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Plein Droit n° 14, juillet 1991
« Quel droit à la santé pour les immigrés ? »

Des femmes immigrées
face à la contraception 
(3/3)

Hélène Bretin

1ère partie | 2ème partie | 3ème partie

D'autres femmes étrangères que nous avons rencontrées n'ont pas eu recours à cette méthode. Leur expérience, leur relation avec l'institution médicale en matière de contraception et d'accouchement n'en est pas moins marquée par ce qu'a généré leur statut d'étrangère.

« Le jour de l'accouchement, ça a été terrible à cause d'une sage-femme. Au début, c'était pas prévu la césarienne. C'était prévu que j'accouche normalement (...). Elle a demandé au médecin de me faire une césarienne. Je savais pas ce que ça veut dire la césarienne. Le médecin n'était pas d'accord... Quand elle m'a demandé pour la césarienne, moi je croyais que c'était des points, c'est tout.

« Le lendemain, quand je me suis réveillée, j'ai vu la césarienne, j'ai vu des trucs, des sérums et tout, j'ai dit : c'est ça la césarienne ! Après j'ai vu mon ventre, c'était terrible ! ! ! Quand j'en ai parlé avec mon mari, c'était trop tard. Elle est sortie pour voir mon mari et lui a dit : votre femme a demandé la césarienne. Moi j'ai pas demandé la césarienne. C'est vrai, elle m'a demandé, et moi, à cause des douleurs, j'avais dit oui. Elle m'a dit : on va vous soulager Madame avec une césarienne. Moi j'ai dit oui comme ça, je savais pas ce que c'était une césarienne.

« Je ne sais pas, après je me suis demandé peut-être elle est raciste. Elle n'aime pas les Arabes. Il y a des racistes partout, c'est la vérité. Il y a des Arabes qui n'aiment pas les Français, il y a des Français qui n'aiment pas les Arabes. Ça, c'est la vérité, ça se passe partout. Ce que j'ai dans ma tête, c'est ça. Parce qu'il n'y avait pas de raisons. Pourquoi la césarienne ? J'ai passé mes radios de bassin à cause de ça et j'avais demandé à la sage-femme, j'avais posé des questions pour mon accouchement, s'il y avait des problèmes. Elle m'avait dit : votre échographie est bien, vos radios sont bien, normalement.

« ... Je ne suis pas raciste,
mais quand ils voient une Arabe,
ils abusent un peu... »

« Le médecin m'avait donné un masque à oxygène pour respirer un petit peu. Dès que le médecin part, elle m'enlève le masque. Dès que le médecin revient, je lui demande et il me le redonne, dès qu'il repart, elle l'enlève. Vraiment je suis tombée avec une femme... j'oublierai jamais ce jour là, tellement j'ai eu peur. Je suis sûre et certaine qu'elle est raciste. » (Saïma)

« Quand je suis arrivée, la bonne femme a regardé mon dossier, elle a dit : vous êtes suivie ? J'ai dit : oui, ici. Elle a dit : c'est une césarienne. Mon mari a dit : qu'est ce que vous voulez que je vous dise ?...

« J'accoucherai plus à l'hôpital. La clinique c'est mieux parce que quand le gynécologue dit une chose, c'est une chose. À l'hôpital, même celle qui balaye donne son avis je crois ! Il y avait au moins cinq dames : « une césarienne oui, oui » ; l'autre : « non, non, on peut la faire accoucher » ; l'autre : « non, c'est une césarienne » ; devant moi. Je les voyais aller et venir dans le couloir, je tremblais : ça y est j'ai quelque chose ! Comment ça se fait, tous ces médecins, ils étaient au moins dix ou onze. Ils m'ont pas expliqué. Moi sur la table, allongée, je perdais du sang. C'était un dimanche. Il n'y avait pas beaucoup de personnel. Surtout avec les stagiaires.

