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Comment obtenir
des indemnités de l'administration
On a parfois l'impression que l'administration dispose d'une sorte
de pouvoir arbitraire qui lui permettrait de refuser des titres de séjour,
des autorisations de travail, des regroupements familiaux, etc. sans
risquer la moindre pénalisation quand elle sort du cadre de la
législation. Or les décisions de l'administration sont
susceptibles d'être contrôlées et annulées
par le juge administratif [1], voire par le juge judiciaire. En outre, dans
l'hypothèse où une décision est illégale,
l'administration peut être tenue de réparer les conséquences
préjudiciables de la faute qu'elle a ainsi commise. L'illégalité
d'une décision administrative est en effet une faute, laquelle
peut ouvrir droit à indemnité au profit de la personne
victime de cette illégalité [2].
Protection sociale
Les demandes d'indemnités à la suite de refus de
prestations sociales ne sont pas traitées dans ce document.
Elles seront examinées dans une prochaine publication du Gisti
sur la protection sociale.
Une demande d'indemnité à la suite d'un refus illégal
peut viser deux objectifs, qui peuvent d'ailleurs être complémentaires :
-
naturellement, obtenir une indemnité en dédommagement
du préjudice subi ;
-
pousser l'administration à passer du refus à l'acceptation.
Il arrive parfois que la menace d'avoir à verser une indemnité
accélère le réexamen du dossier et que ce réexamen
débouche sur une réponse enfin positive. La demande
d'indemnité a, dans ce cas, une visée tactique.
Par exemple, un étranger obtient le feu vert (écrit)
du ministère de l'intérieur à la suite d'un recours
hiérarchique après refus d'un titre de séjour par
la préfecture. Mais la préfecture s'obstine dans son refus,
le plus souvent de façon informelle (sans jamais l'écrire).
Quand la victime en a assez de ce petit jeu, elle peut tenter d'écrire
(en recommandé avec accusé de réception et en gardant
copie de la lettre) au ministère de l'intérieur que la
préfecture joue l'inertie, que, dans ces conditions, cette victime
ne va pas tarder à demander réparation du préjudice
en espèces sonnantes et trébuchantes (indemnités,
donc).
Quel que soit l'objectif, c'est normalement le juge administratif qui
est compétent pour allouer des indemnités dans ce type
d'hypothèse. Dans quelques cas rares, toutefois, il faut saisir
le juge judiciaire (voir « Dans
quels cas faut-il saisir le juge judiciaire ? »).
Sauf exception, c'est donc devant le juge administratif que des indemnités
pourront être demandées.
Plusieurs situations sont envisageables. On peut demander une indemnité :
-
après avoir obtenu l'annulation de la décision attaquée
(par exemple, l'annulation du refus de délivrance du titre
de séjour) ;
-
en même temps qu'on demande l'annulation de la décision ;
-
après le recours en annulation et avant que le juge ait
statué sur ce recours : inviter alors le tribunal à
« joindre » les deux demandes ;
-
indépendamment de tout recours en annulation : ce sera
le cas si l'administration est revenue d'elle-même sur sa
décision à la suite d'un recours gracieux ou hiérarchique,
ou encore si elle a délivré un titre de séjour
à la suite de l'annulation d'un arrêté de reconduite
à la frontière.
Dans les quatre cas, la procédure est identique.
Pour espérer obtenir des indemnités, il faut le demander
de façon expresse en s'adressant d'abord à l'administration,
avant de saisir le juge :
-
dans un premier temps, on demandera explicitement à l'administration
l'indemnisation du préjudice subi en s'adressant à
l'autorité auteur de la décision qui est à
l'origine du préjudice ;
-
dans un second temps, si la demande d'indemnité a été
rejetée par l'administration ou si elle n'a pas répondu,
on invitera le juge à condamner l'administration à
verser l'indemnité réclamée. On peut aussi
demander au juge le versement d'une provision à valoir sur
la somme due par l'administration.
Si l'on obtient la condamnation de l'administration et qu'elle tarde
à verser la somme qu'elle a été condamnée
à payer, il existe des procédures permettant de l'inciter
à payer plus rapidement.
