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Plein Droit n° 12, novembre 1990
« Le droit de vivre en famille »

Un droit ou une tolérance ?

En dépit des nombreuses réserves émises par les praticiens et experts qui furent consultés, le rapport de la mission parlementaire d'information (rapport Marchand, mai 1990) a retenu, dans sa proposition n° 10, le principe du maintien strict de l'actuelle réglementation en matière de regroupement familial et, en particulier, les conditions draconiennes concernant le logement, sous prétexte que « ce n'est pas rendre service aux familles immigrées que de favoriser leur réunification dans des conditions de précarité ou d'insalubrité telles que leurs chances d'intégration seront presque irrémédiablement compromises ».

Voir l'encadré « Un logement
trop petit... par anticipation
 »

Ce type de raisonnement, déjà tenu par Georgina Dufoix en 1984, lorsqu'elle restreignit les possibilités du regroupement familial en prétendant le favoriser [1], tient au fait que le droit à une vie familiale normale et le droit au logement — droits aussi fondamentaux l'un que l'autre — sont traités différemment. Le premier est élevé au rang des droits de l'homme (il figure notamment dans la Convention européenne des droits de l'homme, art. 8), tandis que le second ne l'est pas.

Cette différence de considération permet à l'administration d'utiliser comme argument la crise du logement — dont les pouvoirs publics sont largement responsables — pour faire obstacle au regroupement familial ; lequel, par ailleurs, n'est réglementairement autorisé, de manière limitative, que pour le conjoint et les enfants mineurs.

Il est dès lors aisé d'imaginer la conséquence inévitable de cette contradiction entre la reconnaissance théorique d'un droit et les conditions insurmontables imposées à son application : bien des familles, préférant vivre réunies dans une situation inconfortable plutôt que dispersées (dans une situation, d'ailleurs, parfois encore plus précaire !), se sont installées en France de manière irrégulière et sont rangées, de ce fait, dans la catégorie pestiférée des « clandestins ».

La réglementation, telle qu'elle existe depuis les modifications apportées au décret initial du 29 avril 1976 par le décret Dufoix du 4 décembre 1984 et par le décret Barzach du 27 avril 1987 en application de la loi du 29 décembre 1986, a ainsi pour effet l'éternel retour des mêmes situations inextricables et douloureuses, engendrées par l'irrégularité des membres de familles « clandestins » : épouse, enfants, collatéraux isolés, ascendants âgés...

Les conjoints

Il faut tout d'abord rappeler que la propre épouse de l'étranger travaillant régulièrement en France ne recevra un titre de séjour que si le chef de famille dispose déjà d'un logement répondant aux normes de surface exigées pour l'attribution de l'allocation logement (dans la pénurie du logement social en France, combien de familles françaises sont elles-mêmes hors normes !).

En outre, ne sont visés par les textes que les époux ou épouses au sens juridique du terme, et non les concubins. Ceux-ci n'ont aucun droit au regroupement familial, même s'ils ont eu des enfants avec l'étranger qui réside en France. Leur cas n'est prévu par aucun texte, sinon, de manière indirecte, dans le cadre de l'article 15 de l'ordonnance de 1945, s'il s'agit d'un parent d'enfant naturel français.

On ne reviendra pas ici sur la reconnaissance de la polygamie par les tribunaux français, qui pose de graves questions (cf. Plein Droit n° 11) et qui, de fait, cache l'impossibilité matérielle pour la seconde épouse de régulariser sa situation.

Les jeunes

Les jeunes posent sans doute le problème le plus aigu aux pouvoirs publics français : nombre de parents ne peuvent en effet imaginer un instant laisser leurs enfants derrière eux uniquement parce que le logement ne correspond pas aux normes imposées.

Si les enfants mineurs ont rejoint leur père et/ou mère sans passer par l'introduction réglementaire, ils sont considérés comme irréguliers bien que n'ayant pas besoin de détenir un titre de séjour avant l'âge de dix-huit ans, et ne seront pas admis au régime des prestations familiales. Puis, parvenus à leur majorité, ils sont immédiatement susceptibles de reconduite à la frontière (même s'ils viennent d'accomplir en France l'essentiel de leur scolarité), à l'exception de ceux qui sont entrés en France avant l'âge de dix ans, auxquels la loi Joxe reconnaît le bénéfice du titre de résident de plein droit.

L'insuffisance des textes nécessite que soient prises périodiquement des dispositions dont l'objectif est de régulariser la situation de ces jeunes arrivés en dehors de la procédure officielle, et par là même de faire baisser la pression.

Ainsi, l'article 17 de la loi Pasqua (dû à une heureuse initiative de Philippe Séguin) visait-il à atténuer les effets pervers du décret Dufoix et à récupérer les jeunes entrés en France avant le 7 décembre 1984 (date d'entrée en vigueur du dit décret) à condition que ceux-ci puissent justifier « d'une scolarité régulière en France depuis cette date ». Mais l'application restrictive de cette disposition n'a pas permis de régler en son temps le sort des jeunes concernés. C'est pourquoi le gouvernement Rocard a été conduit à préciser et élargir la portée de l'article 17 par une circulaire relative à la « procédure exceptionnelle d'admission au séjour de jeunes étrangers entrés en France avant le 7 décembre 1984 » (circulaire du 18 janvier 1989). Par la suite, la loi du 2 août 1989 (loi Joxe) a intégré la disposition en question dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 (art. 12 bis).

