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Article publié dans Le
Monde du 25-26 avril 2004.
L'élargissement va-t-il sonner la levée des frontières
pour les ressortissants des dix nouveaux Etats adhérant à
l'Union européenne ? Ils sont nombreux, résidant clandestinement
en France, travaillant « au noir » dans le bâtiment,
comme femme de ménage ou comme aide ménagère, à
attendre le 1er mai comme un nouvel horizon.
Monique, Polonaise de 63 ans, arrivée en 1991 de Cracovie, est
de ceux-là. Arrivée avec un visa de tourisme « pour
voir Paris », elle pensait repartir. Elle est finalement
restée pour fuir un quotidien monotone et vit de petits boulots
non déclarés de femme de ménage.
Voilà des mois qu'elle coche le calendrier, persuadée
que l'adhésion de la Pologne à l'UE lui donnera accès
à une carte de séjour et à une « vie
normale ».
Elle devra encore patienter cinq ans. Comme nombre de ses voisins,
la France a décidé que la liberté de circulation
des personnes n'entrera en vigueur qu'après ce délai.
« Nous appliquerons aux ressortissants des dix nouveaux
pays adhérents les mêmes règles que pour les étrangers
extra-communautaires », précise-t-on au cabinet
de Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion
sociale. Tout juste, concède-t-on Rue de Grenelle, la France
pourra « prendre des mesures d'ouverture progressive à
l'issue des deux premières années, en fonction de la situation
interne du marché de l'emploi ».
Les derniers chiffres de l'Insee, affichant un taux de chômage
à la hausse de 9,8 % de la population active et un nombre
de chômeurs atteignant 2,68 millions fin février 2004,
n'augurent pas d'un changement de cap. « La situation
de l'emploi n'est pas bonne. Nous appliquerons donc les règles
en cours », insiste-t-on au cabinet de M. Borloo. Ainsi,
quand un Polonais ou un Slovaque souhaitera répondre à
une offre de travail en France, la direction départementale de
l'emploi pourra lui opposer la situation locale du marché de
l'emploi et lui refuser une autorisation de travail en arguant de la
présence, dans le même bassin géographique, d'un
salarié européen qualifié.
TRAITEMENT PARTICULIER
Quelques catégories bénéficieront d'un traitement
particulier, en fonction des besoins économiques, comme le rappelle
la délégation aux affaires européennes du ministère
de l'emploi. Chercheurs, étudiants et prestataires de services
pourront s'installer librement sur le territoire. De même, les
jeunes en formation bénéficieront d'une autorisation temporaire
pour venir parfaire leur parcours professionnel en France. Les travailleurs
saisonniers originaires de pays avec lesquels la France a passé
des accords bilatéraux auront également un accès
privilégié aux contrats temporaires.
Cette exception concerne en particulier l'agriculture : un accord permet,
depuis 1993, aux Polonais de venir se faire embaucher pour les vendanges
ou la cueillette des fruits. Enfin, à partir de 2006, des « ouvertures
potentielles » seront envisagées dans les secteurs
souffrant de pénurie de main-d'uvre. La même procédure
avait été employée en décembre 1999 pour
les forestiers et en janvier 2002 pour les informaticiens.
Certaines associations soulignent que cette politique risque de donner
le sentiment que, pour les Quinze, l'élargissement va servir
à combler les carences en main-d'uvre dans certains domaines.
« Le gouvernement vient de rater l'occasion de faire de
l'élargissement un acte d'intégration. Avec une réglementation
mouvante, on va créer des statuts différents entre des
Européens sans carte de séjour et d'autres avec carte
de séjour », remarque Claire Rodier, responsable
du Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti).
La critique est d'autant plus marquante que les autorités reconnaissent
ne pas s'attendre à un afflux massif d'entrants. « C'est
minime », souligne la direction des populations et migrations
(DPM) du ministère de l'emploi. Les chiffres disponibles pour
2002 montrent que les entrées sur le territoire sont en effet
limitées : seuls les Polonais apparaissent dans les statistiques
de la DPM, avec 5 856 travailleurs saisonniers dans le secteur de la
récolte des fruits et légumes, 2 770 dans les vendanges
et 1 499 étudiants.
La France n'est donc pas un pays d'accueil « naturel »
pour ces ressortissants, plus enclins à émigrer vers l'Allemagne
ou l'Autriche. Une étude de la Commission européenne de
mars 2001 montre que ces deux pays devraient, dans les années
à venir, absorber environ 80 % de ces migrants. Anne de
Tinguy, chargée de recherche au Centre d'études et de
recherches internationales (CERI), observait, lors d'un séminaire
de l'Institut national d'études démographiques, le 6 avril,
que « la France est très à l'écart
de ces migrations des pays de l'Est. Même si la situation de l'emploi
dans certains pays, comme la Pologne ou la Slovaquie, s'est détériorée,
la suppression des visas court séjour n'a pas provoqué
de raz de marée d'arrivées », insistait
la chercheuse.
Une étude de la Commission a par ailleurs montré que
seuls 2 % des chômeurs des pays nouveaux adhérents
ont fait part de leur "ferme intention de partir » vers
l'Ouest.
Sylvia Zappi
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Dernière mise à jour :
29-04-2004 16:25
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Cette page : https://www.gisti.org/doc/presse/2004/elargissement/monde.html
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