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Cimade
- Gisti - LDH
Lettre à J. Chirac
sur les projets de camps aux frontières de l'Union européenne
Monsieur Jacques Chirac
Président de la République
Palais de l'Elysée
75008 Paris
Le 2 novembre 2004
Monsieur le Président de la République,
Le 5 novembre prochain, les vingt-cinq États membres de l'Union
européenne vont se prononcer sur le programme pluriannuel qui
leur a été proposé par la présidence néerlandaise
pour les politiques relatives à la Liberté, la Sécurité
et la Justice. Ce programme définit notamment les orientations
de l'Union en matière de politique d'immigration et d'asile pour
les prochaines années.
Au cours des dernières semaines, il a été fait
état à plusieurs reprises de projets de créer des
« camps » (parfois désignés sous
le nom de « portails d'immigration », « centres
de transit », ou de « centres d'accueil »)
hors du territoire de l'Union européenne, et plus précisément
en Afrique du Nord, pour retenir les migrants en route pour l'Europe.
Aucune proposition formelle n'a à ce jour donné un contenu
concret à ces projets. Mais l'insistance avec laquelle certains
responsables politiques y ont fait allusion, et surtout le fait qu'ils
ont été mis à l'ordre du jour des deux derniers
conseils des ministres chargés de la Justice et Affaires Intérieures,
celui des 30 septembre et 1er octobre et celui des 26 et 27 octobre,
ainsi que de la réunion, les 18 et 19 octobre, du « groupe
des cinq » dont fait partie la France, ne manquent pas d'inquiéter
nos organisations.
Commentant ces réunions, la presse s'est fait l'écho
d'un front franco-espagnol qui serait vigoureusement opposé à
la création de camps ou « centres d'accueil d'aucune
sorte ». (Le Figaro, 19 octobre). Mais nous percevons mal
en quoi les « points d'accueil ou points de contacts [dans
cette région], qui donneraient la possibilité aux réfugiés
arrivés du sud de l'Afrique de se renseigner sur leurs droits
et de trouver aussi, éventuellement, les moyens de retourner
chez eux si leurs demandes apparaissaient comme irrecevables »
(Le Monde, 19 octobre) évoqués par Monsieur
de Villepin diffèrent fondamentalement de ces projets ? Ces « points
de contact » ne sont-ils pas une autre façon de désigner
des lieux de détermination de la recevabilité d'éventuelles
demandes (d'asile ?).
Si tel était le cas, la perspective ouverte par M. de Villepin
pourrait être lourde de conséquences. Elle validerait en
effet le principe d'une « externalisation » des
procédures d'asile contraire à l'esprit de la convention
de Genève relative aux réfugiés, et d'une sous-traitance
par l'Union européenne de la gestion de ses frontières
peu conforme aux engagements auxquels elle a souscrit, notamment dans
le cadre de la Convention européenne de sauvegarde des droits
de l'homme et des droits fondamentaux. En effet, de quelles garanties
disposeraient les demandeurs d'asile si leur requête était
traitée dans des pays qui ne sont pas signataires de la convention
de Genève ou, s'ils le sont, qui n'ont pas encore de dispositif
permettant une application équitable de cette convention ? Comment
seraient organisés le refus d'admission à la frontière,
le refoulement ou l'éloignement des étrangers, dans des
pays qui ne sont pas liés par les normes internationales qui
encadrent ces procédures ?
Au mois de juillet 2003, vous avez clairement affirmé à
la Coordination française pour le droit d'asile que vous étiez
opposé à l'« installation, aux frontières
de l'Union européenne, de centres de transit où les demandeurs
d'asile seraient conduits le temps de l'instruction de leur demande »,
estimant qu'« une telle procédure [était]
étrangère aux traditions françaises en matière
de droit d'asile ». Cette position alors défendue
par la France implique qu'aucune forme de « centre »,
« camp » ou « portail d'accueil »
pour rassembler migrants et réfugiés hors des frontières
de l'Union ne voie le jour.
Nos préoccupations sont renforcées par le fait que la
Commission européenne a décidé d'apporter son appui
financier à des projets-pilotes lancés pour renforcer
les structures d'accueil des cinq pays d'Afrique du Nord. Ces centres
n'auraient, selon la presse, « pas pour mission d'accueillir
les demandes d'asile et d'immigration vers l'Europe, mais pourraient,
à terme, servir de tests dans une telle perspective »
(Le Monde, 19 octobre). Lors du Conseil des ministres de la Justice
et des Affaires Intérieures des 25 et 26 octobre, il a apparemment
été dit que, sans reprendre pour l'instant l'idée
de centres pour demandeurs d'asile en Afrique du Nord, l'Union plaçait
la coopération avec les pays d'origine et de transit au coeur
de son programme, avec l'objectif d'empêcher les immigrants de
traverser la MéditerranéeDéclinée de la
sorte, la « coopération avec les pays d'origine
et de transit » nous semble présenter de dangereuses
similitudes avec « l'externalisation » des procédures
dont les « camps » ne sont qu'une des facettes
les plus visibles.
Ces perspectives nous semblent en total décalage avec le programme
que se sont fixé les Etats membres au sommet de Tampere de 1999,
qui parlait d'une Union ouverte et sûre, pleinement attachée
au respect des obligations de la convention de Genève sur les
réfugiés et des autres instruments pertinents en matière
de droits de l'homme, et capable de répondre aux besoins humanitaires
sur la base de la solidarité.
Nos organisations, associées un grand nombre de leurs partenaires
associatifs en Europe et au-delà, et soutenues dans leur démarches
par plus de cent élus nationaux et européens, ont lancé
un Appel contre la création de camps aux frontières de
l'Europe, dont vous trouverez ci-joint copie. Nous y plaidons pour une
Europe fidèle à l'esprit de Tampere, accueillante et ouverte.
Nous y demandons qu'en vertu des principes fondamentaux tirés
du droit international, l'Union facilite l'accès de son sol aux
personnes qui ont besoin de protection plutôt que de se défausser
de ses responsabilités vers d'autres pays.
Au même titre que ses partenaires, la France est appelée,
dans le domaine de la politique d'asile et d'immigration, à former
des choix qui engagent l'avenir de l'Union européenne. Nous vous
demandons de peser de tout votre poids pour que les projets d'« externalisation »
des procédures, quelles que soient les formes qu'ils peuvent
prendre, soient définitivement rejetés.
pour Michel Forst
Secrétaire général de la Cimade
Michel Tubiana
Président de la Ligue des Droits de l'Homme
Nathalie Ferré
Présidente du Gisti
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Dernière mise à jour :
29-11-2004 18:05
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Cette page : https://www.gisti.org/
doc/actions/2004/camps/chirac.html
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