Kurdes Réfugiés
naufragés de Fréjus
Des clandestins ?
Non, des réfugiés
UN ENTRETIEN AVEC DANIÈLE LOCHAK
Le Nouvel Observateur, 22-29 février
N.B. L'interview a été réalisée avant
la libération des Kurdes retenus en zone d'attente.
Pour l'ancienne présidente du groupe d'information et de soutien
des immigrés (GISTI), la France ne devrait pas confondre hypocritement
asile et immigration.
Le Nouvel Observateur Que vous inspire le calvaire des
910 Kurdes irakiens arrivés le week-end dernier à
Saint-Raphaël ?
Danièle Lochak C'est la première fois que
la France est confrontée à une arrivée aussi massive
de réfugiés. En novembre déjà, un millier
de réfugiés, dont beaucoup de Kurdes, avaient débarqué
à Otrante, en Italie. Ce qui frappe, c'est évidemment
le nombre de personnes concernées.
N.O Fuient-ils pour des raisons économiques ou
politiques ?
D. Lochak Ces gens sont doublement victimes des conséquences
de la guerre du Golfe : comme toute la population irakienne, ils
subissent les effets des sanctions occidentales, mais ils sont en plus
persécutés dans leur pays. Il ne faut tout de même
pas avoir la mémoire courte ! En 1991, pendant la guerre
du Golfe, les Kurdes d'Irak ont été directement menacés
par le régime de Saddam Hussein. À tel point que l'ONU
avait mis en place des mesures de protection. Un système que
les pays européens prennent en modèle aujourd'hui et dont
on voit bien toute l'ambiguïté : on reconnaît
officiellement que ces gens sont victimes de persécutions mais
on fait tout pour ne pas les accueillir chez nous ! Les statistiques
du HCR (le haut commissariat aux réfugiés) sont éclairantes :
il y a plus de 20 millions de réfugiés dans le monde,
mais une infime partie en Europe. En revanche, des pays pauvres comme
le Pakistan ou le Zaïre accueillent les réfugiés
des États voisins, et supportent un poids économique auquel
l'Europe affirme ne pas pouvoir faire face.
N.O Au delà d'une prise en charge humanitaire,
que peuvent espérer ces 910 réfugiés ?
D. Lochak La question ne devrait pas être posée
en termes humanitaires : ce n'est pas par gentillesse ou grandeur
d'âme que nous devons les accueillir, mais parce qu'ils répondent
aux critères définis par la Convention de Genève
sur le statut des réfugiés. Que devient le droit d'asile
si c'est par « humanité » qu'on le reçoit ?
N.O Y a-t-il un risque pour ces Kurdes irakiens d'être
expulsés ?
D. Lochak Il faudrait vraiment beaucoup de culot au gouvernement
pour prétendre que les demandes de ces Kurdes sont « manifestement
infondées » ! Juridiquement, ces réfugiés
ne peuvent être maintenus en zone d'attente, où on
les a placés dans des conditions d'une légalité
douteuse, plus de vingt jours. Ensuite, il faudra bien, si l'on respecte
les règles en vigueur, que les demandes d'asile déposées
soient examinées par l'OFPRA, et qu'on leur donne des autorisations
de séjour pendant la durée de la procédure. Avec,
là encore, une ambiguïté majeure : pour obtenir
le statut de réfugié politique, il faut pouvoir prouver
individuellement que l'on est en danger. Le fait d'appartenir à
une minorité persécutée ne suffit pas. Or, il est
souvent difficile de prouver que l'on est menacé dans son pays.
Les statistiques sont d'ailleurs éloquentes : en France,
près de 9 demandes d'asile sur 10 sont recalées.
N.O Mais pourquoi ces gens-là sont-ils à
la merci des mafias et des passeurs ?
D. Lochak Parce qu'ils n'ont pas d'autres moyens de venir.
À partir du moment où ils ne peuvent pas fuir par des
moyens légaux et sécurisés, ils sont obligés
de recourir à des filières illégales clandestines,
au péril de leur vie. Après avoir décrété
l'arrêt de toute immigration de travail, les gouvernements européens
continuent à prétendre qu'ils entendent respecter le droit
d'asile. Mais dans la pratique, toute la politique européenne
revient à confondre immigration et asile. Faisons plutôt
en sorte que ces réfugiés qu'on qualifie hypocritement
de « clandestins » puissent venir par des moyens
légaux nous demander l'asile que la convention de Genève
leur reconnaît.
Propos recueillis par Isabelle Monnin.
Dernière mise à jour :
25-02-2001 16:15.
Cette page : https://www.gisti.org/
doc/presse/2001/lochak/refugies.html
|