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Guide
de l'entrée et du séjour des étrangers en France
Introduction (2/2)
Voir la nouvelle édition
Lire la première
partie
La loi du 29 octobre 1981 prend sur beaucoup de points le contrepied de
la loi Bonnet. Les étrangers en situation irrégulière
ne peuvent plus être expulsés par la voie administrative :
ils doivent être déférés devant le juge correctionnel,
et c'est au juge qu'il appartient de décider, en tenant compte
de la situation personnelle et professionnelle de l'intéressé,
la reconduite à la frontière éventuelle de l'étranger
coupable d'être entré ou d'avoir séjourné illégalement
sur le territoire. La pratique redonnera malheureusement très vite
à la procédure judiciaire un caractère expéditif
et automatique.
L'expulsion, de son côté, est désormais subordonnée
à l'existence d'une condamnation pénale au moins égale
à un an de prison ferme ; les garanties de procédure
qui l'entourent sont accrues ; enfin et surtout, les étrangers
mineurs ou ayant des attaches personnelles ou familiales en France ne
peuvent plus faire l'objet de mesures d'éloignement. Néanmoins,
l'ensemble de ces garanties disparaissent en cas d'urgence absolue,
lorsque l'expulsion constitue « une nécessité
impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou pour la sécurité
publique » ; or cette disposition, qui devait permettre
de garantir l'Etat contre des menaces liées à l'espionnage
ou au terrorisme, a été détournée de son
objectif initial puisqu'elle est utilisée pour l'essentiel à
l'encontre d'étrangers normalement protégés contre
l'expulsion lorsqu'ils ont été condamnés pour des
crimes ou délits d'une certaine gravité.
Cette immunité relative contre l'expulsion concrétise
la reconnaissance à certaines catégories d'étrangers
d'un véritable droit de demeurer sur le territoire français
un droit qui sera encore conforté par l'adoption
de la loi du 17 juillet 1984. L'innovation la plus importante de cette
loi réside dans la création d'une carte de résident
valable dix ans, qui donne le droit d'exercer sans autorisation sur
l'ensemble du territoire la profession de son choix, et qui, dans la
mesure où son renouvellement est automatique, confère
à son titulaire un droit au séjour quasiment inconditionnel
aussi longtemps, du moins, qu'il ne menace pas l'ordre public.
Elle est remise à tous les étrangers résidant en
France régulièrement depuis plus de trois ans au moment
de la promulgation de la loi ainsi qu'aux étrangers qui ont des
attaches en France en raison de l'ancienneté de leur séjour
ou des liens familiaux qu'ils y ont noués.
Mais parallèlement à l'adoption de ces mesures qui transforment
sensiblement la situation des étrangers installés en France,
la gauche maintient en vigueur, en 1981, deux des dispositions les plus
contestées de la loi Bonnet : l'exécution forcée
des mesures d'expulsion, et surtout la « rétention »
des étrangers en instance de départ forcé. Reprenant
à son compte l'objectif de fermeture des frontières et
de lutte contre l'immigration clandestine, elle n'estime pas opportun
de se priver d'un moyen supplémentaire d'assurer l'effectivité
des mesures de reconduite à la frontière ; elle se
borne donc à entourer l'exercice de ces prérogatives exorbitantes
de garanties de procédure supplémentaires, souvent illusoires
au demeurant.
En sens inverse, la loi du 9 septembre 1986, dite « loi Pasqua »,
votée par une majorité de droite pendant la première
cohabitation, revient sur un grand nombre de dispositions adoptées
par la gauche : elle rend aux préfets, statuant seuls et sans
aucune procédure permettant l'exercice des droits de la défense,
le droit de prononcer la reconduite à la frontière des étrangers
en situation irrégulière ; elle rétablit le
régime de l'expulsion tel qu'il existait antérieurement
à la loi du 29 octobre 1981 ; elle restreint la liste des
étrangers protégés contre les mesures d'éloignement
du territoire ou qui obtiennent de plein droit une carte de résident ;
elle allonge encore la liste des documents exigés pour entrer sur
le territoire français.
