ANAFÉ
Association nationale d'assistance aux frontières
pour les étrangers
Lettre au premier ministre
sur le décès de Ricardo Barrientos
pendant son éloignement
Monsieur Jean-Pierre RAFFARIN
Premier Ministre
Ministre de l'Intérieur
Hôtel Matignon
Paris, le 20 janvier 2003
Monsieur le Premier Ministre,
Le 22 janvier 2002, l'Assemblée Parlementaire du Conseil
de l'Europe adoptait une recommandation concernant les procédures
d'expulsion des étrangers.
L'Assemblée affirmait notamment être « fortement
préoccupée par le nombre de décès résultant
des méthodes utilisées dans l'exécution des procédures
d'expulsion forcée dans les États membres du Conseil de
l'Europe. (...) Ces décès sont de tristes exemples
de ce qui peut arriver de pire pendant une procédure d'expulsion. (...)
L'Assemblée estime que (...) la multiplication des incidents
lors des expulsions montre qu'il ne s'agit pas d'événements
isolés. (...) Trop souvent, les agents chargés de
l'exécution des expulsions recourent à la force de manière
injustifiée ou abusive, voire dangereuse ».
Le 30 décembre dernier, M. Ricardo BARRIENTOS, de
nationalité argentine, décédait dans l'avion qui
devait le reconduire, sous escorte policière, à Buenos
Aires.
Ce drame intervient alors que notre association fait état dans
de très nombreux rapports, et ce depuis plusieurs années,
des multiples témoignages d'étrangers se plaignant de
brutalités et de violences policières lors des tentatives
d'embarquement forcé à l'aéroport de Roissy.
À chaque fois, les responsables du ministère de l'Intérieur,
et notamment ceux de la Police aux Frontières, mettent en doute
la réalité de nos allégations, évoquent
l'absence de preuves et reprochent aux associations leurs propos outranciers
et le discrédit qu'elles jettent sur les fonctionnaires de police.
La multiplicité et la régularité des témoignages
qui nous parviennent nous amènent cependant à penser qu'il
n'y a aucun doute sur l'existence de pratiques policières inadmissibles
lors des tentatives d'embarquement forcé, et que, très
probablement, ces faits n'ont rien d'exceptionnel.
Le ministre de l'Intérieur a affirmé à plusieurs
reprises qu'il ne resterait pas sans réagir face à des
« bavures » ou à des dérapages des
forces de sécurité. Sur les conditions de renvoi forcé
des étrangers, il nous semble que cette pétition de principe
doive se traduire concrètement par des mesures précises
permettant de mettre un terme à une situation qui n'a que trop
duré :
Ces mesures doivent permettre tout d'abord la transparence.
Le parquet de Bobigny a ouvert une enquête sur les conditions
et les causes du décès de M. BARRIENTOS. Parallèlement,
les services du ministère de l'Intérieur ont très
probablement diligenté une enquête interne. Nous vous demandons
de donner les instructions pour que les constats et conclusions de cette
inspection interne soient rendus publiques sans tarder.
De même, nous vous demandons que soient connues et rendues publiques
les instructions pratiques précises qui sont données par
leur hiérarchie aux fonctionnaires de police chargés d'exécuter
par la contrainte le renvoi et de l'embarquement des étrangers
refoulés.
Des mesures doivent également prévenir le développement
des pratiques condamnables.
L'Assemblée Parlementaire recommandait la création d'un
contrôle indépendant des procédures d'expulsion,
à même de « mener des enquêtes impartiales
et approfondies, à tous les niveaux, en cas d'allégation
de mauvais traitements ». La Commission nationale de déontologie
de la sécurité, créée par la loi du 6 juin
2000, serait susceptible, par ses attributions, de répondre à
cette recommandation.
Le Premier Ministre a le pouvoir de la saisir. Nous vous demandons
d'user de ce pouvoir et de lui demander de développer un travail
spécifique sur les conditions de renvoi des étrangers.
Vous pourriez, dans votre saisine de la Commission nationale de déontologie
de la sécurité, lui demander d'une part de mettre à
jour la réalité des nombreuses allégations de brutalités
policières, et d'autre part d'élaborer des propositions
ou recommandations visant à remédier aux manquements constatés
consignes données aux fonctionnaires de police, pratiques
mises en place et développées, modalités du contrôle
de ces pratiques, formation spécifique de ces fonctionnaires,
etc. au regard notamment des recommandations adoptées
par l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe.
Confiant dans votre attachement au respect de la dignité de
toute personne, et dans l'attente de la suite que vous voudrez bien
donner à notre démarche, nous vous adressons, Monsieur
le Premier Ministre, l'assurance de notre parfaite considération,
Pour l'ANAFÉ
Hélène GACON
Présidente
PS : au moment de vous faire parvenir ce courrier, nous apprenons
qu'un ressortissant somalien est à son tour décédé,
le 16 janvier dernier, lors d'un refoulement. Ce nouvel épisode
ne fait qu'aviver nos inquiétudes.
Voir aussi :
Dernière mise à jour :
22-01-2003 16:12
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Cette page : https://www.gisti.org/doc/actions/2003/barrientos.html
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