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Rapport « Immigration,
emploi et chômage » du CERC
Immigration, emploi
et chômage
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Dans le débat public, la relation entre immigration et situation
du marché du travail paraît s'imposer d'elle-même :
il existerait un lien direct entre flux nets d'immigration et volume
de chômage dans le pays d'accueil. L'immigration, dont chacun
reconnaît le rôle économique positif dans les bonnes
conjonctures, serait tout aussi évidemment un facteur d'aggravation
du chômage en période de récession. Les pouvoirs
publics devraient arbitrer entre l'entrée de migrants supplémentaires
et la préservation des emplois ou des acquis sociaux des personnes
déjà résidentes.
Ce dossier propose une analyse des liens entre immigration,
emploi et chômage, par une mise en perspective des informations
disponibles, au moyen d'une approche statistique, économique
et historique.
Le dossier fait le point sur la place actuelle des étrangers
dans le système productif national. Une préoccupation
majeure est la concurrence qu'ils feraient aux travailleurs français.
Pourtant, à y regarder de près, la main-d'oeuvre étrangère
occupe traditionnellement des emplois peu substituables
avec ceux de la main-d'oeuvre autochtone, en particulier du fait de
la moins bonne qualité des statuts et des rémunérations.
Surtout, l'analyse des données statistiques concernant les étrangers
met en lumière un fait majeur: dès la fin des années
70, la crise a touché de plein fouet la main-d'oeuvre étrangère
qui, au gré des restructurations, a été amenée
à jouer malgré elle un rôle « d'amortisseur
de crise » dans les ajustements de l'emploi, contribuant
ainsi à limiter la montée du chômage des autochtones.
Ainsi les licenciements d'étrangers représentent dans
les années quatre-vingt près de la moitié des licenciements
dans des secteurs comme l'automobile ou le BTP. Au total, de 1975 à
1990, 40 % des postes de travail occupés par les étrangers
dans l'industrie ont été supprimés, ce qui correspond
au licenciement de plus d'un demi million de salariés. Alors
qu'ils représentaient 12 % des salariés dans les
établissements de plus de dix personnes fin 1973, ils n'en représentent
plus que 7,7 % fin 1991 et 6,6 % fin 1995.
En même temps, le rôle de l'immigration sur le marché
du travail a évolué : autrefois recrutée en
complément à une main-d'oeuvre française qui refusait
les bas salaires et les conditions de travail pénibles du secteur
industriel, elle a assumé au cours des années quatre-vingt
un rôle de « laboratoire de la flexibilité
du travail » notamment dans les secteurs de service.
Les durcissements successifs de la législation sur le séjour
ont placé les migrants plus récents, notamment ceux privés
ou dépourvus d'autorisation légale, dans une situation
d'insécurité qui a favorisé leur cantonnement
dans des formes précaires d'emploi ; leur très forte
présence dans l'emploi intérimaire en est une illustration.
Si les observations statistiques paraissent donc plutôt aller
à l'encontre de certains schémas courants, l'idée
de restreindre ou d'inverser les flux migratoires pour limiter le chômage
ne peut davantage se justifier par l'état actuel des connaissances
théoriques et empiriques dont disposent les économistes.
Les arguments communément avancés tant sur les causes
de l'immigration que sur ses conséquences sur la société
d'accueil n'ont aucunement, du point de vue de la théorie économique,
le statut d'évidences que le sens commun leur prête. Au
contraire même, les modèles théoriques qu'utilisent
quotidiennement la plupart des économistes, amènent plutôt
à une vision optimiste de l'influence de l'immigration sur le
bien-être social.
Tout d'abord, l'immigration implique une augmentation du nombre de
consommateurs : cet accroissement de la demande sur le marché
des produits va se répercuter sur le marché du travail
par une augmentation de la demande de travail par les
entreprises. D'autre part, l'augmentation de la population active va
permettre d'accroître le volume total de richesses
créées dans l'économie nationale, et surtout de
modifier leur répartition entre les différentes
catégories sociales.
Comme la main-d'oeuvre immigrée n'a pas les mêmes caractéristiques
que la main-d'oeuvre autochtone (en termes de formation, de diplôme,
d'aspirations, mais aussi de vulnérabilité), l'immigration
va affecter non seulement le volume de l'offre de travail, mais la structure
de la population active. Deux effets vont se conjuguer : un effet
de « complémentarité » (les immigrants
récents remplissant les postes de travail dédaignés
par les autochtones - par exemple du fait de leur acceptation de
salaires inférieurs) - et un effet de "substitution" (les
immigrés plus anciens entrant en concurrence avec les travailleurs
autochtones sur des emplois standard).
Toute la difficulté de l'analyse consiste à décrire
ce glissement progressif : de leur rôle de complément,
qui a justifié initialement leur introduction et leur embauche,
les immigrés deviennent progressivement substituables, à
mesure que, leur durée de séjour s'accroissant, leurs
caractéristiques se rapprochent de celles des travailleurs autochtones.
