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Plein Droit
n° 52, mars 2002
« Mineurs étrangers isolés
en danger »
Michèle Creoff
Inspectrice principale des affaires sanitaires
et sociales, spécialiste de la protection de l'enfance
Entre la protection judiciaire liée aux dangers
que court le mineur et la protection administrative en cas d'absence
de représentant légal, le dispositif législatif
d'accueil des mineurs est complet et devrait pouvoir s'appliquer totalement
aux mineurs étrangers isolés. De nombreux freins s'opposent
pourtant à la mise en uvre de cette protection, qui tiennent
aux réticences de certains juges ou aux blocages de certains
intervenants sociaux. Tous ces freins résultent en dernière
analyse de la crainte d'un invasion de mineurs étrangers isolés.
Se poser la question de savoir ce qu'est un enfant en danger, lorsqu'on
aborde la problématique des mineurs étrangers isolés,
c'est immédiatement se positionner à contre-courant des
pratiques actuelles et envisager le mineur isolé comme pouvant
bénéficier du dispositif de protection de l'enfance. L'article 375
du code civil considère qu'il y a danger lorsque la santé,
la sécurité, la moralité d'un mineur sont en danger,
ainsi que lorsque les conditions de son éducation sont gravement
compromises.
La situation des mineurs étrangers isolés qui arrivent
aux frontières de la France sans représentant légal,
fréquemment sans point de chute, sans relais familial correspond
bien évidemment à cette définition. En effet, de
nombreux dangers les guettent, liés à l'errance dans la
rue, à l'introduction en France par des réseaux criminels,
à la promiscuité dans la zone d'attente, à l'absence
de prise en charge ne permettant pas leur éducation. Or, on a
vu apparaître, depuis un peu moins de six mois, des décisions
de juges pour enfants qui considèrent que la situation des mineurs
étrangers isolés n'est pas du ressort de l'assistance
éducative. Ces mineurs ne sont pas traités comme des mineurs
en danger mais simplement comme des mineurs sans représentants
légaux. En l'absence de représentant de l'autorité
parentale, seul le juge des tutelles est alors compétent.
Cette position illustre une lecture extrêmement étroite
du critère de danger posé par l'article 375 du code
civil en limitant celui-ci au seul danger provenant des comportements
parentaux. Or, si on se livre à une analyse conjuguée
des articles 375-3 et 375-5 du code civil, on constate au contraire
que le législateur n'a pas voulu désigner seulement le
milieu familial, puisque le terme retenu est celui de « milieu
actuel » dans lequel vit l'enfant. L'objectif est bien de
pouvoir prendre en compte toutes sortes de situations de danger sans
se limiter à la famille ou au domicile. On peut donc imaginer
sans effort que, lorsque ce milieu actuel est la rue ou une zone d'attente
d'aéroport, des circuits indéterminés d'existence,
des hébergements divers et variés avec des adultes inconnus,
le juge pour enfants est bien habilité à retirer le mineur
de ce milieu. C'est l'interprétation qu'en a faite la Chambre
civile de la Cour de cassation, le 16 janvier 1999, en considérant
que l'application de l'article 375-3 n'était pas liée
à la présence effective du mineur dans son milieu familial. Quant
à l'article 375-5, il organise la compétence du procureur
de la République du lieu où le mineur a été
retrouvé d'ordonner, en urgence, une mesure d'assistance éducative.
Ainsi, le législateur a bien fait en sorte que ces mesures d'assistance
éducative s'adressent également aux mineurs en danger
trouvés éloignés de leur milieu familial.
Il y a une forme d'absence de culture
professionnelle sur la façon de travailler avec des mineurs sans
représentants légaux avec lesquels l'objectif n'est pas
le retour en famille mais la construction d'un projet de vie.
Outre cette protection judiciaire liée aux dangers qu'encourt
le mineur, le code de l'action sociale et des familles (CASF) organise
une protection administrative des mineurs sans représentant légal.
L'article L 223-2 du CASF précise en effet qu'en cas d'urgence,
en l'absence de représentant légal, l'enfant est recueilli
par le service de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Ce service
en avise immédiatement le procureur de la République,
lequel, passé un délai de cinq jours destiné à
rechercher les parents, saisit l'autorité judiciaire et, plus
précisément, le juge pour enfants.
Bien évidemment, lorsque, dans les années soixante, le
code de la famille a imaginé ce dispositif, personne n'avait
en tête les mineurs étrangers isolés ; on pensait
principalement à l'enfant abandonné. Aujourd'hui, avec
toutes les difficultés que l'on imagine, il convient de faire
appliquer ce texte favorable à une population qui n'est pas celle
qui était visée au départ.
