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Plein Droit n° 5, novembre 1988
« Immigrés :
police, justice, prisons »
George Pau-Langevin
La loi de 1972 contre le racisme avait présenté
un premier pas dans la voie d'une répression accrue des actes
racistes. La loi du 3 janvier 1985 fait un pas supplémentaire
en permettant aux associations de se porter partie civile dans le cas
où des violences ont revêtu un caractère raciste.
C'est un premier bilan d'application de cette loi qui est tenté
ici.
Voir aussi l'encadré
« Vous avez dit racistes ? »
La loi de 1972 avait établi dans le droit français un
système juridique permettant pour la première fois de
réprimer des comportements et des propos répréhensibles
à caractère raciste. Elle permettait, d'une part, d'incriminer
des propos ou des articles de presse injurieux, diffamatoires, ou constituant
une provocation à la haine envers une personne ou un groupe de
personnes. D'autre part, elle réprimait également des
comportements se révélant discriminatoires dans l'emploi,
dans le logement ou dans une offre de service.
Certes, grâce notamment à l'action des associations, ces
textes ont permis de stigmatiser bien des gestes ou des écrits
inacceptables. Toutefois, les organisations anti-racistes ainsi que
les mouvements d'immigrés estimaient parfaitement insuffisant
de ne pouvoir intervenir et notamment déclencher des poursuites
que dans les hypothèses prévues et de devoir demeurer
l'arme au pied lorsque les faits étaient plus graves, quand par
exemple, une dispute avait dégénéré en bagarre
meurtrière.
Dans ces derniers cas, le soutien des mouvements ou organisations anti-racistes
ne pouvaient s'exercer qu'officieusement, de sorte que non seulement
le meurtrier n'était fréquemment pas retrouvé,
mais lorsqu'il l'était, il pouvait soit être acquitté,
soit bénéficier d'une indulgence tout à fait scandaleuse.
C'est ainsi par exemple, que fut acquitté à Flers, un
homme qui avait tiré des coups de feu dans un café algérien.
Les mouvements de jeunes, notamment, se sont montrés indignés
de voir quelqu'un qui avait tué ou blessé un jeune être
condamné bien plus légèrement que l'un de ceux-ci
s'il commettait un délit mineur.
Des mouvements ont donc multiplié les démarches pour
obtenir une incrimination spécifique des violences racistes et
la possibilité pour eux d'intervenir en justice. Il a été
long d'obtenir satisfaction compte tenu des obstacles juridiques existant
en la matière. En effet, on aurait pu imaginer de créer
une circonstance aggravante tenant à l'intention ou au contexte
raciste, mais cette idée a du être abandonnée. Car
pourquoi retenir celle-ci et non pas, comme le souhaitent d'autres catégories
sociales, une circonstance aggravante pour le meurtre d'un chauffeur
de taxi ou d'un vieillard ? Par ailleurs, quelle incidence pour
le crime aurait eu une telle circonstance aggravante : allait-on
rétablir la peine de mort ? Et comment caractériser
les éléments permettant de retenir cette condition ?
Dans cette incertitude le ministère a retenu la solution la plus
pragmatique, se contentant de donner aux associations luttant contre
le racisme la possibilité de se constituer partie civile lorsque
les violences en cause semblaient ressortir d'une intention ou d'un
comportement raciste.
La loi du 3 janvier 1985 s'est donc contentée d'énumérer
les circonstances dans lesquelles les associations pourraient intervenir,
en leur donnant le pouvoir d'agir lorsque les violences, qu'il s'agisse
de crimes, de coups et blessures ou d'autres délits, ont été
commises au préjudice d'une personne « à
raison de son origine nationale, de son appartenance ou de sa non-appartenance
vraie ou supposée, à une ethnie ou race ou une religion
déterminée ». La définition apparaît
suffisamment compréhensive pour permettre de recouvrir la plupart
des comportements racistes habituels, et supprimer nombre de discussions
auxquelles avaient donné lieu les précédentes applications
de la loi de 1972.
Il convient de souligner que, l'action des associations se fondant
sur un idéal à caractère général,
elles sont dotées d'un droit propre, indépendant de l'accord
de la victime. La possibilité d'agir a été encore
élargie en juillet 1987 à toute personne morale concernée
par la lutte contre la discrimination. Si donc l'association ne peut
en principe se voir opposer son irrecevabilité, encore faut-il
que le dossier et les pièces réunies permettent de mettre
en évidence le mobile de l'action reprochée.
En attendant l'élargissement dans les textes, les associations
avaient tâché d'utiliser divers moyens pour ne pas demeurer
impuissantes face aux violences racistes. D'abord, bien évidemment,
l'action sur le terrain, dans la presse, peut permettre de ne pas laisser
passer sous silence des actes odieux.
Il convient d'ailleurs, pour ne pas être injuste, d'indiquer
que fréquemment les motivations racistes, lorsqu'elles apparaissaient
dans le dossier, étaient prises en compte, voire même soulignées
par les magistrats pour éclairer le caractère inacceptable
des actes commis. Ainsi le tribunal de grande instance de Bergerac,
le 27 août 1984, avait stigmatisé à l'audience
le racisme d'un inculpé, qui avait une première fois renversé
avec son véhicule un jeune maghrébin qu'il ne connaissait
pas, et une deuxième fois attaqué à coups de maillet
un jeune Marocain de quatorze ans, qui s'était trouvé
sur sa route un jour où il avait décidé de « casser
de l'arabe ».