Dans les années 80, la précarité gagnant une fraction
croissante du salariat, la complémentarité entre immigrants
et autochtones se recompose selon de nouvelles lignes de clivage. Expulsés
de l'industrie, les immigrants tendent à pénétrer
les services, surtout les services peu qualifiés et l'intérim.
L'immigration facilite les redéploiements entre secteurs et l'ajustement
de l'emploi. Pour la théorie économique standard, l'immigration
est un facteur de flexibilité du marché du travail et
donc favorable à la réduction du chômage. Pour les
théories hétérodoxes, elle joue un rôle important
dans la déstructuration et la restructuration des formes d'emploi.
Au delà de leur diversité, ces approches se rejoignent
pour conclure au rôle négligeable, voire contraire à
l'opinion commune, de l'immigration sur le chômage.
L'analyse économique, orthodoxe ou hétérodoxe,
attire surtout l'attention sur les effets redistributifs de l'immigration,
favorables aux revenus du capital et, éventuellement, aux salaires
des travailleurs les plus qualifiés. Pour les entreprises, cet
effet redistributif est l'une des motivations principales dans leur
recours à la main-d'oeuvre étrangère. Pour les
travailleurs des pays d'accueil, des études empiriques nord-américaines
indiquent des effets très limités, mais non totalement
négligeables, de l'immigration sur la structure des salaires.
L'impact principal s'observe sur les salaires des immigrés eux-mêmes.
L'analyse économique permet également d'éclairer
la question des causes des migrations. A cet égard, les aspects
historiques, politiques et culturels apparaissent beaucoup plus importants
dans la dynamique migratoire que la seule loi du « différentiel
de revenus ». L'essentiel des migrations de masse résulte
de guerres ou d'effondrements politiques et reste confiné à
l'intérieur des pays du Sud. Concernant l'immigration économique,
les départs vers les pays du Nord nécessitent le plus
souvent l'existence d'un certain capital économique et culturel,
et empruntent des filières plus ou moins organisées. Contrairement
à une idée reçue, le développement au Sud
implique, dans une première phase qui peut durer des décennies,
une intensification des migrations vers le Nord plutôt que leur
ralentissement.
L'immigration met en jeu des mécanismes économiques
complexes, qui peuvent agir dans des sens contradictoires et avec des
délais différents. Certains impacts de court terme peuvent
s'effacer sous l'effet d'autres mécanismes plus lents. Il est
donc difficile d'apporter des réponses claires et définitives
à la question de l'impact économique de l'immigration.
Toutefois, la quasi-totalité des études empiriques disponibles,
aux Etats-Unis ou en Europe, ne confirme pas l'hypothèse d'un
effet de l'immigration sur le chômage. Ainsi, une comparaison
des évolutions dans les différents pays de l'OCDE entre
1973 et 1996 met en évidence une remarquable corrélation
entre la croissance de la population active et celle de l'emploi. Ces
résultats infirment ainsi la thèse selon laquelle la croissance
du chômage serait une simple conséquence de celle des ressources
de main-d'oeuvre, en particulier immigrée.
Si les responsables politiques sont unanimes pour lier étroitement
politique d'immigration et situation du marché du travail, la
théorie économique et les analyses empiriques ne sauraient
étayer un tel consensus. La place de l'immigration dans
le débat politique ne s'explique pas par son impact économique
réel mais par les craintes de déclassement ressenties
par les catégories les plus menacées par la crise économique.
L'instrumentalisation de ces peurs par le personnel politique en renforce
la visibilité sociale, tout en permettant de contribuer à
la gestion des tensions politiques dans les pays d'accueil. Ainsi, le
remplacement d'étrangers par des autochtones pourra atténuer
les conséquences politiques de la montée du chômage;
de même la focalisation sur le problème de l'immigration
peut être utilisée pour canaliser les tensions politiques
et sociales engendrées par la crise. La mobilisation des
affects « communautaires » et nationalistes sert
alors d'exutoire au mécontentement des populations touchées
par la crise économique. Les théories économiques
ne sauraient justifier ces stratégies politiques.
Le présupposé de l'existence avérée d'un
lien direct entre flux nets d'immigration et volume de chômage
n'est pas seulement une idée fausse ou un raisonnement paresseux.
L'histoire de la législation française relative
à l'immigration montre que cette idée a orienté,
avec des rythmes très variables, la plupart des politiques migratoires
depuis la fin du dix-neuvième siècle.
