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Plein Droit n° 69, juillet 2006
« 
Immigration, paroles de trop »

La fabrique des sans-papiers

ÉDITO


Comme on pouvait le craindre, le projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration a été largement durci lors de son passage devant l’Assemblée nationale. Certaines dispositions, qui avaient été retirées de la dernière version du texte par le ministère de l’intérieur, ont miraculeusement fait leur réapparition par voie d’amendement [1]. Par ailleurs, ont été insérés dans le projet des dispositifs aux allures de gadget, censés distiller de l’« humanité » dans un texte qui en est entièrement dépourvu. Enfin, parce qu’il faut, en ces temps, afficher dialogue et écoute, le législateur a poursuivi le chemin initié par le gouvernement en dissimulant davantage encore la figure du travailleur étranger jetable. Il n’en demeure pas moins que c’est cette figure qui caractérise la reprise de l’immigration légale de travail, qualifiée ici d’immigration « choisie ».

En premier lieu, l’Assemblée nationale a jeté, comme le souhaitait le gouvernement, son dévolu sur l’immigration familiale. Après avoir désigné cette procédure comme le « problème » numéro un, et en avoir fait la cause de bien des maux, le ministre de l’intérieur avait reculé en maintenant les conditions actuelles – car, malgré tout ce qui se dit et s’entend, le regroupement familial a toujours été soumis à des conditions fort difficiles à remplir, sans parler des pratiques – et en conservant, comme seule innovation, la condition tenant au respect des principes qui gouvernent la République. Il a suffi de quelques amendements pour revenir aux intentions originelles : fermer la porte à cette procédure. Ainsi, si le projet de loi avait été adopté en l’état, l’étranger désirant faire venir les membres de sa famille en France aurait dû disposer certes de ressources stables et suffisantes, mais en plus modulables en fonction du nombre de personnes concernées. Cette condition avait tout simplement pour effet de priver du droit à mener une vie familiale normale ceux et celles qui touchent les minima salariaux. Finalement, le Sénat ayant décidé de supprimer cette exigence, la commission mixte paritaire a abandonné cette entre-prise de destruction, animée plus par la crainte que le texte soit invalidé par le Conseil constitutionnel que par des consi-dérations tenant à la légitimité de la condition. On demandera aussi de justifier d’un logement répondant à des exigences variables selon la région de résidence. Cette nouvelle formulation, dont on ne maîtrise pas tout à fait les conséquences, interroge le principe d’égalité. En tout état de cause, lorsque le demandeur aura réussi à satisfaire à ces conditions, le préfet, conforté par l’avis du maire, pourra toujours dire qu’il ne se conforme pas aux principes régissant la République… Une telle exigence est trop floue pour ne pas donner libre cours aux interprétations et pratiques les plus contestables.

Les mineurs, eux aussi oubliés un temps par la réforme, tiennent à nouveau l’affiche. Le gouvernement avait renoncé à abaisser l’âge d’entrée en France – aujourd’hui treize ans – à partir duquel le mineur reçoit « de plein droit » un titre de séjour. Il aurait alors fallu modifier le dispositif « double peine » pour garder une cohérence d’ensemble entre droit à une carte de séjour et protection face à l’éloignement forcé. Mais le spectre de jeunes prétendument abandonnés à leur sort, et donc potentiellement fauteurs de trouble, a traversé l’hémicycle : un amendement adopté prévoit que ces jeunes, pourtant arrivés avant cet âge, ne bénéficieront pas d’un titre de séjour à leur majorité s’ils ne résident pas en France avec leurs parents légitimes, adoptifs ou naturels. Seront ainsi visés tous ces jeunes confiés à un proche de la famille, normalement scolarisés et qui, lorsqu’ils atteindront dix-huit ans, plongeront dans la clandestinité alors même qu’ils vivent en France depuis de nombreuses années.

Enfin, les évènements des banlieues de l’automne dernier ont visiblement inspiré d’autres amendements, alors même que l’on sait que très peu étrangers y ont été impliqués et qu’il ne s’agit donc là que d’un prétexte. Ainsi, les personnes titulaires d’une carte de résident se la verront retirer si elles ont été condamnées notamment pour rébellion, véritable « tarte à la crème » des prétoires pour couvrir des violences policières ou légaliser des contrôles d’identité douteux. A la place, car ces personnes sont par ailleurs protégées de l’expulsion comme de l’interdiction du territoire français, elles recevront « de plein droit » une carte d’un an avec le risque qu’elle ne soit pas renouvelée. Cette mesure – indéniablement une sanction – constitue une forme nouvelle de « double peine ».

Ces trois exemples confortent l’idée que le projet est une redoutable machine à fabriquer des sans-papiers dont la légitimité à vivre en France va de soi.

