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Article publié dans la revue Proteste,
n° 101, septembre 2004.
En France comme en Europe, le droit d'asile subit de graves attaques,
au travers de politiques et de pratiques qui limitent drastiquement
l'accès au statut de réfugié. Ce processus s'inscrit
dans un contexte plus général par lequel, sous couvert
de lutte contre l'immigration illégale et le terrorisme, l'Union
européenne en arrive à réduire sa politique migratoire
à une approche purement utilitariste, avant tout déterminée
par les impératifs économiques des États membres.
Les étrangers persécutés dans leur pays ou risquant
de l'être peuvent-ils bénéficier de la protection
d'une Europe dont les chefs d'Etats et de gouvernements considèrent
que l'« aspiration légitime à une vie meilleure
[des migrants] doit être conciliable avec la capacité
d'accueil de l'Union »[1] ?
Derrière cette pudique « capacité d'accueil »
se cache la volonté de privilégier les migrants économiquement
utiles au détriment des autres.
La législation dont s'est dotée l'Europe depuis la fin
des années 90 tend, de fait, à nier tous les autres motifs
qui pourraient justifier l'arrivée d'étrangers sur son
sol. Elle ne fait guère de place au droit pour les persécutés,
pourtant consacré par la Déclaration universelle des droits
de l'homme, de « chercher asile et de bénéficier
de l'asile en d'autres pays ». Car pour « chercher
asile », encore faut-il avoir pu franchir la frontière.
C'est pourquoi la défense du droit d'asile passe nécessairement
par la revendication d'une autre politique d'immigration, fondée
sur la fluidité de la circulation des personnes[2].
Contrairement à ce que l'on entend dire parfois, cette revendication
ne nuit pas à la cause des réfugiés. La fermeture
des frontières, qui réduit, pour les étrangers,
les possibilités légales d'entrer, et qui prétend
interdire les entrées illégales, ne parvient à
cet objectif qu'au prix de la violation de principes fondamentaux. Aujourd'hui,
l'obsession de la lutte contre l'immigration clandestine conduit les
pays développés à ériger de plus en plus
d'obstacles à l'arrivée sur leur sol d'étrangers
qui pourraient légitimement prétendre s'y installer (visas
systématiquement refusés à ceux qui présentent
un « risque migratoire », agents de liaison qui
empêchent la montée à bord des avions dans les pays
de départ, subterfuge juridique des zones d'attente pour refuser
l'entrée à l'arrivée, arraisonnements de bateaux,
pressions sur les pays sources de migration pour qu'ils contrôlent
mieux leurs propres frontières). C'est au nom de cette lutte
qu'au mépris du respect de la vie privée et familiale,
pourtant protégé par la Convention européenne des
droits de l'homme, le regroupement familial soit parfois rendu impossible.
Et que la Convention de Genève de 1951 relative aux réfugiés
est régulièrement bafouée : en limitant l'accès
au territoire des étrangers en général, on empêche
ceux d'entre eux qui fuient des persécutions de trouver protection
dans un pays d'accueil.
La politique de fermeture des frontières pratiquée par
l'Union européenne, supposée être une réponse
à la pression migratoire, n'a ni pour effet ni pour intention
de supprimer les facteurs attractifs qui en sont une des explications,
au contraire. Loin de gêner l'activité des employeurs qui
exploitent les victimes du travail clandestin, et celle des mafias qui
s'enrichissent sur le trafic d'êtres humains, elle renforce la
dangerosité des frontières et fait, du même coup,
monter les tarifs des passeurs. Participent de cette entreprise toutes
les mesures mises en place par les Etats, qu'elles soient de nature
policière (Schengen, fichier Eurodac, relevé des données
biométriques), ou qu'elles visent à la dissuasion (accords
de réadmission pour refouler les indésirables, notion
de « pays tiers sûrs » qui permet le renvoi
des demandeurs d'asile vers le pays par lequel ils ont transité,
camps d'enfermement d'étrangers et de demandeurs d'asile à
l'extérieur et à l'intérieur de l'Europe[3]).
Autant de dispositifs dont les conséquences peuvent être
fatales : par exemple, on évalue à quatre mille le nombre
de personnes ayant trouvé la mort en essayant de franchir sans
autorisation le détroit de Gibraltar pour rejoindre l'Europe
entre 1997 et 2001[4]. Parmi elles,
combien de réfugiés ?
De fait, tout se passe comme si la gestion, par l'UE, de ses frontières
extérieures n'était conçue que pour en organiser
la porosité lucrative (pour certains) et meurtrière (pour
les autres). Par là même, sont discrédités
ses propres discours officiels et pseudo-humanitaires sur la nécessaire
lutte contre les filières, et sur le devoir de protection à
l'égard des victimes de la traite humaine et des persécutions
de tous ordres : ceux qui tiennent ces discours sont souvent à
l'origine des maux qu'ils dénoncent.
