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Conseil national des populations
immigrées
Groupe de travail « Egalité des droits »
Rapport
Rapport présenté
par Danièle Lochak en septembre 91
Danièle Lochak est professeur à l'Université
de Paris X-Nanterre et présidente du Gisti.
L'évolution spontanée du droit français tend vers
une assimilation croissante des étrangers aux nationaux et donc
vers une plus grande égalité des droits dans la plupart
des domaines. Un certain nombre de discriminations subsistent néanmoins,
dont beaucoup ne paraissent pas justifiées par les caractères
propres de la situation d'étranger.
A l'heure où l'intégration est à l'ordre du jour,
et où les plus hautes juridictions de notre pays sont venues
rappeler qu'on ne pouvait subordonner le bénéfice de certains
droits à une condition de nationalité, il paraît
à la fois opportun et nécessaire, tant pour des raisons
de principe que pour des raisons juridiques, d'accélerer l'évolution
entamée, et de faire disparaître des lois et réglements
les restrictions empêchant l'accès des étrangers
à l'égalité des droits avec les nationaux.
Le présent rapport se propose donc, après avoir exposé
les données actuelles de la situation, de dresser l'inventaire
des différences de traitement dont on peut penser, au regard
des textes et de la jurisprudence, qu'elles sont illégales ou
inconstitutionnelles, ou dont l'existence ne correspond à aucun
impératif constitutionnel et dont la suppression paraît
souhaitable au regard des objectifs d'intégration et d'insertion.
1. Les lois françaises s'appliquent en principe
à l'ensemble des individus résidant en France, qu'ils soient
Français ou étrangers. Ce principe ne connaît que
deux exceptions : d'une part l'existence d'une convention internationale
peut conduire à écarter l'application du droit interne aux
nationaux de l'Etat cocontractant, d'autre part, en matière de
statut personnel (filiation, mariage, divorce...), c'est normalement la
loi du pays d'origine de l'intéressé qui s'applique.
L'applicabilité de principe de la législation françaises
aux étrangers n'implique pas pour autant une identité
de situation juridique entre nationaux et étrangers :
- il existe en premier lieu des textes spécifiques
régissant les étrangers : c'est le cas pour tout
ce qui a trait aux conditions d'entrée et de séjour
sur le territoire français, ainsi qu'aux mesures d'éloignement ;
- on trouve en second lieu dans les textes d'application générale
des dispositions spécifiques concernant les
étrangers, qui dérogent aux principes généraux
établis pour les Français : ainsi de l'autorisation
de travail exigée par l'article L.341-2 du Code du travail,
qui déroge au principe de la liberté du travail, ou
encore du régime des publications étrangères,
fixé par l'article 14 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse
modifié par le décret-loi du 6 mai 1939, qui déroge
au principe de la liberté de la presse ;
- enfin, l'accès à certains droits et prérogatives
est subordonné à une condition de nationalité
française, complétée le cas échéant
par une condition de réciprocité qui
permet d'en accorder le bénéfice aux étrangers
lorsque la législation de l'Etat dont ils sont ressortissants
accorde des droits et prérogatives identiques aux Français.
2. Les différences de traitement entre nationaux et
étrangers s'expliquent en gros par trois types de considérations :
- le principe de la souveraineté étatique,
qui permet à chaque Etat de réglementer comme il l'entend
l'entrée et le séjour des étrangers sur son territoire,
et qui constitue un facteur irréductible de différenciation
entre la situation juridique des nationaux et celle des étrangers
et qui a des répercussions sur toute une série de domaines ;
- la référence à l'Etat-nation
qui, en réservant aux nationaux l'exercice de la citoyenneté,
exclut par là-même les étrangers d'un ensemble
de droits qu'on considère comme étant liés à
la citoyenneté (les droits politiques et les droits "civiques") ;
- l'idée qu'il faut protéger la collectivité
nationale contre les risques que peuvent lui faire courir
la présence ou l'influence étrangères, tant sur
le plan de la sécurité et de l'ordre public qu'en matière
économique (concurrence sur le marché du travail par
exemple).
3. Il faut croire que la force de ces considérations
tend à s'émousser avec le temps, puisqu'on constate dans
beaucoup de domaines un alignement progressif de la condition
des étrangers sur celle des nationaux, qui se manifeste
notamment par la suppression de la condition de nationalité d'un
grand nombre de textes.
Cette tendance, qui se reflète également dans les conventions
internationales, s'explique par une conception plus exigeante des droits
de l'homme : l'existence de discriminations fondées sur
la nationalité n'apparaît plus comme une chose naturelle,
surtout lorsque sont en cause les droits fondamentaux. A cela s'ajoute
le fait que les étrangers ne sont plus "de passage" dans les
pays où ils résident, mais y sont pour la plupart installés
durablement : les restrictions apportées à leurs
droits ont donc des conséquences plus graves, et elles sont moins
aisées à justifier.
S'il existe bien une évolution positive, elle ne touche pas
de la même façon tous les domaines.
- Dans la sphère des droits civils, en dépit
de l'article 11 du Code civil qui dispose que "l'étranger jouira
en France des mêmes droits civils que ceux qui sont ou seront
accordés aux Français par les traités de la nation
à laquelle cet étranger appartiendra", la condition
des étrangers est pratiquement alignée sur celle des
nationaux (sous réserve de l'application de la loi nationale
en matière de statut personnel). Il est en effet acquis en
jurisprudence que les étrangers jouissent en France de tous
les droits privés qui ne leurs sont pas refusés par
une disposition expresse de la loi ; or les lois qui subordonnent
l'exercice d'un droit à une condition de nationalité
sont désormais extrêmement rares en matière civile.
- Dans la sphère des droits économiques et sociaux,
ce qui frappe est le contraste entre les droits sociaux (qu'il s'agisse
des droits reconnus aux travailleurs ou de la protection sociale)
d'un côté, les droits économiques, et notamment
l'accès à une activité lucrative, de l'autre.
En matière sociale ne subsistent plus que des discriminations
limitées, dont la plupart apparaissent comme des séquelles
d'une époque révolue, et qui devraient être de
ce fait relativement aisées à éliminer. En matière
économique, en revanche, on a assisté à partir
de la fin du XIXè siècle à un rétrécissement
progressif du champ des activités professionnelles accessibles
aux étrangers évolution qui s'est accélérée
pendant l'entre-deux guerres sous la pression des groupes d'intérêt
corporatifs soucieux de protéger l'activité économique
des nationaux contre la concurrence étrangère ;
un très grand nombre de professions, non seulement dans le
secteur public et para-public mais aussi dans le secteur privé,
restent aujourd'hui encore fermées aux étrangers, sans
qu'aucun motif tiré de l'intérêt national ou de
considérations d'ordre constitutionnel le justifie. C'est sur
ce point, comme on le dira plus loin, qu'il convient donc de faire
porter l'essentiel des efforts en vue d'assurer l'égalité
des droits entre étrangers et nationaux.
- Dans la sphère des droits publics et politiques,
les étrangers restent exclus du droit de vote ainsi que d'autres
droits considérés traditionnellement comme des attributs
de la citoyenneté : tel l'accès à la fonction
publique ou le droit de participer à l'exercice de la justice,
même à titre non professionnel. Dans ce domaine non plus
la situation n'est pas pour autant figée et des évolutions
sont parfaitement envisageables. On constate en effet que des droits
qu'on avait tendance à considérer comme "politiques"
ont parfois basculé du jour au lendemain dans la catégorie
des droits sociaux, qu'il n'y avait plus dès lors aucune raison
de refuser aux étrangers (tel le droit de siéger dans
un comité d'entreprise ou dans le conseil d'un établissement
scolaire ou universitaire, ou encore le droit de participer à
l'élection des conseillers prud'hommes). Et un principe apparemment
aussi bien établi que l'exclusion des étrangers de la
fonction publique n'a pas empêché de leur reconnaître
récemment le droit d'être titularisés dans des
corps de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Les raisons de s'attacher à faire disparaître de la législation
les discriminations qui subsistent et qui ne sont justifiées par
aucun impératif d'ordre constitutionnel sont d'abord des raisons
d'opportunité, ensuite des raisons juridiques.