Du point de vue de l'analyse économique , les politiques
de l'immigration sont passées en un siècle d'une pratique
de laissez-faire les employeurs, à une stricte régulation
étatique de toute nouvelle installation sur le territoire. Les
politiques migratoires, réellement initiées à la
fin du 19ème siècle, ont mêlé objectifs démographiques
de peuplement et objectifs économiques d'alimentation du marché
du travail. Avant 1945, les préoccupations démographiques
expliquent en grande partie la tournure libérale prise par la
législation sur la nationalité, ainsi que la faveur relative
donnée en France à l'immigration familiale, contrairement
à d'autres pays d'Europe. A la Libération, un nouveau
cadre est donné à la politique d'immigration qui vise
à la fois des objectifs démographique et économique :
il s'agit de stimuler la croissance de la population et de fournir la
main-d'oeuvre nécessaire à la reconstruction. Depuis 1974,
les politiques migratoires successives ont reflété la
volonté de contrôler et de limiter la présence des
étrangers sur le marché du travail.
La période d'avant-guerre, et notamment la crise des années
trente, a été marquée par une accumulation
d'interdictions de professions aux étrangers, qui ont été
confirmées et maintenues depuis. Ces interdictions, parfois
motivées par la crainte d'une influence étrangère
dans des domaines considérés comme sensibles, ont aussi
été le fruit du clientélisme politique. Les notions
extensives et fluctuantes de « souveraineté nationale »
et de « Fonction publique » ont ainsi permis de
légitimer bien des exclusions. Les coups de barre xénophobes
pris dans les périodes de troubles économiques et sociaux
(guerre, crise, chômage, flambées xénophobes, etc.)
ont produit des « effets de cliquet » : hormis
pour les ressortissants de la Communauté européenne, ces
diverses discriminations légales prises avant 1945 n'ont ensuite
jamais été remises en cause, à de rares exceptions
près. D'où un empilement successif d'interdictions professionnelles
visant les étrangers.
La plus connue et la plus massive de ces discriminations demeure sans
doute celle qui touche les emplois de la Fonction publique, mais elle
s'accompagne d'un ensemble plus vaste et méconnu d'interdictions
accumulées au fil de l'histoire : dans les entreprises publiques,
dans les professions libérales, mais également dans des
dizaines d'autres professions indépendantes ou salariées.
Un premier décompte approximatif et a minima réalisé
par CERC-Association, indique qu'aujourd'hui près
d'un tiers des emplois disponibles en France est soumis à une
condition de nationalité.
Emplois dont l'accès est
soumis à condition de nationalité
|
Estimation
minimum
|
Fonction publique
|
5 200 000
|
Entreprises publiques à statut
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400 000
|
Sécurité sociale
|
200 000
|
Professions libérales
|
300 000
|
Autres professions indépendantes
|
200 000
|
Travailleurs frontaliers
|
200 000
|
Total
|
6 500 000
|
Les effets de ces interdictions sont multiples. D'abord, il en résulte
bien sûr une forte sous-représentation des étrangers
dans les professions interdites, qui bénéficient souvent
de statuts stables (Fonction publique, entreprises publiques) ou sont
particulièrement prisées (nombre de professions libérales
ou indépendantes). La même raison explique, au moins partiellement,
leur faible représentation dans les professions médicales
et sociales, les transports ou les assurances.
Mais la portée de ces discriminations légales ne s'arrête
pas aux seuls emplois directement concernés : l'ensemble
de la dynamique de l'emploi des étrangers en subit le contrecoup.
En premier lieu, la fermeture aux jeunes étrangers de secteurs
comme la Fonction publique est directement constitutive d'inégalités
en matière de formation et de qualification, qui affectent les
choix et parcours de formation de ces jeunes et donc leurs conditions
d'accès au marché du travail. En second lieu, ces discriminations
les amènent à se concentrer dans d'autres professions
qui leur sont autorisées: ainsi s'explique, pour une part, la
forte croissance de la proportion d'étrangers dans les professions
indépendantes du commerce et de l'industrie, passage souvent
obligé pour sortir du chômage et des emplois précaires.Comme
le confirment des enquêtes récentes, ces interdictions
ont également des effets sur les comportements discriminatoires
illégaux observés sur le marché du travail salarié.
Elles tendent à légitimer les pratiques illégales
de discrimination à l'égard des étrangers, et plus
généralement à l'égard des personnes « soupçonnées »
d'une origine étrangère de par leur nom, leur lieu de
naissance, leur accent ou leur apparence.
A un moment où un axe essentiel des politiques en direction
des immigrés et de leurs enfants est la priorité à
l'intégration, et donc à l'accès à l'emploi,
un réexamen d'ensemble de ces discriminations légales
aurait une portée symbolique décisive dans la perspective
d'une véritable égalité des chances à cet
égard. Il contribuerait à donner une crédibilité
à la volonté politique de la société française
de promouvoir pour le marché du travail, un principe unique de
non discrimination, que ce soit au regard de la nationalité,
du sexe, des origines, etc. Une lutte efficace contre les discriminations
illégales ne saurait s'accommoder du maintien de discriminations
légales aussi massives et générales à l'égard
des étrangers.
Dernière mise à jour :
13-11-2000 16:57.
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