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Libération / La carte de résident ne veut pas disparaître
mardi 24 juin 2014
Trente ans après sa création, ce titre de séjour de dix ans accordé aux étrangers n’est quasiment plus attribué aujourd’hui. Les associations lancent un appel ce mardi.
C’était une avancée sociale et symbolique importante. Le 17 juillet 1984, la gauche au pouvoir créait la carte de résident, ce titre de séjour pour les étrangers, valable dix ans. Trente ans plus tard, cet acquis a pris du plomb dans l’aile. Le dispositif a tellement été détricoté par les lois successives qu’aujourd’hui, seule une poignée de personnes parviennent encore à l’obtenir. La grande majorité des immigrés empilent les titres de séjour provisoires, avec les rendez-vous incessants à la préfecture, l’arbitraire et l’insécurité qui vont avec. Excédées, 153 associations d’aide aux étrangers appellent à un retour en arrière, avec leur manifeste « Rendez-nous la carte de résident ! » lancé officiellement ce mardi.
C’est l’un des arguments des associations : la situation politique à l’époque où la carte de résident a été instaurée n’était pas plus simple qu’aujourd’hui. « N’ayons pas la mémoire courte, commence le manifeste. La loi du 17 juillet 1984 a été adoptée dans un contexte qui avait beaucoup de points communs avec celui d’aujourd’hui : le chômage de masse sévissait déjà, le Front national était une force politique montante et l’inquiétude quant à l’avenir n’était pas moindre. »
Bref retour en arrière. En 1981, François Mitterrand arrive au pouvoir et fait voter quelques mois après son élection une loi sur l’immigration, notamment pour limiter les retours forcés et les mesures d’éloignement. Il n’est pas du tout question à l’époque de carte de résident, même si les associations militent en ce sens depuis quelque temps déjà.
Ce n’est que deux ans après, en 1983, lors de la fameuse « Marche pour l’égalité et contre le racisme » que cette revendication remonte jusqu’à l’Elysée. Pour la petite histoire, Mitterrand aurait dit oui à la carte de résident sur un malentendu. « Il semble que le Président ait tenu aux marcheurs des propos ambigus qui ont été réinterprétés par ses conseillers dans un sens favorable à la revendication. Peu importe : ce qui compte, c’est que l’officialisation de l’accord présidentiel va débloquer la situation et permettre à la revendication d’aboutir », expliquent les associations. Quelques mois plus tard, l’Assemblée nationale vote cette loi à l’unanimité – opposition incluse donc. La portée symbolique est importante : « Les immigrés ne sont plus considérés comme un simple volant de main-d’œuvre mais comme une composante de la société française. »
Au-delà de la durée de validité de dix ans, cette carte de résident avait surtout comme particularité d’être délivrée de plein droit. « A partir du moment où vous remplissiez les conditions, l’administration était tenue de vous délivrer la carte, elle n’avait pas le choix », explique Sarah Belaisch de la Cimade. Mais cette philosophie a peu à peu disparu, sabotée par les lois successives. La catégorie de personnes pouvant prétendre à une carte de résident de plein droit s’est considérablement réduite. Il ne reste quasiment plus personne si on enlève les réfugiés politiques et les anciens combattants. Pour tous les autres, l’attribution de la carte de résident est à la discrétion de l’administration. « Ce qui veut dire que même si les conditions sont remplies, le préfet se réserve le droit de refuser », traduit Sarah Belaisch.
Sont venues aussi s’ajouter, notamment sous l’ère Sarkozy, tout un tas de conditions pour bénéficier de la carte, dont certaines d’interprétation subjective. Pour déposer une demande, il faut par exemple, entre autres, avoir une activité professionnelle en France, mais aussi des « moyens d’existence suffisants », le législateur précisant qu’il entendait par là « ressources stables, supérieures au Smic et appréciées au regard des conditions de logement ». L’interprétation varie d’une préfecture à l’autre, et la personne sait rarement pourquoi sa demande est rejetée… « Souvent, le préfet se borne à attribuer un énième titre de séjour d’un an comme lui permet la loi, sans notifier de refus en tant que tel, et s’évitant ainsi d’avoir à s’expliquer », regrette-t-elle. Pour elle, la logique s’est totalement inversée. « A l’origine, la carte de résident était vue comme un facteur d’intégration. L’idée, c’était de leur permettre de s’intégrer en leur donnant une stabilité. Désormais, c’est tout l’inverse. On conditionne la carte de résident à une intégration préalable. »
L’évolution en chiffres du nombre de cartes de résident attribuées est éloquente. Le détricotage apparaît nettement, après chaque loi. « Entre 1986 et 1990, 60 000 personnes obtenaient en moyenne chaque année une carte de résident de plein droit. Après la loi Pasqua de 1993, on tombe bon an mal an à 40 000. Puis à 30 000 après la loi Sarkozy de 2003. Après la loi Sarkozy 2, ce sera 20 000 par an pour arriver aujourd’hui aux alentours de 17 000 », détaille Antoine Math, économiste à l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires).
Avec Alexis Spire, chercheur au CNRS, ils décortiquent des mètres et des mètres de rapports pour mettre la main sur les données chiffrées et les traiter statistiquement. « Mais plus le temps passe, moins l’information est accessible, assure Antoine Math. Au fil des années, les rapports s’améliorent sur la forme, mais certains chiffres viennent à manquer, comme si le ministère voulait en passer certains sous silence. » Interrogé, le ministère répond de son côté ne « pas disposer de données fiables avant 1997 ».
Sur le terrain, les acteurs associatifs se désolent des conséquences de cette politique, et des effets pervers qu’elle entraîne. Comment trouver un emploi stable avec un titre de séjour d’un an ? Et un appartement ? Quel bailleur acceptera une location de trois ans, alors qu’il n’a aucune garantie sur le titre de séjour ?
Le retour de la gauche au pouvoir avait nourri beaucoup d’espoirs, vite douchés. « Depuis deux ans, rien ou si peu n’a bougé en matière d’immigration. C’est la continuité de la politique de Sarkozy », selon la Cimade. Une réforme est en préparation. Pour l’instant, seul un avant-projet de loi circule, où il serait envisagé le développement de cartes de séjour pluriannuelles, intermédiaires entre la carte temporaire d’un an et la carte de résident de dix ans. « Pourquoi se contenter de cette demi-mesure ?, interpellent les associations dans leur manifeste. Rendez-nous la carte de résident ! ».
Marie Piquemal
Voir en ligne : http://www.liberation.fr/societe/20...