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Cimade, CSE, CSUR, FASTI, GISTI, MRAP, RESF, SM

Lettre ouverte
sur les mineurs étrangers isolés

 

A l’attention de :

  • Mesdames et Messieurs les Présidents des Conseils généraux

  • Monsieur Jean-Louis Borloo, ministre de l’Emploi,
    de la Cohésion sociale et du Logement

  • Madame Catherine Vautrin, ministre déléguée
    à la Cohésion sociale et à la Parité

  • Monsieur Philippe Bas, ministre délégué à la Sécurité sociale, aux Personnes âgées, aux Personnes handicapées et à la Famille

  • Madame Dominique Versini, défenseure des enfants

Irruption de tentes dans le paysage parisien depuis plus d’une année, initiative des Enfants de Don Quichotte, évolution vers un droit au logement opposable, rappel d’un long passé de luttes en faveur des sdf à l’occasion du décès de l’Abbé Pierre. Depuis quelques mois, l’actualité ne cesse de rappeler les droits et les besoins vitaux des sans-domicile.

Dans cette effervescence salutaire, la question spécifique des mineurs étrangers isolés n’émerge guère. Pourtant, les difficultés ne leur sont pas épargnées. Depuis qu’en 1984, l’aide sociale à l’enfance a été décentralisée et se trouve placée sous l’autorité des présidents des Conseils généraux, les mineurs étrangers isolés sont souvent perçus, notamment là où ils se trouvent en nombre, comme un fardeau budgétaire. Et, parce qu’il est plus facile de réaliser des économies sur leur dos que sur celui d’administrés qui pourraient avoir du répondant, on constate un peu partout l’existence de dispositifs quantitativement insuffisants et qualitativement inadaptés, quand ils fonctionnent. Quelles que soient les dépenses en la matière, elles sont très en dessous des besoins.

Pour ne prendre que deux exemples de cette triste réalité, à Calais comme à Paris, des dizaines de mineurs étrangers, surtout afghans, mais aussi notamment irakiens, iraniens ou somaliens, errent en permanence et depuis des années dans les rues sans faire l’objet de la moindre prise en charge publique. Grosso modo, les Aides sociales à l’enfance (ASE) ferment les yeux ou, quand elles sont contraintes de les ouvrir, opposent mille arguments à ce qui est pourtant l’évidence : ces mineurs relèvent de l’obligation de protection de l’enfance en danger. Quant à l’Etat, pourtant chargé par la loi de décentralisation du contrôle de la légalité, il affecte une bienveillante neutralité, se contentant, par l’entremise des directions départementales de l’action sanitaire et sociales (DDASS), d’attribuer, aux moments les plus froids seulement, un peu de menue monnaie pour quelques mises à l’abri temporaires. En blanchissant ainsi la violation de la loi par les Conseils généraux, l’Etat cherche aussi à préserver l’invisibilité du problème qui serait menacée s’il advenait des accidents et, accessoirement, à annihiler les intentions initiales de ceux qui, parmi ces jeunes, auraient sollicité l’asile dans d’autres conditions.

En fait, beaucoup de départements comme Etat éprouvent une angoisse commune de ce qu’ils appellent l’« appel d’air ». Par un réflexe primaire de nantis devant la porte desquels passent des pauvres, les uns et les autres sont convaincus qu’un enfant étranger bien traité n’a d’autre urgence que d’en appeler quantité d’autres, lesquels n’attendraient évidemment que ce signal pour prendre la route. Cette vue de l’esprit conduit en parfaite harmonie l’administration centrale et les élus départementaux à se protéger de ce pur fantasme par l’émission de signaux dissuasifs à l’égard des enfants qui ne sont pas (encore) venus en prenant en otages ceux qui sont déjà là.