On va donc s'apercevoir que, bien que le dispositif législatif
d'accueil en urgence des mineurs étrangers isolés soit
complet, conjuguant protection judiciaire et protection administrative,
seules quelques centaines sont accueillies dans ce dispositif au regard
des milliers qui se présentent à nos frontières.
Quels sont les freins à la mise en uvre de cette protection ?
Il y a d'abord le refus de considérer que la protection de l'enfance
s'applique à tout mineur présent sur le territoire français,
refus qui se greffe sur une certaine analyse juridique qui dénie
aux zones aéroportuaires la qualité de territoire français.
Le juge du 35 quater a tendance à considérer
que les mineurs qui se présentent aux frontières sont
avant tout des étrangers auxquels il faut appliquer la logique
politique et juridique de la législation sur les étrangers,
et que seuls les mineurs admis à entrer sur le territoire peuvent
se voir protégés par le dispositif de protection de l'enfance.
La politique de contrôle des flux migratoires va donc l'emporter
sur la politique de protection de l'enfance et de lutte contre les réseaux
transfrontaliers.
La deuxième difficulté constatée de manière
tout à fait classique est l'absence de saisine systématique
du parquet en assistance éducative dès lors qu'il y a
une admission d'un mineur isolé sur le territoire français.
Le juge du 35 quater considère que l'étranger
qui se présente à lui est bien mineur et qu'il ne peut,
par conséquent, lui notifier un refus d'entrée. Il va
alors l'autoriser à pénétrer sur le territoire
mais ne rien faire d'autre, c'est-à-dire qu'il ne va pas estimer
qu'il est en danger et ne va donc pas saisir son collègue procureur
de la République pour qu'une mesure de protection de l'enfance
soit mise en uvre.
Autre obstacle rencontré : le refus ou la mauvaise volonté
des services de protection de l'enfance pour prendre en charge ces mineurs,
au motif qu'il n'appartient pas aux départements de financer
la prise en charge de mineurs étrangers dont l'admission sur
le territoire relève d'une décision de l'État.
Cette réaction est très sensible dans de nombreux départements
de la région parisienne mais également dans les Bouches-du-Rhône
et dans tous les départements où se trouvent des zones
aéroportuaires.
La crainte d'une invasion par des mineurs étrangers isolés
venant chercher protection en France est telle qu'elle incite les administrations
à ne pas appliquer le droit. Les conseils généraux
s'interrogent également sur les raisons qui devraient les inciter
à payer pour des mineurs qui ne sont pas sur leur territoire.
Non seulement ils viennent d'ailleurs mais, de plus, ils n'appartiennent
à aucune organisation administrative du territoire français.
La question de leur prise en charge fait donc éclater la logique
de la décentralisation.
On rencontre également des blocages qui tiennent plutôt
à la pratique des intervenants sociaux. Ils viennent de la crainte
de certains travailleurs sociaux, de foyers, de structures collectives
de protection de l'enfance, de s'installer véritablement dans
la prise en charge de ces mineurs aux problèmes tellement spécifiques,
qui n'ont pas les mêmes attentes que les autres, dont on ne comprend
pas obligatoirement les traumatismes, avec lesquels on a les plus grandes
difficultés à bâtir des projets professionnels et
des projets de formation parce qu'ils n'ont pas de papiers. Cette crainte
est amplifiée par la nécessité, réelle ou
supposée, de mettre en place un accueil très sécurisé
par rapport aux pressions des réseaux.
Sur le chapitre des réticences professionnelles, on peut ajouter
tout ce qui tourne autour du mythe actuel du retour en famille. Nous
sommes tous imprégnés de l'idée que les enfants
que nous accueillons dans les dispositifs de protection de l'enfance
doivent, très rapidement, être rendus à leur famille
une fois qu'on aura travaillé autour de la relation parents-enfant.
Or, ce mythe là, ce processus de travail, quand il s'agit d'enfants
étrangers sans parents, comment le mettre en uvre ?
Nous avons beau faire jouer tous nos mécanismes professionnels,
c'est extrêmement difficile, voire impossible. Il y a donc une
forme d'absence de culture professionnelle sur la façon de travailler
avec des mineurs par définition autonomes puisqu'ils sont sans
représentants légaux, et avec lesquels l'objectif n'est
pas le retour en famille mais la construction d'un projet de vie sans
qu'il y ait obligatoirement des représentants familiaux dans
la dynamique de travail. La complexité de cette situation interroge
énormément les intervenants sociaux en matière
de protection de l'enfance, d'où la frilosité fréquemment
constatée face à l'accueil de ces mineurs étrangers
isolés.
