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Par le réseau Migreurop*
Publiée dans Libération
du 15 octobre 2004.
En juin 2003 au sommet de Thessalonique, le Conseil de l'Union européenne
reportait, sans la repousser explicitement, une proposition britannique
d'installer des centres de traitement des demandes d'asile au-delà
des frontières européennes. Aujourd'hui, l'idée
d'externaliser la procédure d'asile européenne semble
revenir en force avec une initiative italo-allemande rendue publique
au mois d'août. Sous le nom lénifiant de «portails
d'immigration», il s'agirait, aux dires d'Otto Schily et de Giuseppe
Pisanu, ministres de l'Intérieur allemand et italien, de créer
une « institution européenne » chargée
du tri des demandeurs d'asile et des migrants dans des camps situés
hors des frontières de l'Union.
Ce projet est inquiétant au plus haut point, car il revient
à nier les droits élémentaires des migrants, poussant
le cynisme jusqu'à ériger des pays tels que la Libye ou
la Tunisie en garants des droits de l'homme, du droit d'asile et de
la protection des exilés. Cette proposition est le prolongement
d'une logique déjà largement à l'oeuvre, selon
laquelle les migrants ne sont plus des personnes auxquelles il faut
éventuellement accorder une protection, mais un danger dont l'Europe
doit se protéger. Cette tendance, perceptible depuis longtemps,
s'est accentuée après les attentats du 11 septembre
2001: c'est désormais ouvertement que les migrants sont associés
à la « menace terroriste ». Aussi les mesures
restrictives se multiplient-elles, présentées comme autant
de moyens de « gestion d'une immigration maîtrisée »,
en ignorant ce qu'elles comportent d'attentatoire aux droits fondamentaux.
Alors que le Conseil européen s'était engagé,
en 1999, à rapprocher la situation juridique des étrangers
de celle des ressortissants de l'Union, il n'a jamais véritablement
respecté ce programme. Pire, l'UE a fait le choix d'une politique
policière dont le seul objectif est d'ériger des barrières
physiques et juridiques sur la route de ceux qui souhaitent y entrer.
C'est ainsi que des accords de réadmission sont négociés
avec les « pays tiers sensibles » pour
les forcer, incitations économiques et sanctions à l'appui,
à accepter le retour de leurs ressortissants ou des personnes
ayant transité par leur territoire. C'est ainsi encore que la
Commission européenne encourage, moyennant soutien financier,
l'expulsion des migrants par charter.
Le nouveau projet italo-allemand, d'ores et déjà soutenu
par le futur commissaire européen chargé des questions
d'asile et d'immigration, est le dernier avatar d'une politique qui,
en dix ans, a concouru à la mort de plus de 4 500 migrants aux
portes de l'Union européenne. Les drames dans le détroit
de Gibraltar ou sur les côtes italiennes ne se comptent plus :
il ne se passe pas une semaine sans que les médias ne fassent
état d'une embarcation qui a coulé, de cadavres échoués
sur les plages ou de migrants provisoirement accueillis dans un état
déplorable. Les récentes tragédies du Cap Anamur
et du Zuiderdiep en Italie en sont l'illustration.
Pourtant, l'Europe persiste dans cette voie avec une démagogie
et un cynisme déconcertants : afin de justifier l'enfermement
des migrants loin du regard des opinions publiques européennes,
les dirigeants de l'UE n'hésitent pas à soutenir que ces
camps pourraient sauver des vies. Contre toute évidence, au lieu
de s'interroger sur les liens entre le durcissement continuel des conditions
d'accès au territoire de l'Union et les risques accrus que prennent
les migrants pour tenter d'y accéder, la création des
camps est présentée comme l'ultime recours pour les protéger.
Gommant des épisodes plus ou moins récents de l'histoire,
qui ont vu des Bosniaques pris au piège dans les zones de protection
de l'ONU ou, dans les années 30, des réfugiés allemands
rejetés par les pays voisins à qui ils demandaient asile,
l'Europe semble vouloir s'affranchir des responsabilités qui
lui incombent en vertu des engagements internationaux (Déclaration
universelle des droits de l'homme, convention de Genève, convention
européenne des droits de l'homme) auxquels elle a souscrit.
Face à cette logique, la société civile et les
organisations supposées garantir un contre-pouvoir démocratique
doivent réagir avec la plus grande fermeté.
Les 17 et 18 octobre, les ministres de l'Intérieur de cinq pays
de l'UE se rencontreront à Florence pour discuter de l'externalisation.
Le 5 novembre, un sommet réunira les vingt-cinq chefs d'Etat
et de gouvernement pour définir l'avenir de la politique d'asile
et d'immigration de l'Union. Ne les laissons pas organiser les prochaines
étapes de la dérive inhumanitaire de l'Europe. Déjà,
en Italie, le mouvement social se mobilise. Dans toute l'Europe, il
faut qu'un grand nombre de voix s'élèvent pour refuser
le dévoiement des politiques d'asile et d'immigration en logiques
policières de management. Il est urgent de dénoncer les
projets d'externalisation des procédures d'asile et la création
de nouveaux lieux d'enfermement des migrants.
* Emmanuel
Blanchard (Gisti, France), Michel Forst (Cimade, France), Karl Kopp
(ProAsyl, Allemagne), Rafael Lara (Apdha, Espagne), Filippo Miraglia
(Arci, Italie), Hicham Rachidi (Afvic, Maroc), Pierre-Arnaud Perrouty
(Mrax, Belgique)
participent au réseau (www.migreurop.org)
Dernière mise à jour :
12-10-2005 13:16
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Cette page : https://www.gisti.org/doc/presse/2004/migreurop/index.html
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