1. Dans la perspective de favoriser l'intégration
des populations immigrées, la suppression des discriminations
est doublement nécessaire :
- sur le plan pratique, il est évident que
les discriminations constituent ou peuvent constituer un obstacle
à l'insertion, notamment professionnelle : il s'agit là
d'un constat quasiment mathématique lorsque plusieurs millions
d'emplois et plusieurs dizaines de professions et métiers sont
fermés aux étrangers.
- sur le plan symbolique, les conséquences
ne sont pas moins importantes, puisque discrimination signifie exclusion
et différence. Le fait de se voir interdire l'accès
à certains droits, simplement parce qu'on n'a pas la nationalité
française, alors qu'on est exactement dans la même situation
qu'un autre, qui est Français, ne peut que provoquer un sentiment
d'exclusion, voire d'injustice chez les intéressés.
Symétriquement, l'existence de discriminations conforte les
Français dans l'idée qu'il existe une différence
fondamentale entre les étrangers et les nationaux, et qu'il
est normal que des droits égaux ne soient pas accordés
aux uns et aux autres. C'est pour cette raison qu'il est aussi important
de supprimer les discriminations qui ne touchent matériellement
qu'un petit nombre de personnes (telle l'allocation supplémentaire
du FNS ou l'accès à la profession de médecin)
que les autres.
Il convient d'insister sur le fait que l'exclusion dont sont victimes
les étrangers, notamment en matière d'emploi, a également
des répercussions sur ceux d'entre eux qui acquièrent
la nationalité française. C'est ainsi que les
jeunes de nationalité étrangère qui ont été
scolarisés en France et sont parfaitement intégrés
culturellement à la société française voient
leurs perspectives professionnelles rétrécies dès
le départ, puisqu'ils savent que l'accès à certains
métiers, et notamment à la fonction publique, est subordonné
à leur naturalisation préalable, procédure longue
et dont le résultat n'est jamais absolument certain ; ils
ont donc spontanément tendance à se diriger vers les professions
pour lesquelles la nationalité française n'est pas exigée.
Même les jeunes nés en France, qui deviennent Français
à leur majorité, peuvent être indirectement victimes
de ces dispositions discriminatoires, dès lors que le choix d'une
formation ou l'inscription à un concours se fait parfois avant
l'âge de 18 ans sans compter que la délivrance d'un
certificat de nationalité dont la production sera exigée
pour s'inscrire à un concours ou postuler à un emploi
intervient généralement de longs mois après la
majorité de l'intéressé.
2. Sur le plan juridique, il existe
des données nouvelles dont il convient de tenir compte.
- En premier lieu, les conventions internationales
imposent de plus en plus souvent l'égalité de traitement
entre nationaux et étrangers. Si la législation française
a évolué de telle façon qu'elle se trouve globalement
plutôt en avance sur le contenu de ces conventions, il arrive
néanmoins qu'elle se trouve en contradiction avec telle ou
telle de ces conventions : ainsi, le fait de réserver
le droit à l'allocation adulte handicapé ou à
l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité
aux Français ou aux étrangers bénéficiaires
d'une clause de réciprocité (voir infra) viole le principe
d'égalité de traitement posé par la Convention
118 de l'OIT pour l'ensemble des prestations de sécurité
sociale (voir en ce sens les rapports successifs de la Commission
d'experts chargée de veiller à l'application des conventions) ;
de même, la France viole les obligations qui lui sont imposées
par le Traité de Rome, telles que la Cour de justice les a
interprétées, en continuant (à l'instar de ses
partenaires il est vrai) à subordonner à une condition
de nationalité l'accès à l'ensemble des emplois
publics.
- C'est précisément l'incidence du droit communautaire
qui constitue le second élément nouveau. En effet, si
la France n'est évidemment pas tenue, juridiquement, d'accorder
aux ressortissants des pays tiers les droits qu'elle doit ou devra
accorder aux ressortissants communautaires, la situation des seconds
ne pourra pas ne pas avoir de répercussions indirectes sur
celle des premiers. Ainsi, si l'on assouplit la condition de nationalité
française pour laisser accéder les ressortissants des
Etats membres à un grand nombre d'emplois jusque là
réservés aux Français, y compris dans la fonction
publique, on aura fait la démonstration que la condition de
nationalité est dans de nombreux cas une disposition d'inspiration
purement protectionniste, et nullement l'expression d'une nécessité
constitutionnelle. Comment, dans ces conditions, maintenir intactes
les discriminations existantes ?
Les circonstances dans lesquelles le Conseil constitutionnel a
été amené à rendre sa décision
du 22 janvier 1990 sont tout à fait symptômatiques
à cet égard : en effet, le texte dont le Conseil
s'est trouvé saisi visait à faire bénéficier
les ressortissants de la CEE de l'allocation supplémentaire
du FNS afin de mettre le Code de la sécurité sociale
en conformité avec le Traité de Rome ; le Conseil
constitutionnel l'a invalidé parce qu'il laissait subsister
une discrimination injustifiée en ce qui concerne les autres
étrangers résidant régulièrement en
France. On a là une illustration parfaite de l'incidence
indirecte que ne peut manquer d'avoir le droit communautaire sur
la condition de l'ensemble des étrangers.
- Le troisième élément nouveau, c'est précisément
le fait qu'à six mois d'intervalle les deux plus hautes juridictions
françaises le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel
ont affirmé de façon plus nette qu'elles ne l'avaient
fait jusque là que les discriminations à l'encontre
des étrangers ne sont pas forcément licites, et que,
s'agissant de la protection sociale, elles sont même a priori
illicites.
Pour déclarer inconstitutionnelle la disposition du Code
de la sécurité sociale excluant les étrangers
non bénéficiaires d'une convention de réciprocité
du bénéfice de l'allocation supplémentaire
du FNS, le Conseil constitutionnel s'est fondé sur l'idée
que si le législateur peut prendre à l'égard
des étrangers des dispositions spécifiques, c'est
"à la condition de respecter les engagements internationaux
souscrits par la France et les libertés et droits
fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous
ceux qui résident sur le territoire de la République".
Le Conseil d'Etat, de son côté, dans un arrêt
du 30 juin 1989, Ville de Paris c/ Lévy, a annulé
la délibération du Conseil de Paris créant
une allocation de congé parental d'éducation parce
qu'elle excluait de son bénéfice les familles étrangères
extra-communautaires, estimant que rien ne justifiait cette différence
de traitement entre résidents parisiens en fonction de leur
nationalité. On peut déduire de cette décision
que le versement de prestations d'aide sociale facultatives ne peut
être subordonné à une condition de nationalité.
La décision du Conseil constitutionnel invite clairement
les pouvoirs publics à modifier le Code de la sécurité
sociale, dans ses dispositions concernant non seulement l'allocation
supplémentaire du FNS, mais toutes les prestations analogues,
également subordonnées à une condition de nationalité,
dont l'inconstitutionnalité ne fait désormais plus
de doute. A moyen terme, cette décision devrait obliger le
législateur et le pouvoir réglementaire à procéder
à un "toilettage" de l'ensemble de la législation
et de la réglementation en vigueur, pour l'épurer
des dispositions qui, sur la base du considérant de principe
figurant dans la décision du 22 janvier 1990, doivent être
également considéréres comme inconstitutionnelles.