Cette maltraitance institutionnelle commence par l’ignorance de ces enfants perdus dans les squares, les jardins et les gares. Tout le monde sait pourtant qu’ils y survivent clochardisés. Les magistrats des parquets s’en moquent. Les forces de police – brigades des mineurs comprises – cherchent souvent à les intimider à l’occasion de contrôles au terme desquels elles les remettent la plupart du temps à la rue. Que, pour une nuit au chaud ou une douche, ces jeunes puissent céder à des offres parfois plus intéressées que charitables n’inquiète personne.

Si, par l’effet d’une démarche individuelle ou associative, interviennent quelques signalements, la médecine est aussitôt appelée à la rescousse. Elle entreprend alors un « examen osseux », dont tous les scientifiques en Europe dénoncent l’imprécision et la non-fiabilité. Qu’importe : l’immense majorité des mineurs qui le subissent deviennent administrativement majeurs. C’est ainsi que la cécité des institutions spécialisées conjuguée à l’interprétation abusive de l’examen médical réduit à une minuscule minorité le nombre des adolescents étrangers isolés qui bénéficient d’une prise en charge.

A l’égard de cette minorité, la dissuasion prend alors bien souvent la forme de normes éducatives totalement incompatibles avec leur personnalité. Alors qu’ils ont grandi sur les routes et dans l’autonomie, les voilà brutalement contraints à des enfermements et à des règlements plus ou moins stricts, quand il leur faudrait au départ des aides matérielles et une écoute respectueuse de ce qu’ils sont devenus par la force des choses. Beaucoup s’enfuient devant ces contraintes qu’ils ne peuvent ni comprendre ni admettre.

C’est ainsi qu’à Paris ou à Calais – pour ne citer que les situations présentes les plus spectaculaires – des dizaines d’enfants et d’adolescents sont laissés dans le froid et, à longueur d’années, dans une situation de total abandon. Les pouvoirs publics jouent sur du velours : d’une part, l’opinion s’en désintéresse ; d’autre part, ces jeunes, essentiellement issus de pays sans tradition démocratique, ne conçoivent même pas la possibilité d’une contestation de leur délaissement. Ils fuient donc dans une nouvelle errance le mauvais sort qui leur est opposé. Exactement comme l’espèrent Etat et départements.

Nous demandons que cesse cette attitude d’ignorance et de rejet à l’encontre de la plupart des mineurs étrangers isolés présents en France, et que Conseils généraux et Etat prennent immédiatement les mesures qu’imposent à la fois le droit international, la loi nationale et le simple bon sens humanitaire :

  • les ASE, notamment dans les départements les plus concernés, doivent cesser d’ignorer ces jeunes et de refuser leur prise en charge sous prétexte qu’ils n’expliciteraient pas de projets d’installation en France. Quand bien même ils maintiendraient leur volonté de tenter leur chance dans un autre pays pour des raisons personnelles, il est inadmissible de les priver de la protection à laquelle a droit tout mineur en danger. L’idée de s’établir en France implique un accueil, des informations, un accompagnement socio-éducatif adaptés et le temps d’y réfléchir. Il va de soi que la clochardisation à laquelle ils sont actuellement condamnés les entraîne à exclure l’idée de demeurer dans le pays ;

  • l’instrumentalisation déloyale de la médecine par l’interprétation abusive des « examens osseux » aux fins de transformer des mineurs en jeunes majeurs sur des bases scientifiquement fallacieuses doit être abandonnée. La présomption de minorité, régulièrement bafouée, comme s’il était plus à craindre de protéger un jeune majeur que de délaisser un mineur, doit être la règle ;

  • les institutions éducatives doivent s’adapter aux besoins et à la personnalité des mineurs étrangers isolés (ce que permet largement la palette de dispositifs, de modes d’hébergement, de types d’accompagnement social) et non l’inverse.

Le 12 février 2007

 

Signataires :

 


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Dernière mise à jour : 13-02-2007 9:33 .
Cette page : https://www.gisti.org/doc/actions/2007/mineurs/index.html


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