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Pourquoi cette campagne ?

1984 : une avancée majeure

Le 17 juillet 1984 était promulguée la loi sur la carte de résident, titre unique de séjour et de travail, valable dix ans et renouvelable automatiquement. Le gouvernement de l’époque répondait ainsi à une ancienne revendication des organisations de défense des droits des immigré·e·s et concrétisait la promesse faite par le président François Mitterrand lors de l’arrivée à Paris de la Marche pour l’égalité et contre le racisme.

Votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, cette loi avait une portée majeure, à la fois pratique, symbolique et politique, et faisait date dans l’histoire du droit de l’immigration.

– Une portée pratique car elle supprimait les multiples obstacles administratifs qui existaient jusqu’alors pour l’obtention ou le renouvellement des titres de séjour de un an, trois ans, puis dix ans, qui devaient être accompagnés – si la personne voulait travailler – d’une carte de travail valable un an, trois ans ou dix ans… La délivrance de la carte de résident, valant autorisation de séjour et de travail, renouvelée automatiquement, libérait des multiples rendez-vous en préfecture et préservait par la même occasion des interruptions temporaires de droits et de l’insécurité qu’elles engendraient.

– Une portée symbolique aussi car, délivrée « de plein droit » à tous ceux et celles ayant des attaches en France (liens familiaux ou ancienneté de séjour), elle traduisait en actes le message que le gouvernement voulait adresser à l’opinion comme à la population étrangère : les personnes immigrées venues en France pour travailler ne pouvaient plus être reléguées au rang de supplétifs ; avec leurs familles, elles faisaient partie intégrante de la société française. Elles pouvaient, sans crainte d’une décision arbitraire de l’administration, construire leur avenir en France. Sécurité et stabilité formaient le socle qui devait leur permettre de s’insérer et de vivre comme tout un chacun.

– Une portée politique enfin car, en instaurant un titre de dix ans renouvelable de plein droit, le législateur réalisait un pas en avant vers l’égalité des droits avec les nationaux. Face aux discours d’exclusion semés par l’extrême droite, la loi du 17 juillet 1984 entendait en finir avec la suspicion permanente et le contrôle tatillon dont les personnes étrangères étaient précédemment les otages. La réforme était un message clair opposé au populisme et à la xénophobie.

Trente ans de détricotage politique

Mais depuis lors, toutes les réformes – à l’exception de la loi Joxe de 1989 qui revenait à la lettre et à l’esprit de la loi de 1984 – ont patiemment et systématiquement détricoté le dispositif protecteur mis en place. D’un côté, elles ont restreint la liste des catégories accédant de plein droit à la carte de résident, de l’autre, elles ont subordonné cet accès à des conditions de plus en plus strictes – d’ordre public, de séjour régulier, de durée de séjour préalable… – qui ont fini par priver de substance la notion de « plein droit ». Le prétexte invoqué pour justifier ces réformes revient comme un leitmotiv : la nécessité de lutter plus efficacement contre les détournements de procédure au premier rang desquels figurent les « mariages de complaisance » ou les « paternités de complaisance ».

Les lois Sarkozy de 2003 et 2006 ont poursuivi cette entreprise de déstabilisation en ne laissant subsister l’accès de plein droit à la carte de résident que pour des catégories résiduelles dont ne font partie ni les parents d’enfants français, ni les conjoints de Français, ni ceux et celles qui sont installés depuis de très longues années en France. Mais ces textes ont de surcroît introduit une innovation fondamentale en inversant la logique qui avait présidé à la création de la carte de résident : alors que la garantie de stabilité du séjour était à l’époque conçue comme de nature à faciliter l’intégration, les personnes étrangères sont désormais maintenues dans une situation précaire aussi longtemps qu’elles n’ont pas donné des gages d’intégration. « On ne peut demander à la société française de vous accueillir pendant une longue période et ne pas avoir le souci de s’y intégrer », avait expliqué le ministre de l’Intérieur pour justifier sa réforme.

Cette précarisation du droit au séjour se traduit par la remise en cause de la hiérarchie des titres instaurée par la loi de 1984 : la carte de séjour temporaire est devenue le titre de droit commun, tandis que l’accès à la carte de résident est étroitement contrôlé et dépend de l’appréciation discrétionnaire du préfet. La première devient la norme, la seconde l’exception.

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2014 : une occasion manquée ?

La réforme en préparation, annoncée par l’avant-projet de loi sur l’immigration, prétend « sécuriser le parcours d’intégration des ressortissants étrangers » en leur offrant des « conditions plus sereines », notamment par le développement des cartes de séjour pluriannuelles. La lecture du texte amène pourtant à d’autres conclusions : l’accès à un titre de séjour stable reste conçu comme une récompense et non comme un outil de l’intégration.