C'est dans cette perspective qu'ont été formulées
les propositions qui suivent. Le CNPI, toutefois, n'a pas entendu se
limiter à réclamer la suppression des discriminations
dont l'inconstitutionnalité ou l'illégalité est
clairement établie ; il propose également la suppression
de toute une série de discriminations qui, sans être inconstitutionnelles,
paraissent néanmoins inopportunes pour les raisons rappelées
ci-dessus.
Nous nous proposons de faire ici l'inventaire des différences de
traitement qui subsistent dans la législation française
et dont il paraît nécessaire de reconsidérer le bien-fondé.
Nous n'avons pris en considération que les discriminations qui
résultent immédiatement de la législation applicable.
Ont par conséquent été laissées en dehors
de notre champ d'investigation :
- les discriminations qui ne résultent pas des textes, mais
des pratiques ; la législation française (art.
416 et 187-1 du Code pénal) punit du reste les discriminations
dans le domaine de l'emploi, dans la fourniture de biens et de services,
ou encore dans l'accès aux services publics.
- les discriminations de fait qui trouvent leur origine, pour les
étrangers comme pour les Français, dans l'inégalité
des conditions sociales ;
- les discriminations qui résultent pour les femmes
plus particulièrement de l'application du statut personnel ;
sur ce point, qui ne relève pas d'une simple réforme
législative, le CNPI souhaite qu'une réflexion approfondie
soit rapidement engagée, qui puisse déboucher sur des
propositions concrètes ;
- les discriminations qui ne se trouvent pas directement dans les
textes, mais sont la conséquence indirecte des règles
régissant l'entrée et le séjour des étrangers
sur le territoire français. Ce qui n'empêche pas les
membres du CNPI de penser que certaines de ces discriminations sont
regrettables, voire choquantes : telle les difficultés
rencontrées par les étrangers pour vivre en famille,
en raison des conditions excessivement rigoureuses mises au regroupement
familial (le CNPI a pris position sur ce point dans son avis du 7
décembre 1989) ; telle encore la double peine qui frappe
les étrangers lorsqu'à la condamnation pénale
s'ajoute l'expulsion ou plus grave encore l'interdiction
définitive du territoire français en cas de condamnation
pénale pour infraction à la législation sur les
stupéfiants.
Si le présent rapport se limite aux dispositions législatives
et réglementaires directement discriminatoires, c'est à
dire qui subordonnent le bénéfice d'un droit à
une condition de nationalité, c'est parce que les autres sources
de discrimination ont déjà fait l'objet, en son sein ou
au sein d'autres instances, de nombreux débats, et ont déjà
débouché sur une série de propositions.
Dans le domaine des libertés publiques libertés individuelles
ou libertés collectives telles que liberté de réunion
et d'association, liberté de la presse, etc... les discriminations
sont d'autant moins tolérables que ces libertés sont la
concrétisation des droits les plus fondamentaux de l'homme dont
tout individu, quelle que soit sa nationalité, devrait pouvoir
se prévaloir.
L'exercice de ces libertés par les étrangers subit pourtant,
dans les faits, des restrictions importantes, et cela pour deux raisons
essentielles :
- d'une part, les règles sur le séjour, qui sont par
essence discriminatoires puisque l'étranger, contrairement
au national, n'a jamais de droit absolu à se maintenir sur
le territoire français, ont pour effet d'apporter des restrictions
importantes à certaines libertés. On citera à
titre d'exemple : la possibilité que donne le décret
du 18 mars 1946 d'interdire à un étranger de séjourner
dans certains départements ou de l'assigner à résidence ;
la rétention administrative, qui revient à priver un
étranger de sa liberté en dehors de toute procédure
pénale et même en l'absence de toute infraction pénale ;
ou encore l'expulsion ou l'interdiction éventuellement
définitive et sans possibilité de relèvement
du territoire français, qui s'apparentent dans certains
cas à un véritable bannissement.
- d'autre part certaines libertés s'exerçant dans la
sphère publique sont susceptibles de comporter une dimension
politique, ce qui conduit le législateur ou l'exécutif
à en contrôler plus étroitement l'exercice par
les étrangers.
On laissera ici de côté, pour les raisons indiquées
plus haut, les discriminations qui sont la conséquence indirecte
des règles régissant l'entrée et le séjour
des étrangers en France, et dont la suppression supposerait une
modification de ces règles générales. Si l'on se
limite aux textes régissant directement l'exercice de certaines
libertés publiques, c'est dans le domaine de la liberté
de la presse que subistent les principales discriminations :
- d'une part, le directeur d'une publication périodique
doit être de nationalité française. Ceci en vertu
de l'article 6 de la loi du 29 juillet 1881, ou plutôt de l'interprétation
qu'en donne la jurisprudence : en effet, si cet article, dans
sa rédaction issue de l'ordonnance de 1944 sur la presse, prévoyait
explicitement que le directeur d'une publication périodique
devait être de nationalité française, une loi
de 1952 a modifié cette disposition de telle sorte qu'elle
ne fait plus référence à la nationalité
du directeur de la publication mais prévoit que le directeur,
et éventuellement le co-directeur, ne doivent pas avoir été
privés de leurs droits civiques par aucune condamnation judiciaire ;
mais la jurisprudence a interprété cette disposition
comme imposant implicitement la nationalité française
au directeur et au co-directeur de la publication. (On notera que
le même régime s'applique en matière de communication
audiovisuelle, la loi du 30 septembre 1986 imposant à tout
service de communication audiovisuelle d'avoir un directeur de la
publication qui doit remplir les mêmes conditions de capacité
que celles prévues par la loi sur la presse).
Outre que l'interprétation jurisprudentielle du texte peut
prêter à contestation (la condition de n'avoir pas
été privé de ses droits civiques indique moins
l'intention du législateur de réserver la fonction
aux Français que la volonté d'en exclure ceux qui
ont commis un crime ou un délit incompatible avec son exercice),
cette exclusion peut se révéler à la fois gênante
et illogique en pratique. En effet, la loi du 9 octobre 1981 a permis
aux étrangers de se regrouper librement en associations,
soit seuls, soit avec des Français ; or dans le cas
où ces associations éditent des publications, elles
ne peuvent désigner comme directeur de la publication le
président de l'association, comme cela se fait habituellement.
On relève qu'il y a d'ailleurs quelque illogisme à
admettre qu'un président d'association puisse être
de nationalité étrangère, mais non un directeur
de publication.
- d'autre part, les publications étrangères
restent soumises en France à un régime dérogatoire
au droit commun, résultant d'un décret-loi du 6 mai
1939 (lequel a modifié dans un sens restrictif l'article 14
de la loi du 29 juillet 1881). Bien qu'il s'agisse d'un texte de circonstances,
comme l'indique assez la date à laquelle il a été
pris, ce décret-loi n'a jamais été abrogé,
contrairement au décret-loi du 12 avril 1939 sur les associations
étrangères abrogé en 1981. Or ce texte, qui permet
au ministre de l'Intérieur d'interdire "la circulation, la
distribution ou la mise en vente en France des journaux ou écrits
périodiques ou non, rédigés en langue étrangère",
ainsi que "des journaux ou écrits de provenance étrangère
rédigés en langue française imprimés à
l'étranger ou en France", soumet les publications réputées
étrangères à un véritable régime
de police, qui est la négation même de la liberté
de la presse.