A son tour, la loi du 2 août 1989, dite « loi Joxe »,
adoptée non sans de longues hésitations
après le retour de la gauche au pouvoir, revient sur plusieurs
points à l'esprit et souvent à la lettre
de la loi du 29 octobre 1981, en libéralisant les règles
relatives au séjour et à l'expulsion. Elle introduit également
un certain nombre d'innovations bienvenues : elle recule par exemple
jusqu'à 18 ans l'âge auquel les jeunes étrangers
doivent être en possession d'un titre de séjour, et elle
instaure deux nouvelles garanties de procédure non négligeables :
- la consultation préalable d'une commission du séjour
des étrangers avant tout refus de délivrance d'une carte
de résident à un étranger qui peut prétendre
l'obtenir de plein droit ou avant tout refus de renouvellement d'une
carte de séjour temporaire ;
- la possibilité de former un recours suspensif devant le tribunal
administratif contre les mesures de reconduite à la frontière.
L'effort fait pour inscrire dans la loi des garanties nouvelles n'empêche
pas l'arbitraire administratif de se développer. Les droits nouvellement
accordés sont trop souvent privés d'effets par une interprétation
restrictive des textes et par la suspicion systématique à
l'égard de tous ceux qui en réclament le bénéfice :
les étudiants, les conjoints de Français, les demandeurs
d'asiles sont les principales victimes de ces pratiques contestables.
En 1991 et 1992, un nouveau train de mesures présentées
comme tendant à la « maîtrise de l'immigration »
sont progressivement mises en oeuvre : contrôle renforcé
sur les visas délivrés par les consulats, sanctions contre
les compagnies aériennes qui transportent des voyageurs démunis
des documents nécessaires pour entrer en France, renforcement
des contrôles sur les étrangers venant en France pour une
visite privée, renforcement des peines encourues en matière
de travail clandestin, suppression du droit au travail pour les demandeurs
d'asile, création de zones d'attente dans les ports et aéroports
où les étrangers non admis sur le territoire et les demandeurs
d'asile peuvent être maintenus pendant vingt jours...
Ces gages donnés à l'opinion n'empêchent pas la déroute
de la gauche aux élections législatives de mars 1993, qui
ramènent au pouvoir une droite plus puissante que jamais. A court
de propositions concrètes susceptibles de résoudre le seul
problème qui menace sérieusement la cohésion de la
société française, à savoir le chômage,
le nouveau gouvernement s'empare de la question de l'immigration et fait
adopter précipitamment par le Parlement trois textes : la
loi du 22 juillet 1993 réformant le code de la nationalité
et obligeant notamment les jeunes nés en France de parents étrangers
à « manifester leur volonté » de devenir
français pour acquérir la nationalité française ;
la loi du 10 août 1993 facilitant les contrôles d'identité ;
et la loi du 24 août 1993 complétée par celle du 30
décembre 1993 modifiant les conditions d'entrée, d'accueil
(sic) et de séjour des étrangers en France.
La loi du 24 août 1993, au coeur du dispositif mis en place
par le ministre de l'Intérieur, est toute entière sous-tendue
par une philosophie implicite selon laquelle les étrangers n'ont
aucun droit à être en France ni à y demeurer. Ils
ne peuvent par conséquent y jouir d'aucune protection, sinon
celle que l'on consent, discrétionnairement, à leur accorder.
Les possibilités de regroupement familial sont restreintes et
des sanctions sévères menacent ceux dont la famille se
maintient irrégulièrement sur le territoire ; les
mariages entre Français et étrangers sont placés
sous haute surveillance et le droit au séjour des conjoints de
Français est limité, en vertu de la suspicion systématique
qui pèse sur les mariages mixtes ; les personnes entrées
en France alors qu'elles étaient enfants se voient retirer la
garantie de pouvoir y demeurer après leur majorité ;
les étrangers en situation irrégulière perdent
tout droit aux prestations de sécurité sociale, même
s'ils ont travaillé et cotisé plusieurs années ;
les demandeurs d'asile doivent obtenir des préfectures une autorisation
de séjour avant de pouvoir présenter leur demande à
l'OFPRA, etc.
