans des décisions
prises en application de l'accord d'association conclu avec la Turquie
pouvaient être directement invoquées en tant que telles
par tout particulier, et qu'il n'était pas utile d'attendre que
d'autres dispositions d'application, plus précises, soient adoptées
(arrêt « SEVINCE », précité).
Nous savons déjà que la Convention de Schengen ne constitue
pas une norme de droit communautaire mais une simple convention internationale
classique produisant des effets à l'égard des seuls pays
signataires. Il en résulte que son application échappe
entièrement au contrôle juridictionnel de la Cour de justice.
Certes, l'article 142 al. 2 prévoit que
« les dispositions qui sont contraires à
celles convenues entre les États membres des Communautés
européennes sont adaptées en tout état de cause »
mais le fait de confier le contrôle de l'application de la Convention
à un « Comité exécutif » dépourvu
de tout pouvoir contraignant affaiblit de façon substantielle
l'efficacité de l'obligation de compatibilité des dispositions
de la Convention de Schengen avec le droit communautaire, et laisse
aux États signataires une grande marge de pouvoir discrétionnaire.
Ils ont d'ailleurs déjà commencé lors de la rédaction
même de la Convention...
Pourtant, se référer au droit communautaire dans le corps
même de la Convention, c'est reconnaître que celle-ci a
une valeur inférieure aux règles de la CEE et que toute
mesure contraire doit être abrogée, soit explicitement,
soit implicitement, en ne lui faisant produire aucun effet et en appliquant
tout simplement la norme de rang supérieur.
Mais puisqu'aucun organe juridictionnel international ayant de réels
pouvoirs ne sera compétent pour veiller à la bonne application
des principes contenus dans la Convention de Schengen et à leur
conformité aux normes communautaires, il appartiendra au juge
national d'accomplir cette mission, une fois bien entendu que celle-ci
aura été ratifiée dans le pays signataire concerné.
En ce qui concerne la France, la position du juge judiciaire, interrogé
sur la compatibilité d'une disposition de la Convention avec
une norme de droit communautaire, ne devrait pas poser de problème
particulier puisque, dès 1975, la Cour de cassation a admis sans
ambiguïté le principe de la supériorité du
droit international sur une loi interne contraire et qu'une telle position
n'a jamais été remise en cause depuis cette date.
En revanche, le Conseil d'État risque de faire preuve de plus
de réticences, ce qui est d'autant plus alarmant qu'en la matière,
c'est la juridiction la plus souvent amenée à statuer
sur d'éventuels litiges. Un espoir est cependant permis depuis
un arrêt récent (dit « NICOLO ») de novembre
1989, qui a enfin reconnu la même efficacité au droit international
que la Cour de cassation.
Normalement, le Conseil d'État ne devrait pas revenir sur sa
position antérieure. Mais sera-t-il assez audacieux pour éventuellement
remettre en cause de façon suffisamment tranchée des pratiques
menées sur le fondement d'une convention internationale négociée
dans le secret absolu ?
C'est sur ce point qu'il est permis de manifester dès aujourd'hui
certaines préoccupations.
Dernière mise à jour :
11-07-2001 11:16.
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