L'impact de ce texte, qui fait peser une menace virtuelle sur les publications
rédigées par les étrangers résidant en France,
dépasse d'ailleurs largement la situation de ces derniers. En effet,
il est couramment utilisé pour freiner la diffusion en France d'ouvrages
pornographiques (ou réputés tels : c'est sur ce fondement
que les autorités françaises ont pendant longtemps interdit
la diffusion en France de l'oeuvre de Henry Miller) ou d'inspiration
nazie[1] ; et l'interprétation
très large donnée à la notion de "provenance étrangère"
par le gouvernement et entérinée par le Conseil d'Etat a
par exemple permis, en 1969, de faire interdire l'édition française
de la revue "Tricontinental" éditée par Maspero, ou encore
un ouvrage intitulé "L'ascension de Mobutu", rédigé,
édité et imprimé en France par un éditeur
français, mais dont l'auteur avait la nationalité belge...
Ces dispositions, qui reviennent à instituer un régime
de contrôle préventif, sont manifestement en contradiction
avec l'article 11 de la Déclaration de 1789, au termes duquel
"la libre communication des pensées et des opinions est un des
droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut
donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre
de l'abus de cette liberté dans les cas prévus par la
loi". Elles contredisent également l'article 10 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme : "Toute
personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend
la liberté d'opinion et la liberté de recevoir et de communiquer
des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence
des autorités publiques et sans considérations de frontière",
complété par l'article 14 qui interdit toute discrimination
fondée sur la nationalité. Elles contredisent enfin le
Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui contient
des dispositions analogues.
1. En tant que travailleurs, les étrangers se
sont vu progressivement reconnaître les mêmes droits que les
nationaux, qu'il s'agisse de la réglementation des conditions de
travail ou de la participation dans l'entreprise. Deux droits leur restent
toutefois refusés :
- le droit d'exercer les fonctions de délégués
mineurs
(art. L. 712-11 du Code du travail). La raison avancée pour
justifier cette exclusion est que ceux-ci sont investis, pour tout
ce qui touche à la sécurité, d'attributions d'ordre
public dépassant la simple fonction représentative de
délégué du personnel ;
- le droit de siéger dans les Conseils de prud'hommes
(art. L. 513-2), exclusion qui s'étend d'ailleurs aussi aux
employeurs. Là encore, on avance que les conseillers prud'hommes,
bien que n'ayant pas la qualité de magistrats, rendent des
jugements exécutoires et exercent de ce fait une autorité
de droit public ;
- le droit de siéger dans les comités techniques
régionaux et nationaux de prévention des accidents du
travail exclusion qui semble n'avoir d'autre fondement
qu'une circulaire ministérielle du 1er juillet 1946 (no 106
S.S.).
Les arguments juridiques invoqués ne sont pas aussi déterminants
qu'on le prétend. Il faut rappeler, en effet, que les mêmes
arguments ont longtemps servi à écarter les étrangers
du droit de vote aux élections prud'homales, qui finalement leur
a été accordé sans que cela soulève la moindre
objection. Par ailleurs, on admet que les étrangers sont éligibles
dans les Comité d'hygiène, de sécurité et
des conditions de travail, alors que ceux-ci ont des compétences
en partie analogues à celles des délégués
mineurs et peuvent notamment exiger l'arrêt des machines en cas
de danger.
Dans la perspective de la suppression des discriminations entre travailleurs
étrangers et travailleurs français, ces dispositions devraient
donc être modifiées. C'est en ce sens que s'est d'ailleurs
déjà prononcé le CNPI dans son avis du 10 mai 1990
relatif à l'éligibilité aux conseils de prud'hommes
et aux organismes consulaires.
2. L'accès aux prestations
Dans l'accès aux prestations sociales, l'assimilation des étrangers
aux nationaux est largement réalisée ; le principe
de l'égalité de traitement en matière de droits
sociaux est d'ailleurs explicitement rappelé par la plupart des
conventions internationales relatives à la protection des travailleurs
migrants et de leurs familles (cf. notamment la Convention n° 97
de l'OIT sur les travailleurs migrants, et la Convention n° 118
sur l'égalité de traitement en matière de sécurité
sociale). Deux types de discriminations subsistent toutefois.
- Les unes sont indirectes. Elles résultent :
- de ce que l'assimilation des étrangers aux nationaux
est subordonnée à une condition de séjour
régulier pour l'attribution de certaines prestations :
c'est le cas, depuis la loi du 29 décembre 1986, pour les
prestations familiales, qui ne sont dues que pour les enfants
nés en France ou entrés dans le cadre d'un regroupement
familial régulier. Même lorsqu'une telle condition
n'est pas exigée par le texte, comme pour les prestations
d'assurance maladie, on constate une tendance de plus en plus
fréquente des caisses de sécurité sociale
à refuser illégalement de verser des
prestations aux ayants-droit dépourvus de titre de séjour.
- de l'application du principe de territorialité,
qui, par la force des choses, exclut plus fréquemment les
étrangers que les Français du bénéfice
de certains droits, même si formellement il n'instaure pas
de discrimination fondée sur la nationalité. Les
prestations familiales, en particulier, ne sont versées
pour les enfants restés au pays que sur la base de conventions
passées entre la France et le pays d'origine, et selon
un barême différent. Elles cessent du reste d'être
versées lorsque le travailleur est au chômage ou
en pré-retraite (le CNPI, dans son avis du 7 décembre
1989, a demandé la suppression de cette clause d'activité).
C'est également en vertu du principe de territorialité
qu'il est impossible, sauf convention internationale, de liquider
les retraites depuis l'étranger. Cette règle touche
les travailleurs d'un certain nombre de nationalités retournés
chez eux avant l'âge de 60 ans et qui ne résident plus
en France à ce moment, en particulier les Chiliens et les
Brésiliens, ressortissants de pays avec lesquels il n'existe
pas de convention internationale. De même, il est impossible,
en l'absence de convention spécifique, d'exporter les rentes
invalidité et les rentes d'accident du travail ou de maladie
professionnelle (au mieux l'intéressé aura droit,
en matière d'accident du travail ou maladie professionnelle,
à un capital représentant trois ans de rente), et
le suivi médical, en cas de retour au pays, n'est pas pris
en charge par la sécurité sociale. Le principe de
territorialité, que le Conseil constitutionnel a d'ailleurs
refusé d'ériger en principe à valeur constitutionnelle,
ne suffit pas à justifier le maintien en vigueur de ces règles,
qui non seulement apparaissent comme discriminatoires mais s'apparentent
à une spoliation pure et simple, dans la mesure où
les personnes ont cotisé tout au long de leur vie professionnelle
en France et ont acquis les droits correspondants.
- D'autres discriminations sont directes, c'est à dire inscrites
dans les textes. Certaines prestations dites « non
contributives », c'est à dire financées
par l'impôt et non par les cotisations, ne sont en effet versées
aux étrangers que s'ils peuvent se réclamer d'un accord
international. On allègue parfois l'idée que ces prestations
sont fondées sur l'idée de solidarité et non
d'assurance, pour justifier cette exclusion ; mais, outre que
c'est là une conception singulièrement étroite
de la solidarité sociale, limitée aux seuls nationaux,
on voit mal au nom de quelle logique les étrangers devraient
en être écartés, puisqu'ils sont astreints, au
même titre que les nationaux, au paiement de l'impôt.
Le débat sur la légitimité de cette exclusion
paraît de toutes façons désormais dépassé.
Outre que le refus de verser ces allocations (notamment l'allocation
supplémentaire du Fonds national de solidarité et
l'allocation aux adultes handicapés) contredit les obligations
souscrites par la France lorsqu'elle a ratifié les Conventions
n° 97 et 118 de l'OIT (bien que la France soutienne qu'il
s'agit là de prestations d'assistance, n'entrant pas dans
le champ de ces conventions, la commission d'experts chargée
de veiller à l'application des conventions a à plusieurs
reprises émis l'avis inverse), le Conseil constitutionnel
a clairement dit dans sa décision du 22 janvier 1990 que
l'exclusion des étrangers du bénéfice de ces
allocations était inconstitutionnelle. Le raisonnement utilisé
à propos de l'allocation supplémentaire du Fonds national
de solidarité vaut en effet pour toute une série d'autres
allocations, et notamment :
- l'allocation aux adultes handicapés (art. L. 821-1 du
Code de la sécurité sociale)
- l'allocation aux vieux travailleurs salariés (art. L.
