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Emplois fermés aux étrangers à la Sécurité sociale Courrier demandant la suppression des discriminations fondées sur la nationalité dans les organismes de Sécurité socialeÀ l'attention de : 20 avril 2001 Objet : demande d'abrogation des lettres-circulaires Madame la Ministre, Par la présente, nous avons l'honneur de vous demander de bien vouloir abroger les lettres-circulaires n° 79-373 du 19 octobre 1979 et n° 1293 du 16 octobre 1980 du ministre de la Santé et de la sécurité sociale (Direction de la sécurité sociale, Sous-direction des Affaires administratives et Financières), signées pour le Ministre et par délégation par le Directeur de la sécurité sociale, adressées au Directeur de l'Union Nationale des Caisses de sécurité sociale (U.N.C.A.S.S.) et relatives à l'embauche de personnel étranger dans les organismes de sécurité sociale. Dans l'instruction du 19 octobre 1979, tout en soulignant que « le personnel de la sécurité sociale [est] un personnel de droit privé soumis au droit commun du travail [entrant] dans le champ d'application de la loi [n° 75-625 du 11 juillet 1975] qui prévoit une condamnation pénale pour toute personne se rendant coupable de discrimination à l'embauche en fonction de la nationalité (...) », le ministre de la Santé et de la sécurité sociale demandait à ses services de soumettre à une condition de nationalité française le recrutement des « agents qui assurent de manière directe et effective la gestion du service public de la protection sociale ». Cette position s'imposerait à ces organismes « chargés d'une mission de service public », « nonobstant leur qualification juridique de droit privé » en raison de « principes constants en la matière » selon lesquels « nul ne peut se voir confier la gestion d'un service public s'il n'est de nationalité française ». Le ministre précisait également dans cette lettre que, selon son interprétation, « entrent certainement dans cette catégorie les emplois confiés aux agents de direction et agents comptables (...) ». Pour répondre à une demande de précision du directeur de l'UNCASS sur les agents visés par la définition donnée dans la lettre de 1979, il ajoutait, dans une lettre du 16 octobre 1980, que lui semblaient participer directement à la gestion du service public, « les agents qui, par délégation permanente du directeur ou de l'agent comptable, sont habilités à ordonnancer et payer les dépenses, à encaisser les recettes et à contrôler l'assiette des cotisations : liquidateurs de prestations, délégataires et fondés de pouvoir de l'agent-comptable, caissiers, agents payeurs lorsqu'il existe encore... », ceux qui « par délégation même tacite, sont amenés à exercer des fonction d'autorité dans l'organisation et la gestion des organismes et établissement », et, enfin, ceux « dont les fonctions requièrent l'agrément d'une autorité publique (...) : corps extérieurs de représentation et de contrôle ». En outre, dans ses instructions de 1979, il soulignait que « cette solution [lui] paraît également devoir également s'appliquer aux ressortissants de la Communauté européenne [en application de] l'article 48§4 du Traité de Rome [qui] contient une exception au principe de l'égalité de traitement avec les travailleurs nationaux pour les emplois de l'administration publique ». Or, on sait aujourd'hui, que dès 1980 (CJCE, 17 décembre 1980, Commission C/ Belgique, aff. 149/79, concl. Mayras, Rec., p. 3881), la Cour de Justice des Communautés Européenne donnait une interprétation différente de cette notion « d'emplois dans l'administration publique », n'excluant du bénéfice de l'égalité de traitement que les emplois comportant « une participation, directe ou indirecte, à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'État ou des autres personnes publiques ». Les emplois dans le cadre de la sécurité sociale ne relèvent manifestement pas de cette exception. Ces instructions sont donc contraires au principe général de droit communautaire de non-discrimination à raison de la nationalité. D'ailleurs, il semble que certains organismes de sécurité sociale, faute d'avoir reçu de nouvelles instructions, ne tiendraient pas compte de cette évolution jurisprudentielle et pourraient continuer à appliquer ces instructions de 1979. En revanche, ces instructions sont selon nos informations toujours appliquées pour le recrutement des étrangers non ressortissants de l'Union européenne. De plus, par effet de contagion, il semble que dans la pratique les agents recruteurs de ces organismes appliquent une condition de nationalité pour le recrutement de la quasi totalité de leurs agents même lorsque leurs fonctions n'impliquent aucune participation directe et effective au service public de la protection sociale [1]. L'existence de cette condition de nationalité nous semble pourtant contraire au principe d'égalité, garanti notamment par l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, tel qu'interprété par le Conseil d'État (notamment