Pour s’installer durablement en France, une personne étrangère devra suivre un ensemble de formations civiques et linguistiques, globalement équivalentes à l’actuel contrat d’accueil et d’intégration dont le gouvernement constate pourtant l’inefficacité. À l’issue d’une année de vie en France et sous condition d’assiduité aux formations dispensées, certaines personnes pourront se voir délivrer une carte d’une durée maximum de quatre ans. Mais le gouvernement l’indique bien : « Cette carte de séjour valable plus longtemps ne constitue toutefois pas un blanc-seing qui va exonérer son titulaire des obligations qui lui incombent. » Ainsi, le préfet pourra-t-il « à tout instant » convoquer son ou sa titulaire pour vérifier que les conditions qui ont justifié la délivrance du titre pluriannuel sont toujours remplies et le retirer le cas échéant. Où est la « sécurisation du parcours », si on vit avec une épée de Damoclès administrative au-dessus de la tête et la menace permanente de voir son droit au séjour remis en cause ? Enfin, un verrou supplémentaire est mis en place : l’accès à la carte de résident, envisageable à l’expiration de la carte pluriannuelle, est subordonné à une exigence renforcée de maîtrise du français.

À l’opposé des intentions affichées, la réforme entravera encore un peu plus l’accès à la carte de résident, qui est la seule à permettre la sécurité du séjour, en la remplaçant par un titre instable soumis au contrôle permanent du pouvoir administratif.

Revenir au bon sens

Deux avantages essentiels sont attachés à la carte de résident : la pérennité, puisqu’elle est valable dix ans et renouvelable, et la limitation de l’arbitraire en raison du caractère automatique de sa délivrance et de son renouvellement. En sécurisant la situation administrative des étranger·e·s, elle lève les entraves à l’exercice de droits fondamentaux qui font obstacle à l’égalité avec les citoyen·ne·s.

Contre la précarité

Un certain nombre de droits sociaux et d’autres actes importants de la vie quotidienne ou professionnelle (obtention d’un crédit bancaire, d’un bail locatif, d’un CDI…), exigent stabilité et continuité de la situation administrative. Les titulaires d’une carte de résident sont donc mieux à même de faire valoir leurs droits et mieux protégés contre les risques des interruptions de droits.

Chaque réforme législative entraîne une modification des conditions d’obtention des titres de séjour et accroît le risque de perdre son droit au séjour. La détention d’une carte de résident renouvelable automatiquement met à l’abri de ces modifications législatives liées à des changements d’orientation politique.

Contre l’arbitraire

L’obtention de plein droit d’un titre de séjour met fin à l’incertitude ordinaire qui résulte de l’appréciation discrétionnaire laissée à l’autorité préfectorale et à l’arbitraire qui se traduit par des différences de traitement d’un département à l’autre.

En même temps qu’elle évite les multiples visites en préfecture imposées aux détentrices et détenteurs d’une carte de séjour temporaire, la généralisation de la carte de résident permet de désengorger les préfectures, d’améliorer les conditions d’accueil des personnes, d’alléger la charge de travail des fonctionnaires et de réduire les délais de traitement des demandes de titres de séjour.

Pour l’autonomie

Dans la plupart des cas, les cartes de séjour temporaires sont liées à une situation spécifique : elles peuvent donc être retirées ou non renouvelées si cette situation vient à changer. Un changement professionnel, une séparation, un divorce peuvent ainsi remettre en cause le droit au séjour. Au contraire, la carte de résident confère un droit propre au séjour qui ne risque pas d’être remis en cause par les aléas de la vie ou les caprices de l’administration et permet de construire un parcours en France de façon autonome.

Pour l’insertion

Aujourd’hui, l’intégration est devenue un préalable à l’obtention du titre de séjour. Il faut inverser cette logique et concevoir à nouveau la stabilité du séjour comme un facteur d’intégration.

La stabilité du séjour accroît la confiance dans l’avenir et encourage la participation à la vie sociale, politique, économique et culturelle. Elle ouvre la voie à une citoyenneté élargie et repensée, ne reposant plus sur la nationalité mais sur la résidence.

La reconnaissance d’un droit au séjour pérenne favorise la rupture avec la représentation de l’Étranger « errant », délinquant en puissance, perçu comme une charge et un danger, au profit d’une vision qui considère la population immigrée comme partie intégrante de la société française. Car les lois en vigueur conditionnent la vision que la société a des personnes étrangères et la manière de percevoir l’immigration. Une législation plus ouverte permet de construire une société inclusive qui n’est plus fondée sur le rejet, l’exclusion ou la xénophobie.

Pour l’égalité

Des règles répressives qui entretiennent la précarité entravent l’exercice de droits aussi fondamentaux que la liberté de circulation, le droit de vivre en famille, de travailler, de se soigner. Elles constituent autant d’obstacles à la réalisation de l’égalité entre Français·e·s et immigré·e·s que seule la sécurisation du droit au séjour apportée par la carte de résident peut permettre de lever.