811-1)
- l'allocation aux vieux travailleurs non salariés (art.
L. 812-1)
- l'allocation aux mères de famille (art. L. 813-1) où
la condition de nationalité s'étend non seulement
à l'allocataire mais à ses enfants, puisqu'elle
n'est versée qu'aux femmes qui ont élevé
des enfants français !
Il appartient par conséquent au gouvernement de prendre
à très bref délai l'initiative d'une modification
des dispositions précitées du Code de la sécurité
sociale.
Tel est d'ailleurs l'avis exprimé dans le rapport Marchand
sur l'intégration des immigrés (Doc. AN n° 1348,
11 mai 1990), dont la proposition ndeg. 34 est ainsi formulée :
« Supprimer la condition de nationalité actuellement
applicable à l'attribution de plusieurs prestations non contributives
de sécurité sociale et envisager son remplacement
par une condition de durée de résidence ».
En ce qui concerne la suppression de la condition de nationalité,
on peut faire remarquer qu'indépendamment des considérations
juridiques, qui paraissent décisives, des considérations
d'opportunité plaident dans le même sens. On peut en
effet penser que parmi les étrangers qui ne peuvent prétendre
au versement de ces allocations beaucoup perçoivent
ou pourraient percevoir le RMI, en raison de la modicité
ou de l'absence de leurs ressources. Leur ouvrir droit à
ces allocations permettrait de les faire sortir du dispositif RMI,
dont la finalité n'est pas de remédier à l'absence
de ressources des personnes handicapées ou âgées,
mais de réinsérer dans la vie sociale et professionnelle
des personnes capables de travailler.
L'idée de fixer une condition de durée de
résidence pour éviter que ces allocations
ne soient versées à des étrangers dont le séjour
en France serait très récent et dont on pourrait suspecter
qu'ils sont venus s'y installer uniquement pour bénéficier
des avantages vieillesse du régime de sécurité
sociale français apparaît en revanche comme
une fausse bonne idée :
- On notera en premier lieu que le versement de deux au moins
des allocations concernées l'allocation aux vieux
travailleurs salariés et l'allocation aux vieux travailleurs
non salariés est de toutes façons subordonné
à la condition d'avoir exercé une activité
professionnelle sur le territoire métropolitain ou dans
les DOM pendant vingt-cinq ans.
- Même pour les autres allocations, la crainte qui sous-tend
la proposition semble vaine, compte tenu des conditions strictes
auxquelles sont subordonnées l'entrée en France
de nouveaux travailleurs ou la régularisation de ceux qui
se trouvent déjà sur le territoire. Et s'agissant
des ressortissants communautaires, pour lesquels le problème
pourrait effectivement se poser, il n'est pas certain, comme le
reconnaît le rapport Marchand, qu'une telle condition de
résidence serait jugée compatible avec les dispositions
du Traité de Rome dès lors qu'elle ne serait pas
également applicable aux Français. Mais dans ce
cas elle risquerait de pénaliser les Français qui
reviendraient en France après avoir accompli une bonne
part de leur carrière professionnelle à l'étranger...
ce qui n'est évidemment pas souhaitable non plus.
- Ajoutons que si l'on décidait de fixer une condition
de résidence, sa durée serait particulièrement
délicate à déterminer. Car si le Conseil
constitutionnel, dans une décision du 23 janvier 1987,
a estimé que la fixation d'une condition de résidence
pour l'octroi de prestations sociales n'emportait pas par elle-même
une discrimination contraire à la Constitution, c'est à
condition, a-t-il ajouté, que la durée de résidence
ne soit pas fixée de telle façon qu'elle aboutisse
à mettre en cause le droit à la protection de la
santé et à la sécurité matérielle
garanti à tous, et notamment à l'enfant, à
la mère et aux vieux travailleurs, par le Préambule
de la Constitution de 1946 (lequel dispose également que
"tout être humain qui, en raison de son âge, de son
état physique ou mental, de la situation économique,
se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir
de la collectivité des moyens convenables d'existence").
Dans ces conditions, on se trouve face à un double dilemme.
En ce qui concerne sa durée, ou bien la condition de résidence
est fixée de telle façon qu'elle exclut une partie
importante de ceux qui pourraient y prétendre, et elle viole
le Préambule ; ou bien elle est fixée à
un niveau très bas, et dans ce cas elle n'a guère
d'utilité. En ce qui concerne son champ d'application, ou
bien elle s'applique uniquement aux étrangers, et elle viole
à la fois le principe constitutionnel d'égalité
et le Traité de Rome ; ou bien elle s'applique à
tous, et elle lèse les Français qui se sont expatriés
pour aller travailler à l'étranger. On comprend que
les décrets d'application de la loi du 27 janvier 1987, qui
permettait d'introduire une condition de résidence dans le
régime de l'allocation supplémentaire du FNS et de
l'AAH, n'aient jamais été pris, et on se demande,
en fin de compte, pourquoi le rapport Marchand maintient sa proposition
dont il démontre qu'elle est à peu près impossible
à mettre en oeuvre.
Dans le cadre de l'aide sociale, certaines prestations
ne sont versées aux étrangers, sauf convention particulière,
que s'il remplissent une condition de résidence, d'une durée
parfois très longue. Il s'agit notamment :
Sur ce point, on se bornera à reprendre la proposition
du Rapport Marchand : "Supprimer toute condition de
nationalité et de résidence pour l'accès
aux différentes formes d'aide sociale" (proposition n° 35)
et les arguments invoqués pour la justifier : "Eu égard
à la nature des prestations d'aide sociale, qui sont, pour
la plupart, attribuées après un examen personnalisé
de la situation du demandeur, pour répondre à une
situation urgente créée par une insuffisance de ressources,
il paraît à la fois humainement souhaitable
et financièrement peu risqué de prôner
l'ouverture à tous les étrangers de toutes les formes
d'aide sociale sans condition de résidence". D'autant, ajoute
le rapport, qu'aux termes de l'article 124 du Code de la famille
et de l'aide sociale les prestations sont réservées
aux personnes résidant en France, c'est à dire, dans
l'interprétation qu'en a donné le Conseil d'Etat,
qui y demeurent dans des conditions présentant un minimum
de permanence et de stabilité. On ajoutera simplement que
le refus de certaines prestations fondé sur la nationalité
ou sur l'absence d'une durée suffisante de résidence
serait certainement contraire aux dispositions précitées
du Préambule de 1946.
Il convient enfin de rappeler qu'en ce qui concerne les prestations
facultatives d'aide sociale instituées par les collectivités
locales, les tribunaux administratifs et le Conseil d'Etat ont,
à deux occasions au moins, rappelé l'interdiction
des discriminations fondées sur la nationalité (à
propos de l'allocation parentale d'éducation instituée
par la Ville de Paris, dont il a déjà été
fait mention plus haut, et à propos d'une aide accordée
aux travailleurs privés d'emploi instituée par le
BAS de Chatillon, et jugée illégale par le tribunal
administratif de Paris dans un jugement du 2 janvier 1986).
Il faut distinguer ici les emplois de fonctionnaires et les emplois
dans le secteur para-public (entreprises publiques et caisses de sécurité
sociale).