C’est donc à la mesure de ce projet que doit être appréciée la circulaire du 13 juin 2006 adressée par le ministre de l’intérieur aux préfets. Voulant contrer la montée en puissance de la mobilisation autour de la défense des enfants étrangers scolarisés dont les parents (ou l’un des deux) sont en situation irrégulière, le ministre a choisi, par le plus grand des hasards, le jour où les débats sur son projet de loi commençaient au Sénat pour afficher son « humanité ». Il ne s’agit évidemment pas d’une opération de régularisation destinée aux familles qui ont un ou des enfants scolarisés en France, mais d’une action de communi-cation finement orchestrée. A regarder de près les conditions fixées pour prétendre à cette mesure de clémence, on se demande pourquoi, au regard de la loi, ceux qui sont concernés n’ont pas déjà un titre de séjour…

Pour en revenir au projet lui-même, on signalera au rayon des mesures « gadget », la naissance de deux commissions, nationales de surcroît, celle « de l’admission exceptionnelle au séjour » et une seconde dite « des compétences et des talents » qui viendront seconder le ministre de l’intérieur dans ses prises de décision. Elles sont le fruit de deux séries de dispositions figurant dans le projet, celles qui suppriment les possibilités légales de régularisation et tendent ainsi à construire des irrégularités perpétuelles et les autres qui créent la fameuse carte « compétences et talents » signifiant la fine sélection des candidats à la migration afin de contribuer au « rayonnement » de la France. La « commission nationale de l’admission exceptionnelle au séjour » est censée « compenser » la suppression de la catégorie « des dix ans de séjour habi-tuel » ; la deuxième forme une sorte de « jury » pour élire les meilleurs. On croit rêver. On pourrait même en rire, en croyant à une mauvaise blague, s’il n’était pas question de femmes et d’hommes maltraités dont la dignité est en jeu.

Le travail mené par le collectif « Uni(e)s contre une immigration jetable » (UCIJ) n’empêchera sûrement pas l’adoption du projet de loi réformant le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; il aura toutefois contribué à relancer une mobilisation moribonde et, incidemment, une réflexion sur les politiques française et européenne dans les champs considérés. Il y a longtemps qu’un collectif rassemblant autant d’organisations n’avait pas travaillé de concert pour dénoncer une réforme sur l’immigration. Il est probable que l’UCIJ poursuivra sa route en tentant de dessiner les contours de ce que pourrait être une autre politique en la matière. Par ailleurs, un point demeure en suspens : comment seront sélection-nés les étrangers dont la France dit avoir besoin ? On peut ici tenter une articulation avec la politique d’externalisation menée par l’Union européenne en matière d’immigration et d’asile. Les pays dits de « voisinage » pourraient jouer le rôle de filtre, les candidats à l’émigration les moins vaillants ou les moins « utiles » étant voués à rester sur place dans des camps, qu’ils soient fermés ou ouverts.

 

[1] Le ministre de l’intérieur s’est livré une nouvelle fois à l’habituel simulacre de consultation, invitant les associations à donner leur opinion sur un texte totalement bouclé, modifiable à la marge selon un scénario quasiment écrit. Le collectif des associations de l’UCIJ, dont l’analyse du projet de loi circulait depuis trois mois, a décliné cette offre de « dialogue », considérant que sa position était largement connue.

 

À Madeleine

Madeleine Babinet nous a quittés en mai dernier.
Madeleine a passé toute sa vie professionnelle et militante au service du droit des étrangers.

Assistante sociale au Service social d’aide aux émigrants (SSAE), elle a rejoint le Gisti dès la constitution de la première équipe et y a tenu une place active pendant plus de vingt-cinq ans, jusqu’à ce que la maladie l’en empêche, fidèle aux réunions mensuelles tardives, malgré son habitat éloigné en banlieue, présente aux manifestations de ces années 70,80 et 90…

A sa retraite, elle s’est impliquée encore plus étroitement dans la vie quotidienne du Gisti, prenant en charge les réponses au courrier ; elle a même assuré seule cette tâche jusqu’à la fin de l’année 1993 !

Pour les « anciens » avec lesquels elle a partagé son expérience, il reste d’elle quelques images-souvenirs marquantes : son sourire chaleureux ; son aptitude à mettre les autres en valeur en restant elle-même au deuxième plan ; ses longues lettres détaillées et ses dossiers bien remplis. Avec son souci de bien faire et sa crainte d’oublier quelque chose d’important, elle reprenait ses écrits, barrait, rajoutait et finissait par écrire en travers de la page quand il n’y avait plus de place. Ce n’était pas toujours facile à lire ! Elle s’en excusait… et continuait.

Le plus grand merci que nous puissions lui dire pour tout ce qu’elle nous apporté, c’est de poursuivre avec les nouvelles générations le combat pour la justice et le droit afin que la chaîne ne s’arrête pas.

 

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Dernière mise à jour : 9-11-2006 18:24 .
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