Pour faire cette demande, il faut respecter les règles suivantes :
-
on a toujours intérêt à faire sa demande d'indemnisation
le plus tôt possible. En effet, on ne peut saisir le juge
qu'après s'être heurté à un refus de
l'administration ; or, comme dans la plupart des cas, elle
ne répondra pas, il faudra attendre qu'un délai de
quatre mois se soit écoulé, faisant naître ainsi
une « décision implicite de refus » (voir
« Les suites de la demande »)
pour pouvoir saisir le juge ;
-
il faut veiller à faire sa demande avant l'expiration d'un
délai de quatre ans après la survenue du dommage.
En effet, il existe une règle dite de la « prescription
quadriennale », qui signifie que l'on perd ses droits
à indemnité si on ne les fait pas valoir dans ce délai
de quatre ans. Ce délai court à compter du 1er janvier
qui suit la décision qui est à l'origine du dommage
ou, si cette décision a été attaquée,
à compter du 1er janvier qui suit la décision
juridictionnelle qui l'a annulée.
La demande préalable doit être adressée à
l'autorité administrative auteur de la décision qui est
à l'origine du préjudice : préfet ou directeur
départemental du travail et de l'emploi si le refus de séjour
ou d'autorisation de travail émane de l'un ou de l'autre ;
ministre concerné (intérieur, ou emploi et solidarité)
si le refus initial du préfet a été confirmé
sur recours hiérarchique, etc.
Si l'on se trompe de destinataire, l'autorité qui a reçu
une demande par erreur est tenue de la transmettre à celle qui
est compétente ; toutefois, la procédure risque d'être
retardée.
La demande doit comporter, outre le nom et l'adresse du demandeur :
-
Des explications sur les raisons pour lesquelles la décision
est illégale. Il faut expliquer pourquoi la demande de titre
de séjour, d'autorisation de travail, de regroupement familial,
etc. était et reste fondée en droit, et pourquoi toujours
en termes de droit l'administration aurait dû
y répondre positivement.
Dans le cas où la décision a été préalablement
annulée par le juge administratif, il convient d'exposer
que cette annulation entraîne nécessairement droit
à indemnisation dès lors que l'illégalité
commise a entraîné un préjudice ;
-
Des explications sur les préjudices dont on demande réparation.
Il faut détailler les différents préjudices
subis préjudice matériel, préjudice
moral qui justifient la somme d'argent demandée
pour l'indemnisation du refus. Concrètement, il s'agit d'établir
l'existence d'un dommage, c'est-à-dire de prouver un certain
nombre de manques à gagner (travail, prestations sociales...),
de frais supplémentaires exposés (consultations médicales
ou hospitalisations non remboursées), de troubles dans les
conditions d'existence (atteinte à la vie familiale, à
la liberté de circulation, etc.) et de préjudices
moraux ;
-
L'évaluation du préjudice et l'indication de la somme
demandée. Le montant que peut accorder le juge ne pouvant
être supérieur à celui qui a été
demandé à l'administration, mieux vaut évaluer
le préjudice de façon large que trop restrictive.
Tous les préjudices doivent être justifiés par
la production de tous documents utiles.
-
Préjudices liés à l'impossibilité
de travailler : dans une demande d'indemnisation, on peut,
par exemple, démontrer que le refus illégal de délivrer
un titre de séjour ou une autorisation de travail a entraîné
un empêchement de travailler, soit par la perte d'un emploi,
soit par l'impossibilité d'être recruté. Dans
les deux cas, il faut apporter la preuve de ce dommage en produisant,
pour le premier, des fiches de paie et une lettre de licenciement
(si possible explicitement motivée par le défaut de
titre de séjour) ; pour le second, une promesse d'embauche
et/ou une lettre de l'employeur potentiel renonçant à
son projet d'embauche parce que le titre de séjour tarde
trop à être délivré. Il est ensuite facile
de calculer le montant du préjudice en multipliant le salaire
mensuel perdu par le nombre de mois depuis la date à laquelle
on a déposé sa demande de titre de séjour.
On peut y ajouter les pertes futures en termes de retraite.
-
Impossibilité de toucher des prestations sociales :
le fait d'être sans papiers empêche de bénéficier
de diverses prestations sociales (remboursements par la sécurité
sociale de frais médicaux, aides au logement, allocations
familiales, etc.). Là encore, à l'aide de certificats
médicaux, de documents sur la composition de la famille,
de quittances de loyer, on peut prouver ce à quoi on aurait
eu droit si l'on avait obtenu le titre de séjour demandé.