1. L'accès à la fonction publique.
L'accès à la fonction publique est considéré,
on le sait, comme un droit civique, et donc un attribut de la citoyenneté ;
trois millions et demi d'emplois de fonctionnaires de l'Etat, des
collectivités territoriales et des hôpitaux sont ainsi
réservés aux nationaux. L'énormité du
chiffre conduit à s'interroger sur le bien-fondé d'une
telle exclusion et des arguments généralement invoqués
pour la justifier. Car si l'on peut comprendre, dans le cadre de
l'Etat-nation, le refus de confier à un étranger des
fonctions qui l'associent à l'exercice de l'autorité
étatique (police, armée, magistrature, impôts...),
cette explication ne vaut plus à partir du moment où
la majorité des fonctionnaires accomplissent des tâches
qui ne leur confèrent aucune prérogative particulière.
La vraie raison de cette exclusion est sans doute à rechercher
ailleurs : dans le souci de réserver aux nationaux un
domaine où il seront à l'abri de la concurrence, ou
encore dans le refus de faire bénéficier les étrangers
des avantages (relatifs) attachés à la condition de
fonctionnaire. La preuve en est que tout en refusant de recruter
des étrangers sur des postes de fonctionnaires, on accepte
de les recruter, pour accomplir les mêmes tâches, sur
des emplois d'auxiliaires ou de contractuels. Le phénomène
revêt des dimensions caricaturales dans l'éducation
nationale, où l'on recrute comme maîtres-auxiliaires,
pour pourvoir des emplois dans les disciplines et les régions
déficitaires, des étudiants étrangers plus
ou moins qualifiés et qui n'ont pas toujours, juridiquement,
le droit de travailler (quand ils ne sont pas, tout simplement,
dépourvus de titre de séjour régulier !)
Le moment paraît donc venu de repenser l'ensemble de la
question, d'autant que, de façon paradoxale, le développement
de l'Etat-Providence, en multipliant le nombre des emplois publics,
a multiplié le nombre d'emplois fermés aux étrangers,
alors précisément que les fonctionnaires font de plus
en plus souvent le même métier que les salariés
du secteur privé. L'illogisme de la situation est tel qu'elle
ne pourra pas être maintenue indéfiniment.
Le législateur a d'ailleurs introduit lui-même une
brèche dans le système, en prévoyant que des
personnes de nationalité étrangère pourraient
être recrutées et titularisées dans les corps
de l'enseignement supérieur et de la recherche, dans les
mêmes conditions que les Français (décret du
6 juin 1984 relatif au statut des enseignants-chercheurs de l'enseignement
supérieur, pris en application de la loi du 26 janvier 1984,
et décret du 30 décembre 1983 relatif au statut des
corps de chercheurs, pris sur le fondement de la loi du 15 juillet
1982). Brèche étroite, sans doute, mais qui atteste
que l'exclusion générale des étrangers de la
fonction publique n'a rien d'inéluctable et qu'elle ne résulte
d'aucun impératif constitutionnel catégorique.
L'idée d'ouvrir certains corps de la fonction publique
aux étrangers finira par paraître d'autant plus naturelle
que les ressortissants communautaires vont pouvoir, à bref
délai, y accéder. On sait en effet que si l'article
48 du Traité exclut du principe de l'égalité
de traitement l'accès aux "emplois dans l'administration
publique", la Cour de justice des communautés européennes
a interprété restrictivement cette exception, comme
s'appliquant uniquement aux emplois qui comportent une participation,
directe ou indirecte, à l'exercice de la puissance publique,
et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts
généraux de l'Etat et des autres collectivités
publique. Une bonne partie des emplois de fonctionnaires devraient
donc s'ouvrir dans les années qui viennent aux ressortissants
des Etats-membres dans des secteurs comme la recherche, l'enseignement,
et les hôpitaux, pour lesquels des directives sont d'ailleurs
en préparation à Bruxelles.
On pourrait par conséquent s'inspirer des critères
dégagés par la Cour de Luxembourg pour définir
les corps et les emplois accessibles aux non nationaux. Sur le plan
juridique, on ne voit guère d'obstacles à une telle
ouverture. Et sur le plan de l'opportunité la mesure ne présenterait
pas seulement des avantages pour les intéressés, notamment
pour les jeunes de nationalité étrangère auxquels
de nouveaux emplois deviendraient ainsi accessibles (comme enseignants,
comme infirmier(e)s ou aides soignant(e)s, comme travailleurs sociaux,
par exemple) ; elle aurait aussi des effets bénéfiques
du point de vue de l'intérêt général,
compte tenu des graves problèmes de recrutement qui affectent
beaucoup des secteurs concernés, en offrant de surcroît
des garanties accrues de compétence puisque les intéressés
rempliraient les mêmes conditions de diplôme et auraient
à passer les mêmes concours que les Français.
2. Les entreprises publiques
Le principe d'exclusion de la fonction publique s'est étendu,
comme par contagion, à la plupart des emplois du secteur
public nationalisé, ce qui représente un million à
un million et demi d'emplois supplémentaires fermés
aux étrangers.
Les principales entreprises publiques ne peuvent, sur le fondement
des textes actuellement en vigueur, embaucher que des agents de
nationalité française. C'est le cas à EDF et
GDF, dont le personnel est soumis à un statut fixé
par un décret du 22 juin 1946, à la SNCF (décret
du 1er juin 1950 fixant le statut des cheminots), à la RATP,
à Air France, tant en ce qui concerne le personnel navigant
l'article L 421-4 du Code de l'aviation civile impose la
nationalité française aux pilotes professionnels
que le personnel au sol, les ressortissants communautaires étant
toutefois assimilés désormais aux nationaux.
La condition de nationalité française ne figure
pas ou plus, en revanche, dans le statut du mineur, applicable au
personnel des houillères et des entreprises de production
d'hydrocarbures comme Elf-Aquitaine, ni dans le nouveau statut du
personnel de la SEITA.
Les exclusions existantes paraissent parfaitement arbitraires,
en ce sens qu'elles ne sont manifestement justifiées par
aucune considération d'intérêt national mais
reflètent uniquement le souci de réserver aux nationaux
un certain contingent d'emplois. Dans la mesure où la plupart
d'entre elles concernent également les ressortissants communautaires
elles sont clairement contraires au Traité de Rome, comme
cela a été jugé par la Cour de Justice à
propos des chemins de fer belges. Mais plus généralement,
on peut douter de la constitutionnalité ou de la légalité
des textes législatifs et réglementaires qui prévoient
de telles discriminations à l'embauche alors que le personnel
des entreprises publiques n'a pas la qualité d'agent public
et encore moins de fonctionnaire.
3. Les caisses de sécurité sociale
Les organismes de sécurité sociale, y compris lorsqu'ils
recrutent du personnel soumis au droit commun du travail et régi
par des conventions collectives, n'acceptent les étrangers
que dans des postes subalternes, n'impliquant pas de participation
directe au service public de la protection sociale.
La base juridique de cette exclusion est des plus fragile, puisqu'elle
se fonde uniquement, semble-t-il, sur deux lettres ministérielles
des 19 octobre 1979 et 16 octobre 1980. On ne trouve en effet ni
dans la loi et les règlements, ni dans les conventions collectives,
de disposition imposant une condition de nationalité. La
première de ces lettres indique aux caisses qu'elles doivent
limiter le recrutement de personnel étranger aux postes qui
n'impliquent pas de participation directe et effective au service
public de la protection sociale. La seconde précise que doivent
être considérés comme participant directement
à cette gestion, outre les agents de direction et les agents
comptables : les agents habilités par délégation
du directeur ou de l'agent comptable à ordonnancer et payer
les dépenses, encaisser les recettes, contrôler l'assiette
des cotisations ; les agents qui, par délégation,
même tacite, exercent une fonction d'autorité ;
les agents dont les fonctions requièrent l'agrément
d'une autorité publique.
On peut sérieusement se demander si les caisses, en refusant
d'embaucher des personnes de nationalité étrangère,
ne se mettent en infraction avec les dispositions du Code pénal
qui répriment toute discrimination à l'embauche, et
sur lesquelles de simples lettres ministérielles ne peuvent
à l'évidence prévaloir...