Ces textes marquent donc une nette régression de la condition
des étrangers dans le sens d'une précarité accrue.
Et l'application stricte de ces textes par une administration moins
accessible que jamais à des considérations de simple humanité
en démultiplient encore les conséquences néfastes.
Familles disloquées, conjoints séparés, femmes
enceintes et malades privés de soins, enfants non scolarisés,
Algériens rapatriés de force vers l'Algérie... :
on pourrait sans peine allonger la liste des situations dramatiques
engendrées par des textes excessivement rigoureux mis en uvre
avec une brutalité peu commune.
Au-delà de leurs conséquences négatives sur la
situation des étrangers, ces mesures n'ont pu qu'accréditer
dans l'opinion l'idée que les étrangers sont la cause
principale des maux dont souffrent la France et ses habitants, au risque
d'attiser la xénophobie et le racisme.
A force de présenter la lutte contre l'immigration clandestine
comme une priorité nationale et vitale à laquelle chacun
est prié, voire sommé d'apporter son concours actif, on
a aussi suscité l'apparition de pratiques inquiétantes
qui sapent les fondements mêmes de la démocratie et de
l'Etat de droit : la violation délibérée des
garanties de procédure prévues par une loi déjà
bien peu contraignante pour ne pas prendre le risque de voir un seul
étranger échapper à la reconduite à la frontière ;
la suspicion généralisée à l'égard
des étrangers ; la propension spontanée
ou encouragée des agents de l'administration à
dénoncer les étrangers en situation irrégulière ;
les poursuites pénales engagées contre les personnes qui,
en hébergeant l'un d'entre eux, se rendent coupables du délit
d'aide à l'entrée ou au séjour irréguliers
d'un étranger en France.
Les mouvements de « sans-papiers » qui se sont multipliés
à partir de mars 1996 ont fait apparaître les impasses d'une
politique d'immigration fondée sur le « tout répressif »
et l'irréalisme de l'objectif « immigration zéro »,
même corrigé en « immigration clandestine zéro ».
En prévoyant d'accorder à certaines catégories d'étrangers
celles que la loi Pasqua avait privées de l'accès
à la carte de résident une carte de séjour
temporaire, la «
loi Debré » du 24 avril 1997 a pris acte de l'impossibilité
d'appliquer strictement les textes adoptés quatre ans plus tôt.
Reste que l'essentiel des dispositions de la loi Debré ont
eu pour objet de renforcer encore la dimension répressive de
la législation et d'accroître la précarité
du séjour des étrangers en situation régulière :
confiscation du passeport des étrangers en situation irrégulière,
mémorisation des empreintes digitales des étrangers qui
sollicitent un titre de séjour, accroissement des pouvoirs de
contrôle de la police, restriction des pouvoirs du juge en matière
de rétention, d'un côté ; possibilités
nouvelles données à l'administration de retirer un titre
ou de refuser son renouvellement, suppression des garanties de procédure,
de l'autre.
Le gouvernement avait dû renoncer, il est vrai, sous la pression
d'une opinion brusquement réveillée, à l'une des
dispositions du projet de loi qui était pourtant le plus ardemment
réclamée par les membres de sa majorité :
celle qui visait à contrôler plus étroitement les
personnes, françaises ou étrangères, hébergeant
des visiteurs étrangers et à les « responsabiliser »
en les obligeant à déclarer le départ de ces visiteurs
de leur domicile. L'émotion qui, en février 1997, s'est
emparée de larges couches de la population, n'a probablement
pas été étrangère à la défaite
de la droite aux élections législatives de mai-juin 1997.
Il n'empêche que Lionel Jospin a choisi, comme on l'a vu, de
se faire l'héritier d'une tradition de fermeture plutôt
que de s'appuyer sur le courant de sympathie en faveur des sans-papiers
qui n'a pourtant pas été étranger à son
succès électoral. L'histoire en est là aujourd'hui.
La crise des sans-papiers continue. Affaire à suivre.
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19-03-2003 13:01
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