Le plus souvent toutefois, deux possibilités avaient surtout
été employées :
-
L'association pouvait d'abord tenter de se constituer partie civile
sur le fondement de l'art. 2 du Code de procédure pénale,
qui, d'une manière générale, permet à
tous ceux qui ont souffert d'une infraction, de déclencher
les poursuites et d'intervenir à la procédure. L'association
devait alors démontrer qu'elle avait subi un préjudice
direct dans son objet social de par les faits poursuivis. C'est
ainsi que la LICRA a été déclarée recevable
par le tribunal de grande instance de Paris, le 27 avril 1982,
pour des coups et blessures volontaires à caractère
antisémite.
- Par ailleurs, le caractère raciste d'un acte ressortant
souvent de propos ou de comportements tenus au moment de l'agression,
une plainte distincte de ce chef peut être déposée,
le parquet préférant d'ailleurs souvent cette dichotomie
dans la mesure où les procédures relevant du droit de
la presse font l'objet de restrictions et de règles tout à
fait distinctes. Mais la deuxième procédure introduite
n'est pas forcément jointe au dossier principal, et quand elle
l'est, le résultat est rarement concluant.
Ainsi, le tribunal de grande instance de Créteil, le 28 septembre
1983, dans une espèce où des Algériens avaient
été chassés avec violence d'un centre commercial
au motif que ce dernier était interdit aux Arabes, avait certes
condamné pour les violences, mais avait débouté
le MRAP, les éléments du délit de provocation à
la discrimination n'étant pas, selon lui, réunis.
De la même façon, le tribunal de grande instance de Grenoble,
le 16 octobre 1986, a condamné pour violences légères
un instituteur pour avoir giflé un élève en déclarant
« ce ne sont pas les Arabes qui vont faire la loi ici »,
mais l'a relaxé du chef de provocation à la discrimination
raciale, et a débouté, en conséquence, le MRAP
et la LICRA plaignants.
Depuis le vote de la loi, il est donc possible aujourd'hui d'épauler
la victime dès le déclenchement de l'affaire, de l'assister
durant les embûches de l'instruction, et à l'audience de
faire véritablement ressortir l'importance, la gravité
des faits. Une des premières applications de ce texte, fut faite
par la Cour d'Assises de la Loire-Atlantique appelée à
juger Frédéric Boulay qui avait abattu au fusil plusieurs
clients d'un salon de thé turc de Châteaubriant. De même,
le MRAP est intervenu devant la Cour d'Assises du Tarn-et-Garonne avec
d'autres associations anti-racistes, la LICRA et la LDH notamment, au
cours du procès des auteurs du meurtre d'un jeune Algérien
dans le train Bordeaux-Vintimille. Dans les deux cas, les agresseurs
ont été condamnés à la réclusion
à perpétuité.
Les associations sont également présentes au Puy, aux
côtés des familles d'immigrés abattus par leurs
voisins français en 1985 au cours d'une fête familiale.
Elles le sont également à Chambéry pour une expédition
punitive menée à deux reprises dans un café algérien.
Il n'est toutefois pas facile de faire appliquer ces textes car fréquemment
les éléments qui font apparaître la motivation raciste
d'un acte ne sont pas relevés au dossier ; parfois même,
le caractère raciste est seulement vraisemblable compte tenu
du fait que dans le dossier ils sont inexpliqués. Ainsi, de l'agression
d'un maghrébin à Hyères en juin 1985 par trois
jeunes en voiture, ou encore, du meurtre à Marignane d'un ouvrier
algérien tué d'une balle perdue au moment où il
passait devant la maison d'un ancien légionnaire.
Souvent, également, les données de fait ayant précédé
l'agression sont suffisamment complexes pour que puissent être
mis en avant d'autres facteurs tels que l'idéologie sécuritaire,
l'hostilité contre les jeunes, le bruit, la fatigue, la chaleur...
Les victimes elles-mêmes n'osent pas toujours faire ressortir
la composante raciste, craignant d'indisposer la juridiction devant
laquelle elles se présentent. Parfois, à l'audience, les
auteurs, mieux conseillés, récusent farouchement les propos
discriminatoires ou méprisants qu'ils ont pu tenir au moment
des faits. Ainsi, le 20 mars 1985 à Menton, un jeune Martiniquais
est blessé et un maghrébin tué, l'agresseur ayant
reproché précédemment à la jeune femme avec
qui ils discutaient de sortir avec des « bougnoules ».
Au procès, face aux associations, il a protesté de son
anti-racisme.
C'est ce qui explique l'existence d'un hiatus considérable entre
les meurtres et les agressions dans la presse ou recensés par
les associations anti-racistes et les cas qui ont fait l'objet de décisions
judiciaires.
Enfin, un grand nombre de comportements ne peuvent que difficilement
recevoir une qualification juridique. Ainsi à Haubourdin (Nord),
un jeune homme a été tué après qu'un admirateur
du Front National ait planté devant son immeuble une croix portant
un insigne nazi et l'inscription « Mort au bougnoules, vive
Le Pen ». Le meurtrier a été poursuivi, mais
le « planteur de croix » cité pour provocation
à la haine a pu obtenir sa relaxe, grâce aux complexités
de la loi sur la presse.
De la même façon, à Nevers, le 3 avril 1987,
pour une agression collective contre un maghrébin, les auteurs
des coups ont bien été condamnés pour coups et
blessures volontaires, mais le MRAP débouté car le caractère
raciste des faits n'était pas suffisamment établi.
Si les associations ne sont donc plus aujourd'hui juridiquement désarmées
face aux violences racistes, force est de constater qu'elles ont énormément
de mal à faire appliquer la loi. Et cela, au moment même
où, en raison du climat général, leur concours
est très souvent trop souvent, serait-on tenté
de dire sollicité.
Dernière mise à jour :
1-05-2001 18:51.
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