Pour justifier ces exclusions, on avance que les emplois en question
impliquent une participation à l'exécution d'un service
public justification qui, compte tenu de l'évolution
qu'on a pu constater par ailleurs (voir plus loin), n'a plus guère
de sens aujourd'hui. Dans le cas précis des organismes de
sécurité sociale, ces exclusions semblent d'autant
plus paradoxales que les étrangers sont désormais
admis à siéger dans les conseils d'administration
des caisses sur un pied d'égalité avec les Français.
1. Les emplois de salariés
Les emplois de salariés du secteur privé interdits aux
étrangers sont relativement peu nombreux. Les étrangers
ne peuvent être employés dans les salles de jeu. Ils
ne peuvent être pilotes professionnels, même dans des
compagnies privées (sauf s'ils sont ressortissants d'un Etat
membre de la CEE). Pour être embauchés comme professeurs,
ou même comme surveillants, dans un établissement d'enseignement
privé, ils doivent obtenir préalablement une autorisation
spéciale du recteur accordée après avis du conseil
de l'éducation nationale de l'académie, autorisation
qui peut être retirée dans les mêmes formes. Pour
accéder aux fonctions de professeur dans l'enseignement techniques
ils doivent y avoir été autorisés par une décision
spéciale du ministre de l'Education nationale.
Dans la mesure où l'accès à ces professions
est subordonné à un certain nombre de garanties de
compétence et/ou de "moralité", on voit mal les raisons
qui justifient les restrictions spécifiques mises à
l'accès des étrangers de ces emplois.
2. Les professions indépendantes industrielles
et commerciales
Ici, en revanche, les restrictions sont très nombreuses. Sans
que la liste soit exhaustive, on relève que les étrangers
ne peuvent, sauf disposition plus favorable d'une convention internationale,
ni tenir un débit de boissons (art. L 31 du Code des débits
de boissons, dans sa rédaction issue d'un décret-loi
du 29 juillet 1939), ni gérer un débit de tabac (la
gestion des débits de tabacs, liée au monopole de l'Etat,
étant assimilée, d'une façon qu'on peut juger
excessive, à une fonction publique), ni exploiter un cercle
de jeu ou un casino (art. 3 de la loi du 15 juin 1907 modifiée
par la loi du 9 juin 1977), ni se livrer à la fabrication et
au commerce des armes et munitions (décret du 14 août
1939) cette dernière exclusion se comprenant mieux que
les autres.
Ils ne peuvent diriger ni une entreprise de spectacles (art. 4
de l'ordonnance du 13 octobre 1945), ni un établissement
privé d'enseignement technique (art. 70 du Code de l'enseignement
technique) exclusion d'autant plus incompréhensible
qu'elle n'existe pas sous cette forme aussi radicale dans le cas
de l'enseignement secondaire. Ils ne peuvent pas être directeur
ou gérant d'une agence privée de recherche (loi du
28 septembre 1942 modifiée par la loi du 23 décembre
1980), non plus qu'exercer à titre individuel ou comme dirigeant
d'entreprise des activités privées de surveillance,
de gardiennage ou de transport de fonds (art. 5 de la loi du 12
juillet 1983), à moins qu'ils ne puissent se prévaloir
dans ce dernier cas d'un accord de réciprocité.
Ils ne peuvent être directeurs ni d'une publication périodique
ou d'un service de communication audiovisuelle, comme on l'a rappelé
plus haut, ni d'une société coopérative de
messagerie de presse (art. 11 de la loi du 2 avril 1947) et ne peuvent
pas siéger dans le comité de rédaction d'une
entreprise éditant des publications destinées à
la jeunesse (art. 4 de la loi du 16 juillet 1949).
Ils sont encore exclus de tout un ensemble de métiers du
secteur des transports (les professions de transporteur routier,
fluvial, ou aérien sont réservées aux Français,
sous réserve des conventions internationales), des assurances
(les courtiers et agents généraux doivent être
français aux termes de l'article R 511-4 du Code des assurances)
ou de la bourse et du commerce (la nationalité française
est exigée des courtiers de marchandises assermentés
et des remisiers et gérants de portefeuille, les textes réservant
toutefois l'application des conventions internationales, du traité
de Rome, et les dérogations individuelles accordées
par le ministre).
3. Les professions agricoles
L'article L. 413-1 du Code rural dispose que les exploitants de nationalité
étrangère sauf s'ils sont ressortissants de la
CEE ou si leurs enfants sont français ne peuvent bénéficier
du statut du fermage et du métayage.
4. Les professions libérales
Du côté des professions dites "libérales", qui
portent en l'occurrence bien mal leur nom, la fermeture est également
la règle.
S'agissant des professions de santé, les textes en vigueur
imposent aux médecins, aux chirurgiens-dentistes et aux sages-femmes
une double exigence de nationalité française et de
possession d'un diplôme d'Etat français, sous réserve
des accords de réciprocité conclus avec des Etats
étrangers, des dérogations individuelles accordées
par le ministre de la Santé dans le cadre d'un quota fixé
annuellement, et des dispositions communautaires (art. L 356 du
Code de la santé publique). Des règles analogues régissent
l'exercice de la profession de pharmacien ou de vétérinaire
(respectivement, l'article L 514 du Code de la Santé publique
et l'article 309-1 du Code rural). L'octroi des autorisations individuelles
tient notamment compte des "attaches particulières avec la
France" de l'intéressé. Depuis la loi du 25 juillet
1985, les étrangers peuvent en revanche exercer la profession
de masseur-kinésithérapeute.
Les architectes (art. 10 et 11 de la loi du 3 janvier 1977), les
géomètres-experts (loi du 7 mai 1946 modifiée
par la loi du 15 décembre 1987 qui a ouvert la profession
aux ressortissants communautaires), et les experts-comptables (ordonnance
du 19 septembre 1945) doivent également avoir en principe
la nationalité française.
Les mêmes exclusions touchent les membres des professions
judiciaires. Dans ce dernier cas, on invoque, de façon commode
plus que véritablement convaincante, le fait qu'ils participent
au fonctionnement du service public de la justice. Doivent ainsi
avoir la nationalité française non seulement les notaires,
les huissiers et commissaires priseurs ainsi que les administrateurs
judiciaires et mandataires liquidateurs (art. 5 et 21 de la loi
du 25 janvier 1985), ce qui peut éventuellement se justifier
par leur statut d'"officiers ministériels", mais aussi les
avocats : la règle, ancienne, a été maintenue
par la loi du 31 décembre 1971 réorganisant la profession,
qui réserve toutefois l'application des conventions internationales,
de sorte que les avocats étrangers peuvent exercer en France
s'ils bénéficient d'une convention de réciprocité
ou s'ils sont ressortissants d'un Etat membre de la CEE).
Si quelques unes des exclusions que l'on vient de passer en revue
s'agissant des emplois et professions du secteur privé peuvent
se rattacher à des préoccupations d'indépendance
nationale ou d'ordre public, auxquelles le Conseil constitutionnel serait
éventuellement tenté d'accorder la valeur d'"objectifs
de valeur constitutionnelle", la plupart traduisent simplement la volonté
de protéger les nationaux contre la concurrence étrangère :
très souvent, d'ailleurs, les mesures restrictives ont été
prises à une époque relativement récente
soit dans l'entre-deux guerres, soit après la guerre ,
sous la pression des milieux professionnels concernés. Or le
souci des membres d'une profession de se protéger contre la concurrence
ne suffit évidemment pas à justifier, au regard des principes
à valeur constitutionnelle, l'existence de différences
de traitement entre nationaux et étrangers : dès
lors que ceux-ci ont été autorisés à s'établir
et travailler en France, ils doivent en effet pouvoir se réclamer
des principes posés par le préambule de la constitution
de 1946 : "chacun a le droit d'obtenir un emploi", et "nul ne peut
être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison
de ses origines".