CE 30 juin 1989 BAS de Paris c/Lévy et MRAP) et le Conseil constitutionnel (notamment DCC 89-269 du 22 janvier 1990 et n° 93-325 du 13 août 1993). Qui plus est, contrairement à ce que soutient le ministre de la Santé et de la sécurité sociale, il n'existe aucune principe selon lequel « nul ne peut se voir confier la gestion d'un service public s'il n'est de nationalité française ». On peut même penser que le principe applicable est exactement inverse. Comme le résume le professeur Chapus, dans un article datant de 1981 [2], en s'appuyant sur la jurisprudence du Conseil d'État, « le principe, en droit français, est celui de la possibilité pour les étrangers d'exercer les fonctions publiques. Pour savoir si telle fonction est accessible aux étrangers, il y a lieu, en effet, de rechercher, non pas si elle leur a été déclarée ouverte, mais s'il existe des obstacles à ce qu'elle leur soit confiée ». Et, en effet, dès 1863 (14 mars 1863 Sauphar, p. 249, Dalloz périodique 1863.III.37, note X.), le Conseil d'État a reconnu la possibilité de recruter un étranger dans un emploi relevant d'une administration publique (en l'espèce en qualité d'employé dans le service intérieur des Ponts et Chaussée), en l'absence de disposition législative s'y opposant. Et c'est en 1975 c'est-à-dire avant la rédaction de ces instructions dans son arrêt Élection des représentants du personnel au Conseil d'administration du CES François Mauriac à Louvres (Dalloz, 1976 p. 72 et s note Pacteau) qu'il posa le principe selon lequel les « fonctions publiques (...) ne sont accessibles aux étrangers que si n'y mettent obstacle aucune disposition législative en vigueur, aucun principe général du droit public français, ni aucun acte pris par l'autorité disposant du pouvoir réglementaire dans les limites de ses compétences et compte tenu des nécessités propres et de la mission du service ». Or, il n'existe ni disposition législative, ni principe général, ni nécessités propres au service et à cette mission justifiant l'exclusion des étrangers d'emplois du service public de la protection sociale. Soulignons que depuis 1975, la Haute juridiction administrative a constamment adopté cette position (Voir notamment CE 12 mai 1978, Élection des membres étudiants du conseil d'administration du CROUS de Nancy-Metz, p. 205, RDP 1978, p. 1148, note Waline, et plus récemment CE 10 juillet 1996, Intercapa Solidarité Etudiants Étrangers et autres, n° 161461, conclusions Abraham). De plus, le Conseil constitutionnel a précisé, dans sa décision du 23 juillet 1991, que les dispositions de l'article 6 de la DDHC, si elles ont notamment pour objet de fonder le principe d'égal accès de tous aux emplois publics, ne sauraient être interprétées comme réservant aux seuls citoyens l'application du principe qu'elles énoncent. Ajoutons que le Conseil d'État a consacré dans son arrêt du 8 juillet 1998 M. Adam et autres (n° 191-812, conclusions Mme Maugüé, aux Petites affiches, n° 145 du 4 décembre 1998) un principe général dont s'inspire l'article L. 122-45 du Code du travail prohibant toutes discriminations en raison de la nationalité dans l'accès à un emploi dans le cadre d'un service public. Le recrutement des « agents qui assurent de manière directe et effective la gestion du service public de la protection sociale » à une condition de nationalité est clairement contraire à ce principe. Enfin, comme le mentionnait lui-même le ministre de la Santé et de la sécurité sociale dans ses instructions, le fait de subordonner intentionnellement l'accès à un emploi relevant du droit du travail à une condition de nationalité est également susceptible de constituer un délit, prévu et réprimé par les articles 225-1 et s. du code pénal, aggravé lorsqu'elle émane d'une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargé d'une mission de service public (article 432-7 du code pénal). C'est pourquoi, en application de l'article 3 du décret du 28 novembre 1983 et du principe général de droit dégagé par le Conseil d'État dans son arrêt de 1989 Alitalia, vous êtes tenu de faire droit à la présente demande d'abrogation. Il semble également nécessaire que vous édictiez de nouvelles instructions afin de clairement rappeler aux organismes de sécurité sociale, que selon l'état de droit existant, aucune condition de nationalité n'est applicable pour le recrutement d'agents en leur sein, et ce, quel que soit l'emploi. Espérant que vous donnerez une suite favorable à cette demande, nous vous prions d'agréer, Madame la ministre, l'expression de nos plus hautes considérations,
Notes[1] Voir sur ce point CERC-Association,« Immigration, emploi et chômage. Un état des lieux empirique et théorique », les dossiers du CERC-Association, n°3, mars 1999, chapitre IV, 1.3, Les organismes de sécurité sociale. [2] Chapus René, Nationalité et exercice de fonctions publiques, in Service public et Libertés, Mélanges Charlier, 1981, p.19 et s.
Dernière mise à jour :
14-10-2001 14:46
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