Au Gisti, qui défend la liberté de circulation et, parce
qu'elle en est le corollaire, la régularisation des sans-papiers,
on oppose qu'il y aurait un risque de « brouillage de pistes »
desservant la cause des réfugiés. On nous dit que c'est
procéder à un amalgame dangereux que de dénoncer
sans hiérarchie le sort fait aux demandeurs d'asile, aux déboutés
et aux sans-papiers, pourtant aujourd'hui souvent rassemblés
dans les mêmes squatts et sous les mêmes banderoles.
Il nous semble au contraire que le rétablissement de la liberté
de circulation pourrait être un facteur de réhabilitation
du droit d'asile.
C'est en effet parce que l'admission des étrangers au séjour
sur le territoire est une prérogative de l'administration et
non un droit, parce qu'elle a été liée à
des questions de sécurité intérieure mais surtout
à celle de l'intérêt de la nation et à ses
besoins de main d'uvre que la logique policière s'infiltre
dans l'admission à l'entrée, et dans la procédure
d'asile. Le droit d'asile se trouve, de ce fait, géré
comme un « flux migratoire » parmi d'autres. En
période d'expansion économique et de besoin affiché
de main-d'uvre, la France a accepté, sans craindre l'amalgame,
immigrés et réfugiés. Les seconds ne demandaient
d'ailleurs pas forcément à être reconnus comme tels,
pour autant qu'ils puissent rester. Depuis le début des années
80, date à partir de laquelle, dans la foulée de la fermeture
des frontières à l'immigration de travail décidée
sur fond de crise pétrolière et d'éruptions xénophobes,
l'accueil des réfugiés a considérablement diminué
en France, le système de reconnaissance de la qualité
de réfugié s'est progressivement perverti au point d'être
aujourd'hui assimilable à une loterie, à laquelle les
gagnants sont rares[5]. Car l'octroi
du statut signifie droit au séjour, ce dont ne peuvent se satisfaire
ceux qui, comme un ancien ministre de l'Intérieur français,
privilégient l'immigration « choisie »
en fonction des besoins de l'économie contre l'immigration « subie »
- dont à ses yeux fait partie l'asile[6].
Comme ses voisins européens, la France a mis en place une procédure
particulièrement inégalitaire, qui semble tout entière
orientée vers le souci de débusquer, pour l'écarter,
le « faux » réfugié. Régulièrement
désigné, tant par les pouvoirs publics que par certaines
associations, comme la source de tous les maux, ce « faux »
réfugié n'est en réalité que la victime
de l'égoïsme, mêlé de mauvaise conscience,
des sociétés industrialisées face aux désordres
qui secouent le monde. Lorsqu'ils rejettent, comme « manifestement
infondée » la demande de protection d'une femme qui
préfère s'exiler plutôt que d'être contrainte
au mariage, d'un malade qui n'a d'autre issue que de chercher en Europe
le traitement sans lequel il mourrait, d'un paysan que pousse hors de
chez lui la pression de factions rivales dont il est l'otage, les pays
occidentaux s'exonèrent à bon compte d'une responsabilité
aussi bien historique que contemporaine. Et feignent d'ignorer que seule
une répartition plus équitable des biens de la planète,
dont la liberté de circulation est un des vecteurs, serait à
même de freiner, à terme, les déplacements de population
et permettrait, du coup, de rendre sa légitimité à
un droit d'asile débarrassé des soupçons de dévoiement
qui le minent aujourd'hui.
Juillet 2004
* Une première version de cet
article, ici remanié et actualisé, a été
publié dans la revue A propos, numéro 5, (jan-mars 2004)
Notes
[1] Conclusion du
« sommet » européen de Séville,
juin 2002.
[2] Sur cette question,
lire notamment la lettre
ouverte à Lionel Jospin, « Contribution à un
débat empêché », signée d'Act
Up-Paris, Droits Devant !!, Cedetim, Fasti, Gisti, Syndicat de la Magistrature
(10 juillet 97) et l'article « Tout
bien réfléchi, la liberté de circulation »
, Plein Droit n° 37, sept. 1997.
[3] Le réseau
Migreurop a dressé une carte de ces camps : www.migreurop.org
[4] Sur le site de
United : www.unitedagainstracism.org,
on trouvera d'autres éléments statistiques sur les morts
de migrants clandestins.
[5] Environ 90 %
des demandes d'asile sont rejetées, contre moins de 10 %
il y a trente ans. On n'a pourtant pas remarqué que les causes
d'exil auraient corrélativement diminué depuis cette époque.
[6] « Notre
pays doit retrouver une politique migratoire. Depuis de trop nombreuses
années, il n'en a plus [
] et le volant d'"immigration »
légale est entièrement alimenté par des flux que
nous subissons, comme le regroupement familial et les demandeurs d'asile
« Nicolas Sarkozy, lors de la présentation de son
projet de réforme de la loi sur l'immigration à l'Assemblée
Nationale, le 3 juillet 2003 ».
Dernière mise à jour :
31-01-2005 13:25
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Cette page : https://www.gisti.org/doc/presse/2005/protest/index.html
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