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Plein Droit n° 52, mars 2002
« Mineurs étrangers isolés en danger »

Victimes ou délinquants ?

ÉDITO

Le parlement a examiné en première lecture au cours du mois de février une proposition de loi renforçant la lutte contre les différentes formes d'esclavage aujourd'hui. Elle prévoit la création d'une nouvelle incrimination de traite des êtres humains et renforce les sanctions pénales à l'encontre des trafiquants. Au côté de ce volet répressif, figure un dispositif de protection des victimes : aménagement des délais de prescription et droit au séjour pour ceux qui témoigneront ou porteront plainte. Ce texte devrait être ensuite complété par d'autres mesures telles que le renforcement des moyens des associations luttant contre la prostitution ou l'esclavage domestique et la création de centres d'accueil spécifiques.

Les termes « transporter » et « transférer » qui figurent dans la définition de la traite des êtres humains font évidemment allusion à l'entrée sur le territoire d'étrangers. Comme le relève la députée Christine Lazergues dans son rapport au nom de la commission des lois, « les victimes de la traite sont, dans leur immense majorité, des étrangers en situation irrégulière ». L'un des députés à l'origine de cette proposition de loi précise d'ailleurs que ce texte « devrait permettre de changer le regard porté par l'opinion publique sur les enfants et femmes victimes d'exploitation, en leur conférant le statut de victime, alors que le droit actuel en fait des délinquants au regard de la législation sur les conditions d'entrée et de séjour des étrangers ».

Cette proposition de loi, qui reprend l'essentiel des conclusions de la mission d'information parlementaire sur les diverses formes de l'esclavage moderne, n'est pas exempte de défauts, notamment en ce qu'elle subordonne l'octroi d'un titre de séjour à la victime au fait qu'elle témoigne ou porte plainte contre l'auteur de la traite. Il n'en demeure pas moins qu'il est question, pour la première fois, de protection des victimes, y compris lorsqu'il s'agit d'étrangers — mineurs ou majeurs — qui sont entrés ou séjournent illégalement en France.

Le délit de traite des êtres humains sera donc notamment constitué quand un étranger est « transporté » pour être contraint à se prostituer ou à travailler dans des conditions indignes. Comment ne pas penser alors à la situation de certains mineurs étrangers isolés : petites Africaines forcées de se prostituer sur les trottoirs parisiens ou jeunes Chinois travaillant dans les ateliers de confection pour rembourser leur « dette » aux passeurs qui les ont fait entrer en France ? L'hypothèse où la victime serait contrainte à commettre un crime est même directement inspirée de la situation des groupes d'enfants roumains qui ont pillé pendant plusieurs mois les horodateurs parisiens sous la pression et au profit d'adultes. On notera d'ailleurs que les sanctions sont aggravées quand la traite est commise contre des mineurs ou à une échelle internationale. Les mineurs pris dans des réseaux d'exploitation seraient donc, dès leur arrivée sur le territoire français, considérés non plus comme des délinquants mais comme des victimes et feraient l'objet d'une protection ?

C'est oublier que les mêmes députés et sénateurs ont voté, le 21 février 2002, à la fin de la législature, une disposition destinée à favoriser le refoulement des mineurs isolés se présentant à nos frontières. Glissé au dernier moment dans la loi sur l'autorité parentale, l'amendement du gouvernement vise à organiser une représentation légale des mineurs isolés afin que leur placement en zone d'attente, quand ils arrivent en France, soit désormais possible sans risque de nullité du fait de leur incapacité juridique. Cette réforme, sous les apparences du bon sens et de l'humanité, a en réalité pour seul objectif de valider le dispositif de refoulement aux frontières des mineurs isolés.

Ceux qui pensent encore que l'administrateur ad hoc, qui sera nommé à cette occasion pour représenter l'enfant, pourra constituer le premier maillon d'un dispositif de protection devraient se reporter aux débats parlementaires. À un député qui proposait qu'au moins le procureur de la République puisse saisir le juge des enfants pour lui permettre de prendre des mesures de protection à l'égard de ces mineurs, la garde des sceaux a répondu « qu'appliquer le droit commun de la protection de l'enfance à ces mineurs et les admettre sans condition serait donner un signal très dangereux aux trafiquants internationaux de toute espèce ».

En réalité, le signal donné aux trafiquants par cette loi, c'est que leur « marchandise » leur sera retournée depuis la frontière française après quelques jours de placement en zone d'attente. Il leur suffira de tenter de les faire passer une autre fois en France ou dans un autre pays européen.

Le refus de protéger les étrangers, et en premier lieu les plus vulnérables d'entre eux, dès leur arrivée sur leur territoire risque de réduire à bien peu de chose le nouveau dispositif de répression de la traite des êtres humains et de protection des victimes. Une fois récupérées et « mises au travail », les victimes de la traite humaine seront bien plus difficiles à repérer et à protéger.

Derrière l'apparente contradiction de ces deux textes se cache une logique implacable qui consiste à réserver les mesures protectrices à ceux qui sont déjà présents sur le territoire français et à tenter de fermer la porte au nez de ceux qui arrivent.

Protection des enfants, d'un côté. Sacro-sainte fermeture des frontières de l'autre. Entre les deux, le cœur de la France balance.

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Dernière mise à jour : 11-03-2002 17:48 .
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/plein-droit/52/edito.html


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