Après avoir calculé le montant de ces droits perdus,
on en réclame l'équivalent à l'administration.
Il faut penser aussi au préjudice moral : la maladie,
établie par un certificat médical, qui n'a pu être
soignée faute de moyens et/ou de protection sociale permet
d'exiger une indemnité à titre de compensation.
-
Inconvénients divers : il faut récapituler
tous les effets négatifs engendrés par le refus de
titre de séjour, en les prouvant et en les chiffrant comme
ci-dessus. On peut citer l'expulsion de son logement, le préjudice
lié à une interdiction bancaire, des coupures d'eau,
de gaz, d'électricité, des déplacements rendus
impossibles (aller dans son pays d'origine à l'occasion du
décès d'un parent proche, de la naissance d'un de
ses enfants, y aller pour rendre visite à sa famille), l'inconfort
et l'insécurité de la situation résultant de
l'absence de papiers ainsi que les inconvénients pour les
proches conjoint, enfants, parents ou amis qui hébergent
la victime si elle ne peut se loger, etc. , les ennuis
de santé (avec certificats médicaux), des amendes
fiscales pour non-paiement d'un impôt (sur le revenu, la taxe
d'habitation, si l'on établit qu'on n'a pu payer à
cause du refus). Tout cela constitue autant de préjudices,
les uns matériels, les autres moraux, dont il est possible
de demander réparation.
Il faut toujours adresser sa demande en recommandé avec accusé
de réception, en gardant copie de la lettre et de l'avis
de réception : c'est en effet de cette façon que
l'on pourra prouver l'existence de cette demande et la date à
laquelle elle a été adressée à l'administration
(voir le modèle
de requête).
Quatre situations peuvent être envisagées à la
suite de l'envoi de cette demande.
-
Soit l'administration accorde l'indemnité demandée,
et tout le monde est content. De mémoire de justiciable,
on n'a pas souvenir d'un tel acquiescement. C'est pourquoi, si le
refus émane du préfet, il est en général
inutile de présenter un recours hiérarchique et il
est préférable de saisir immédiatement le juge
administratif.
-
Soit l'administration accepte d'accorder une partie de l'indemnité
demandée, et il convient alors de déterminer si l'on
s'en satisfait ou si l'on souhaite avoir plus en saisissant le juge
(avec le risque, tout de même, de tout perdre).
-
Soit l'administration refuse explicitement l'indemnité
demandée, et il convient alors de saisir le juge.
-
Soit l'administration ne répond pas. Dans ce cas, au bout
de quatre mois, décomptés à partir du jour
où elle a reçu la demande préalable (date attestée
par l'accusé de réception), elle est réputée
avoir rejeté la demande. Ce refus implicite permet de saisir
le juge.
Si, en règle générale, on ne peut guère
fonder d'espoir sur les résultats de cette requête préalable
auprès de l'autorité administrative, la démarche
est néanmoins obligatoire pour pouvoir saisir de la même
demande un juge qui, lui, statuera éventuellement dans un sens
positif. La démarche a aussi l'avantage de permettre la constitution
du dossier (définition des divers préjudices et documents
les établissant) qui devra être produit devant le juge.
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Notes
[1] Voir Que faire après un
refus de titre de séjour ?,
GISTI, coll.« Notes
pratiques »,
à paraître dans le premier trimestre 2000. Sur la façon
de faire un recours, on peut aussi consulter un document aujourd'hui
périmé mais pas sur les recours (ne pas utiliser
toutefois les modèles de lettres) Circulaire
du 24 juin 1997 : Que
faire après un refus de régularisation ?,
Gisti, coll.« Notes
pratiques »,
septembre 1998.
[2] Pour la manière
de faire des recours en tous genres contre des refus de l'administration,
quelle qu'en soit la nature, voir le Guide des étrangers
face à l'administration,
GISTI/Syros 1997, 152 pages.
Dernière mise à jour :
12-03-2002 14:05
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Cette page : https://www.gisti.org/
doc/publications/2000/indemnites/note.html
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