« Moi, je vous dis, je suis pas raciste, mais quand ils voient une Arabe, ils abusent un petit peu. Oh oui, même beaucoup ! Parce que j'ai vu que si c'était une Française, ils vont pas faire ça hein. Ils appellent tous les internes, ils viennent te toucher, ils ont pas le droit de venir te toucher. Ca fait mal quand on fait rentrer les doigts. Toi tu l'enlèves, l'autre remet son doigt, elle n'a pas le droit. Si la malade dit non, ils ne touchent pas. Moi, comme c'était un accouchement par le siège, pour apprendre, une enlève son doigt, l'autre le replace : « regarde comment il est » ; l'autre : « je sens un genre de zizi ». Moi, j'ai rien dit. Je ne suis pas méchante, j'ai dit : peut-être ils apprennent, ils s'y connaissent pas. Au moins dix, hommes et femmes ont mis leurs doigts » (Zahoua).

Au sein de la structure de soins et face au modèle dominant de régulation des naissances, le choix fait par la femme peut perdre toute sa valeur et sa cohérence. Marqué comme marginal, il donne lieu à un jugement et à une culpabilisation. Zahoua, avec ses sept enfants, peut en parler y compris dans ses relations avec l'équipe du centre de PMI-planification :

« Quand elles voyaient une femme qui avait beaucoup d'enfants, elles aimaient pas qu'elle soit encore enceinte.

— Vous l'avez senti ça ?

— Oui. Faites ça... faites ça... Maintenant, il y a quelqu'un qui me donne un coup de main ? Personne. Quelqu'un qui m'aide pour les enfants ? personne. Si je veux faire l'avortement, c'est moi qui sais. Si je veux pas avoir d'enfant, c'est moi qui sais. Si je suis enceinte et que je viens vous voir, même si vous êtes gynécologue et que vous me dites : oh ! vous faites ça ? Je sais ce que je fais !

« Toutes les femmes vous diront la même chose... Quand je suis rentrée d'Algérie, j'étais gênée d'aller les voir. Ils aiment pas. Je sais pas s'ils aiment pas pour la santé de la mère, je ne comprends pas moi. Je suis en très bonne santé, j'ai rien du tout. Quand F. m'a vue, elle a dit : c'est votre premier ? tellement je suis bien. J'ai pas le ventre sorti. C'est comme si j'avais pas eu d'enfants. À l'hôpital, ils disent qu'il faut faire des exercices... moi je ne les fais pas. J'y arrive pas avec mes gosses.

« C'est pas le gynécologue qui vous dit ça, c'est l'entourage. C'est pas le médecin qui dit : pourquoi ? C'est trop ! C'est l'équipe. Sinon elles sont très gentilles. »

C'est ce même jugement que veut éviter Noura à l'hôpital. Il conditionne sa propre réponse face à une attitude qui pose a priori la contraception comme allant de soi, fait nettement sentir l'absence d'alternative :

« Ils m'ont pas demandé mon avis ni rien. Ils m'ont demandé si je voulais la pilule ou le stérilet, j'ai dit la pilule.

— Et si vous disiez : ni l'un ni l'autre ?

— Non ! j'ai pas dit comme ça. On sait jamais ! Parce qu'ils disent que les Arabes, ils veulent les bébés tout de suite, ils veulent comme ça... j'ai pas dit, hein !!! »

Les femmes étrangères immigrées font souvent partie, en France, des catégories sociales les plus défavorisées. Aux lois du marché qui, dans leurs pays d'origine, ont conduit au départ hommes et femmes, répondent celles qui dans nos sociétés — dit Claude Julien —, renforcent un mécanisme contribuant largement à notre prospérité tout en maintenant la précarité et la marginalisation des populations immigrées [5].

Au sein de notre propre société, dans le contexte de crise économique, la récession modifie le regard sur l'immigration (Gérard Noiriel) : « La stabilisation accroît la visibilité des immigrés, déplace le regard vers les “improductifs”, surtout les enfants ; la problématique de la famille, donc de la généalogie, donc de l'“assimilation”, aiguisée par les fantasmes xénophobes, est en terrain sûr. » [6]

Ce même processus n'est-il pas à l'œuvre également dans le regard sur la fécondité des femmes étrangères en France, au travers des questions qui resurgissent régulièrement et font parfois la une de certains quotidiens : serons-nous encore français demain ? Au travers des inquiétudes sur les difficultés d'intégration des enfants de la deuxième génération, l'échec scolaire, la délinquance...

