Lettre
ouverte aux parlementaires
Pourquoi il faut restaurer un véritable
système de couverture maladie pour
les plus précaires : l'Aide Médicale de l'État
Paris le 25 novembre 2004
Madame, Monsieur,
Dans le cadre des débats relatifs au collectif
budgétaire 2005, vous êtes sollicités sur le
devenir de l'Aide Médicale de l'Etat (AME), couverture maladie
des populations étrangères les plus pauvres et de surcroît
sans titre de séjour, ni droit au travail.
Différents documents publics vous incitent à poursuivre
son démantèlement, en dernier lieu le
rapport « emploi, travail et cohésion sociale :
solidarité » rendue par Madame la députée
Marie-Hélène DES ESGAULX dans le cadre de la loi de finances
pour 2005 (page 42 à 50).
Nous souhaitons vous alerter sur le caractère erroné
des arguments soutenus en ce sens, tant dans leur analyse que dans leurs
conclusions.
Rappel
Vous avez déjà été amenés à
vous prononcer sur le sort de l'AME : le dispositif a été
en effet réformé par les lois de finances rectificatives
adoptées fin 2002 et fin 2003, sur différents points,
notamment :
-
Fin de la gratuité des soins par l'instauration d'une participation
financière (« ticket modérateur »
et « forfait hospitalier »)
-
Exigence d'une ancienneté de présence en France
de trois mois
-
Suppression de la procédure d'admission immédiate
« si la situation l'exige » destinée
à prévenir l'aggravation de l'état de santé
jusqu'à l'urgence médicale.
Les arguments avancés à l'appui des réformes 2002
et 2003 sont identiques à ceux qui vous sont soumis aujourd'hui.
Nous réitérons les critiques formulées depuis
deux ans par nos organisations, directement impliquées sur le
terrain et témoins quotidiennement des effets délétères
de ces réformes.
Un diagnostic financier erroné
C'est sur le plan financier que les amputations de l'AME seraient essentiellement
justifiées, au vu d'une prétendue « explosion »
des dépenses de l'AME ces dernières années. Un
tel constat présente la faiblesse de s'appuyer sur les erreurs
d'analyse du rapport de l'IGAS rendu en février 2003, lequel
cumule les défaillances.
Ce rapport est en effet entaché d'une profonde méconnaissance
du dispositif de l'AME quand il affirme ( page 49) « la
réforme législative adoptée [
] rétablit
l'égalité entre assurés sociaux et bénéficiaires
de l'AME par l'intervention d'un ticket modérateur, les bénéficiaires
de l'AME conservant l'avantage de son plafonnement ».
Comme vous le savez, cette affirmation, centrale dans l'analyse de l'IGAS,
est erronnée, les assurés sociaux étant précisément
dispensés de ticket modérateur par l'intervention de la
complémentaire CMU.
De plus, le rapport de l'IGAS :
-
Mentionne le recours à l'AME des demandeurs d'asile ou
à des étrangers en cours de régularisation,
alors que ces derniers relèvent de la CMU
-
Relègue au second plan les retards de facturation et les
reports de crédits des exercices précédents
-
Ne distingue pas les dépenses sur décision individuelle
du Ministre, ni les dépenses spécifiques de Mayotte
-
S'abstient de toute comparaison, sans le moindre redressement
par sexe et par âge ; entre le coût annuel d'un bénéficiaire
de l'AME (environ 1 400 € début 2004) et la
dépense annuelle moyenne par habitant (supérieur à
2 400 € à la même date)
-
Erige des situations caricaturales en généralités
(« tel international de football... »
page 27)
Les mêmes approximations, qui gonflent artificiellement les chiffres,
sont aujourd'hui brandies pour justifier l'aboutissement du démantèlement
de l'AME.
Des conclusions erronées qui méprisent
toute considération de santé publique
Outre les dépenses supplémentaires induites par la suppression
de l'accès aux soins précoces, les restrictions du droit
à l'Aide médicale de l'Etat ont entraîné
des situations d'exclusion de soins préjudiciables à la
santé publique. En effet, rendre payant les soins pour les populations
les plus pauvres de notre pays, c'est retarder le recours aux soins,
voire inciter à renoncer aux soins ! L'objectif de « dissuasion »
(expressément affiché par le rapport DES ESGAULX, page
50) est à cet égard particulièrement explicite.
Certaines de nos organisations ont d'ailleurs illustré ces effets
délétères à travers de multiples situations
concrètes qu'elles sont amenées à connaître
(conférence de presse tenue en juin 2004 : voir dossier de presse
ci-joint).
Cette analyse est confirmée par la Caisse Nationale d'Assurance
Maladie (CNAM) (qui étudie les droits des demandeurs de l'AME),
dont le Conseil d'Administration a émis le 24 février
2004, un avis unanimement défavorable, sur les deux projets de
décrets que lui avait soumis le gouvernement, estimant que les
« conditions d'accès particulièrement complexes » imposées
par le gouvernement dans sa réforme compromettent « l'accès
aux soins » des personnes concernées et contreviennent
« aux exigences élémentaires de santé
publique et de sécurité sanitaire, sans garantir au demeurant
aucune efficacité économique ».
C'est pour toutes ces raisons que nous vous invitons à ne
pas vous ranger aux recommandations visant à amputer encore davantage
le dispositif de l'AME mais plutôt à :
-
Avancer vers la rationalisation du système de couverture
maladie en mettant en place une couverture véritablement
universelle et unifiée pour tous les résidents, y
compris les sans-papiers, en conformité avec les engagements
internationaux de la France
-
Dans l'attente d'abroger les dispositions législatives
restrictives introduites en décembre 2002 et 2003 visant
à exclure les sans-papiers de l'accès aux soins, renoncer
à adopter leurs décrets d'application
-
Maintenir la possibilité de faire des déclarations
sur l'honneur pour justifier d'une situation de précarité
-
Rétablir le droit à l'admission immédiate
« quand la situation l'exige » afin de prévenir
les onéreuses dépenses d'urgences médicales
-
Comme le gouvernement s'y était engagé formellement,
consulter les associations avant toute décision concernant
la protection maladie des plus pauvres (AME et complémentaire
CMU)
Nous vous prions d'agréer Madame, Monsieur le député(e)
l'expression de notre considération distinguée.
L'ODSE
ODSE C/o Sida Info Service, 190 Bd de Charonne, 75020 PARIS
http://www.odse.eu.org et e-mail : odse@lalune.org
Signataires : ACT UP-Paris, AFVS (Association des familles victimes
de saturnisme), AIDES, ARCAT, CATRED (Collectif des accidentés
du travail, handicapés et retraités pour l'égalité
des droits), CIMADE, COMEDE (Comité médical pour les exilés),
FASTI, GISTI (Groupe d'information et de soutien des immigrés),
Médecins du Monde, MRAP (Mouvement contre le racisme et pour
l'amitié entre les peuples), PASTT (Prévention action
santé travail pour les transgenres), Sida Info Service, Solidarité
Sida.
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au format A4 (pdf, 131 ko)
Dernière mise à jour :
30-11-2004 17:38
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Cette page : https://www.gisti.org/doc/actions/2004/odse/ame.html
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