Le danger que court le mineur isolé ne se limite pas à
sa situation immédiate de vie, c'est-à-dire au fait qu'il
soit errant, sans protection, sans accueil. C'est aussi une situation
de danger à plus long terme du fait que, sans représentant
légal, il ne peut pas faire valoir un certain nombre de droits :
auprès de l'OFPRA s'il fait une demande d'asile, en matière
d'accès aux soins, en matière d'éducation, de formation
ou tout simplement de défense de ses droits civiques. Mais, là
encore, le dispositif législatif existant apporte une réponse.
En effet, lorsque des parents sont incapables d'exercer leur autorité
parentale suite à leur absence ou à leur éloignement,
le juge des tutelles organise la tutelle du mineur. Le code civil précise
également que lorsque aucun parent ou allié de l'enfant
n'est présent pour faire partie du conseil de famille et qu'il
est donc impossible de désigner un tuteur parmi eux, le juge
déclare la tutelle vacante et la confie obligatoirement à
l'aide sociale à l'enfance du conseil général.
Donc, quelle que soit la porte d'entrée dans le système
de protection de l'enfance, que ce soit la porte administrative, la
porte assistance éducative ou la porte tutelle, l'enfant doit
être pris en charge par le service de l'ASE. Celle-ci va exercer
la totalité de l'autorité parentale sur l'enfant et donc
lui permettre de faire valoir ses droits, en particulier en matière
de formation, d'insertion professionnelle et d'insertion dans la vie
civique.
Face à tout ce dispositif, la question qui se pose est celle
du devenir de ces jeunes. Ces mineurs qu'on a admis sur le territoire,
avec lesquels on a fait un travail d'intégration, de formation,
d'accompagnement, que vont-ils devenir à dix-huit ans alors qu'ils
seront en situation irrégulière ? Outre qu'il est
possible, dans certaines conditions, de demander, à titre humanitaire,
un titre de séjour, la principale voie à exploiter est
celle de l'acquisition de la nationalité française. Quand
on sait qu'un jeune étranger isolé doit être confié
à l'ASE quel que soit celui des trois dispositifs décrits
ci-dessus mis en uvre, on s'étonne de la faiblesse du nombre
d'admissions à la nationalité française.
L'article 21-12 du code civil précise pourtant que tout
mineur confié à l'ASE peut, pendant sa minorité,
acquérir la nationalité française par déclaration.
Si le texte est simple et clair, dans la pratique la principale cause
de blocage va tenir au fait que le mineur ne dispose d'aucun document
d'état civil.
Or, si les juges d'instance chargés d'enregistrer cette déclaration,
et la Chancellerie chargée de contrôler l'acquisition de
la nationalité française, étaient beaucoup plus
souples, la question de l'état civil pourrait se régler
puisque tant la décision du juge des tutelles que celle du juge
pour enfants ont bien désigné une personne. Il y a donc
des actes juridiques français qui ont dénommé ce
mineur et qui lui ont attribué une minorité. Cette difficulté,
qu'on ne peut nier, pourrait être dépassée s'il
y avait une réelle volonté de régler la situation
de ces mineurs par l'acquisition de la nationalité française.
Mais, aujourd'hui, on n'en est pas là. Face aux difficultés
décrites et surtout devant la crainte, toujours sous-jacente,
d'une invasion de mineurs étrangers venant chercher protection
en France, services administratifs et juges vont faire preuve de frilosité
et dénier à ces mineurs leur capacité à
acquérir la nationalité française. À cette
frilosité vont s'ajouter les interrogations des travailleurs
sociaux sur leur droit à proposer au jeune une nouvelle nationalité,
ce qui pourrait signifier pour lui une rupture avec ses origines, sa
culture, son pays, sa famille.
Cette question de l'acquisition de la nationalité française
doit être considérée avec soin, d'une part parce
que c'est en effet au mineur de choisir, de décider s'il est
prêt ou non à faire cette démarche, d'autre part
parce que nous devons comprendre, voire dépasser nos réticences
et réfléchir sur la manière aujourd'hui d'être
à la fois de là-bas et d'ici, d'appartenir à plusieurs
pays, à plusieurs cultures. Au nom du respect des origines, du
respect de la famille, du respect du droit au retour, il ne nous appartient
pas de bloquer une possibilité d'intégration dans la nationalité
française.
Pourrons-nous continuer à laisser des enfants en danger, sans
protection du fait d'une politique de l'immigration restrictive alors
qu'il existe, en France, un dispositif protecteur qui permet l'accueil
en urgence, la protection et l'acquisition à dix-huit ans
de la nationalité française ?
Dernière mise à jour :
18-07-2002 23:26
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