Quant aux Algériens, qui sont toujours soumis à des dispositions spécifiques, le même problème s'est évidemment posé pour eux. La circulaire du 28 juillet 1989 a donc donné la même possibilité de régularisation aux jeunes entrés en France avant le 22 décembre 1985 (date d'entrée en vigueur de l'avenant à la Convention bilatérale franco-algérienne).

Tous ces jeux de cache-cache réglementaire manifestent bien l'imperfection du système juridique et ne facilitent pas la stabilité des jeunes venus rejoindre leurs parents.

Les collatéraux

Compte tenu de la conception restreinte de la famille retenue par les textes, qui — il faut le souligner — ne correspond pas à la définition actuelle d'une famille française « normale » — les frères et sœurs, mineurs ou majeurs, ne peuvent pas rejoindre leur famille proche.

Il est, en principe, possible de regrouper des collatéraux mineurs, à condition que le demandeur possède un jugement de tutelle en bonne et due forme. Or, on trouve très rarement ce type de jugement dans les pays d'origine, où il existe d'autres systèmes parfaitement valides qui permettent de confier la tutelle des collatéraux (par exemple, à partir d'une autorisation parentale dûment visée ou d'un acte passé devant l'équivalent d'un notaire). Mais de tels actes n'étant jamais pris en considération par l'administration française, les collatéraux mineurs venus malgré tout en France se retrouveront à leur majorité dépourvus de titre de séjour.

Le cas est encore plus dramatique lorsque les parents sont décédés et que la sœur ou le frère venu rejoindre un aîné en France n'a plus personne dans le pays d'origine.

Aucune circulaire n'a jusqu'ici pris en compte de tels cas, pourtant relativement fréquents.

Les ascendants

En principe, les ascendants âgés ne peuvent pas non plus venir au titre du regroupement familial. Cependant, il est possible de régulariser leur situation si l'on apporte la preuve qu'ils sont sans ressources et réellement à la charge de leurs enfants. Ils peuvent alors obtenir une carte de « visiteur ». Mais il s'agit de démarches à titre humanitaire et les pratiques varient d'une préfecture à l'autre. Dans bon nombre de cas il faut recourir à l'administration centrale, dont les délais de réponse ne cessent de s'allonger en raison de l'encombrement provoqué par la carence des services préfectoraux.

Le problème le plus épineux reste celui des « ascendants du retour », ces parents qui avaient pris la décision de revenir au pays d'origine à la faveur de « l'aide au retour » et qui, finalement, se retrouvant isolés et éloignés de leurs enfants, reviennent en France pour les rejoindre. Des cas semblables sont plus fréquents qu'on ne pourrait le penser, sans doute parce que ce retour en France, vécu comme un échec, se fait discrètement, presque honteusement.

Les enfants du retour

Beaucoup plus fréquent encore le cas des « enfants du retour », dont il est facile de mesurer la détresse quand on leur dit froidement qu'ils n'ont plus aucun droit à vivre en France (cf. l'article « Les enfants perdus du retour »).

Repartis d'office avec leurs parents dans un pays de naissance qui leur est étranger (certains sont même nés en France et ont dû quitter le territoire avant l'âge de la majorité où ils auraient acquis la nationalité française !) et où ils ne parviennent pas à s'adapter, ils essaient de revenir par tous les moyens et rejoignent souvent d'autres membres de la famille toujours présents sur le territoire français, comme un frère ou une sœur aînée, un oncle, une tante ou un cousin. Le cas le plus aberrant est, bien sûr, celui des familles algériennes dont une partie des enfants possède la nationalité française par naissance : ceux-ci ont évidemment le droit de revenir en France, mais pas le reste de la famille !

Le cas de ces « enfants du retour » — qui maintenant ne sont plus des enfants — mérite assurément un traitement spécifique, échappant à la réglementation sur le regroupement familial. En tant que mineurs, ils n'ont pu que suivre leurs parents. Lorsqu'ils deviennent majeurs et maîtres de leur propre sort, ils devraient bénéficier d'un droit acquis à résider là où ils ont passé l'essentiel de leur existence et où ils ont reçu les fondements de leur formation. À tout le moins, pour l'heure, serait-il juste de voir traiter leur demande de titre de séjour dans les préfectures avec la plus grande bienveillance. Pourquoi faut-il, là encore, passer par la voie hiérarchique ministérielle pour obtenir un titre de séjour que les responsables préfectoraux se refusent à délivrer en se retranchant derrière l'opposabilité de la situation de l'emploi (compétence des directions départementales du Travail) ou le défaut de visa supérieur à trois mois ?

L'ensemble des cas évoqués ci-dessus souligne combien l'actuelle réglementation de l'immigration familiale est, en fait, irréaliste. Les dispositions en vigueur contribuent à provoquer la multiplication de soi-disant « clandestins », qui ne vivent aucunement dans la clandestinité, mais qui viennent grossir tous les groupes d'exclus de notre société à deux vitesses ; exclus en particulier d'une protection sociale qui, comme on le verra plus loin, leur serait, au contraire, particulièrement nécessaire.


Notes

[1] Cf. Document du GISTI : « L'immigration familiale dans l'impasse », 2ème édition, mai 1987.

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Dernière mise à jour : 15-05-2001 22:16.
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/plein-droit/12/droit.html


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