Des modifications importantes de la législation et de la réglementation
paraissent donc nécessaires dans tous les domaines que l'on vient
de passer en revue, tant pour des raisons d'opportunité que pour
des raisons juridiques de mise en conformité avec la Constitution.
Il s'agit non pas tant, comme dans le cadre communautaire, de permettre
à des étrangers de venir s'installer en France pour y
exercer ces différentes professions ce que les règles
relatives au séjour ne permettent de toutes façons pas
, que de permettre aux étrangers résidant en France,
dont la plupart y ont été élevés et scolarisés,
d'accéder aux mêmes emplois et professions que les Français,
dès lors qu'ils remplissent les mêmes conditions de diplômes
et présentent les mêmes garanties de compétence
(et de "moralité" lorsque celles-ci sont exigées). Le
principe devrait donc être celui de la non discrimination, les
professions fermées aux étrangers devant être l'exception.
On pourrait, pour faire le départ entre les unes et les autres,
s'inspirer là encore des critères dégagés
par la Cour de justice des communautés européennes pour
cerner les "activités participant à l'exercice de l'autorité
publique".
Les étrangers ont pendant très longtemps été
exclus de toutes les formes de collaboration au service public, alors
même que cette collaboration ne s'accompagnait pas de l'exercice
de prérogatives de puissance publique.
Une évolution nette s'est toutefois dessinée dans ce
domaine, s'inscrivant dans le contexte du développement de la
participation des usagers à la gestion des services publics et
des efforts entrepris par les pouvoirs publics pour favoriser l'intégration
de la population immigrée dans la société française.
Ainsi, à l'instar de ce qui s'est produit au niveau de l'entreprise,
la condition de nationalité a été supprimée
pour l'accès à l'électorat, et même à
l'éligibilité, dans toute une série de secteurs,
et les étrangers sont représentés, au même
titre que les Français, dans les organes de gestion d'un nombre
croissant de services publics : dans l'éducation nationale,
où ils sont électeurs et éligibles au titre d'usagers
(élèves, étudiants ou parents d'élèves)
dans les conseils à tous les niveaux d'enseignement ; dans
le logement, où ils sont électeurs et éligibles
dans les conseils des OPHLM et des OPAC depuis 1983 et 1986 ; dans
les conseils d'administration des caisses de sécurité
sociale depuis 1982 ; dans les organes d'administration des sociétés
mutualistes depuis 1985 ; dans les conseils d'administration des
entreprises du secteur nationalisé depuis 1983, etc...
Un certain nombre d'exclusions subsistent, qui concernent essentiellement
le domaine de la justice et les organismes corporatifs.
- La participation au fonctionnement de la justice
, même à titre non professionnel, reste pour l'instant
entièrement reservée aux Français : il faut
avoir la nationalité française pour être juré,
assesseur des tribunaux pour enfants ou des tribunaux des affaires
de sécurité sociale, ou pour siéger dans les
conseils de prud'hommes, dans les tribunaux de commerce ou dans les
tribunaux paritaires des baux ruraux. Le droit de vote lui-même
n'est reconnu aux étrangers que pour les élections prud'homales,
les ressortissants communautaires ayant de plus le droit de voter
pour désigner les assesseurs des tribunaux paritaires des baux
ruraux.
Il conviendrait au minimum de mettre fin à ces incohérences
en attribuant le droit de vote à tous les étrangers
pour toutes les élections mais aussi, comme on l'a dit plus
haut, de leur reconnaître le droit de siéger dans toutes
les instances de type paritaire, dans la mesure où ce droit
est perçu plus comme le prolongement des droits sociaux reconnus
aux travailleurs que comme un droit de nature politique.
Il conviendrait de même de supprimer la condition de nationalité
qui n'a pas grand sens pour l'accès aux fonctions
de médiateur (art. R. 524-13 du Code du travail) ou de conciliateur
(alors qu'elle n'est pas prévue pour l'accès aux fonctions
d'arbitre ou d'expert).
- En ce qui concerne les organismes corporatifs
chambres consulaires ou ordres professionnels on constate également
une très grande incohérence des règles applicables.
Ainsi, l'électorat et l'éligibilité dans
les organismes consulaires (chambres de commerces et d'industrie,
chambres d'agriculture, chambres des métiers) sont réservés
aux Français, les ressortissants communautaires étant
toutefois électeurs et éligibles dans les chambres
d'agriculture. Le fait que ces organismes revêtent la forme
juridique d'établissements publics ne paraît guère
une raison suffisante pour maintenir ces exclusions, comme l'atteste
l'exemple cité plus haut de l'enseignement et des offices
de HLM.
En ce qui concerne les ordres professionnels, la situation varie
beaucoup selon les professions concernées : ainsi, les
étrangers sont exclus à la fois du droit de vote et
de l'éligibilité dans le cas des géomètres-experts
et des experts-comptables ; ils peuvent voter mais ne sont
pas éligibles dans les ordres des professions de santé
(médecins, chirurgiens-dentistes ou sages-femmes) ainsi qu'à
l'ordre des architectes ; enfin, aucune restriction n'est prévue
dans les textes s'agissant de l'ordre des pharmaciens, de l'ordre
des vétérinaires et de l'ordre des avocats.
Cette incohérence même est le signe qu'aucune raison
décisive ne justifie les exclusions existantes. Il est probable
qu'elles s'expliquent essentiellement par le fait que les professions
libérales sont de toutes façons à peine entr'ouvertes
aux étrangers, comme on l'a montré plus haut. A partir
du moment où, comme nous le proposons, ceux-ci devraient
pouvoir y accéder dans les mêmes conditions que les
Français, leur exclusion des organismes qui ont pour fonction
la gestion de la profession n'auraient plus de raison d'être.
- Les bourses d'enseignement secondaire, auxquelles
les jeunes étrangers accèdent normalement dans les mêmes
conditions et selon les mêmes critères que les jeunes
étrangers, lorsqu'ils résident en France avec leur famille
(décret n. 73-1054 du 21 novembre 1973) sont réservées
en pratique, en vertu d'une instruction interne, à ceux dont
l'ensemble de la famille réside en France (les deux parents
et tous les frères et soeurs à charge). Il conviendrait
de mettre fin à cette pratique, dont la légalité
paraît douteuse.
- Les textes qui prévoient l'indemnisation des victimes
d'une infraction lorsque l'auteur de celle-ci est inconnu
ou insolvable (art. 706-3 et s. du Code de procédure pénale)
excluent de son bénéfice les étrangers qui ne
sont pas titulaires d'une carte de résident ou bénéficiaires
d'un accord de réciprocité. Cette discrimination est
d'autant plus choquante qu'elle n'existait pas dans le texte initial
(loi du 3 janvier 1977) et a été introduite par la loi
du 2 février 1981 dite "Sécurité et Liberté".
Elle touche d'ailleurs aussi les ressortissants communautaires, et
à ce titre elle a été déclarée
contraire au Traité de Rome par la CJCE (arrêt du 2 février
1989, affaire 186/87, I.W. Cowan, rendu à propos du refus d'indemniser
un touriste victime d'une agression lors d'un séjour à
Paris).
Notes
[1] Mais l'interdiction
n'est pas possible si ces mêmes ouvrages sont de provenance purement
française. Ce qui montre que le maintien en vigueur du texte
ne se justifie même pas par des considérations d'opportunité !
Dernière mise à jour :
19-11-2000 12:48.
Cette page : https://www.gisti.org/
doc/presse/1991/lochak/cnpi.html
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