En France, la fécondité des femmes d'origine étrangère demeure supérieure à celle des femmes d'origine française (3,18 enfants par femme contre 1,84 en 1982). Néanmoins, elle baisse progressivement et se rapproche de la moyenne française. En 1985, le nombre moyen d'enfant par femme étrangère était de 3,05. Ici, pourtant, on a tendance à « stigmatiser » les pratiques culturelles et reproductrices des femmes qui ont une fécondité plus élevée que la nôtre.

Chaque émigration, parce qu'elle a son histoire, suppose des réalités différentes : celle qui, dans le cas des Algériennes, distingue les femmes de la seconde génération, des femmes immigrées de la première génération ; celle aussi qui distingue par exemple les femmes algériennes des femmes d'Afrique sub-saharienne, d'immigration plus récente dans notre pays.

Les femmes étrangères vivent les contradictions inhérentes à la confrontation des systèmes culturels, notamment dans leur demande de contraception et la manière dont elles la vivent. Elles peuvent être issues de sociétés où l'enfant entre dans une logique différente, en termes de survie et d'assurance vieillesse ; sociétés aussi dans lesquelles les niveaux d'éducation des femmes sont parfois encore très peu élevés. La faiblesse du niveau d'instruction à laquelle s'ajoutent les difficultés de communication, contribuent à accentuer le caractère technique de la demande de contraception sans que puisse se résoudre l'angoisse provoquée justement par les contradictions vécues. Celles-ci sont d'autant plus difficiles à exprimer dans la relation avec les praticiens que cette relation est doublement inégalitaire : sur le plan du savoir et sur celui du rapport entre culture dominante et cultures dominées.

Ces femmes sont alors confrontées au regard profondément ethnocentriste d'une société qui reconnaît les pratiques différentes comme formes de déviances. « Déviances » qui, en même temps qu'elles nourrissent l'idéologie de la discrimination, suscitent le contrôle et l'intervention pour une assimilation à la logique culturelle dominante.

Faut-il supprimer l'injectable ?

Face aux résultats ou plutôt à l'absence de résultats clairs et nets quant à la toxicité à long terme du produit, l'attitude la plus raisonnable voudrait que l'on renonçât à l'utiliser tant qu'il demeure impossible de conclure, ce qui peut être considéré comme une restriction du choix des femmes. Mais, coupée des conditions concrètes de la pratique, la notion de choix est privée de sens. Les conditions de choix et d'information dont peuvent bénéficier les femmes de faible niveau d'instruction et qui ne parlent ni n'écrivent le français ne sont-elles pas restreintes a priori ?

Rappelons que, dans le débat international sur les effets secondaires et la toxicité du produit, les défenseurs de cette technique se sont très souvent appuyés sur la logique de l'impasse, de l'urgence et du derniers recours pour présenter des situations où elle apparaît comme un « moindre mal ». On peut considérer qu'une injection est préférable à un « Xième » avortement ou un « Xième » enfant, s'il met en danger la santé (la vie ?) de sa mère ou si les conditions de vie de la famille sont précaires. Cette logique qui contribue à reléguer au second plan la question de l'innocuité soulève un problème éthique. En Suède, le contraceptif injectable, qui est interdit dans les programmes de coopération, est autorisé dans le pays dans des conditions de suivi médical intensif, de façon ponctuelle et avec une information complète des femmes.

Contraceptif de l'impasse, du non choix, de l'urgence, l'injectable interroge également les praticiens sur la nature de leurs interventions y compris dans des conditions de pratique insatisfaisantes, avec une réponse qu'eux-mêmes considèrent souvent comme insatisfaisante. Le recours à la technique, lorsqu'il exclut toute alternative dans la réponse faite à la femme, peut devenir une fin en soi. En outre, il peut aussi abolir le recul nécessaire aux médecins, qui leur permet de savoir à quels besoins ils sont amenés à répondre et si leur réponse y est adaptée.

Au delà des questions strictement liées au produit lui-même, l'injectable n'est qu'un révélateur, un outil pris dans des logiques ambivalentes entre émancipation, libération et aliénation. Ailleurs, ce sera la stérilisation féminine ou masculine, la pose de stérilets, d'implants sous cutanés, la « taxe » aux ménages défavorisés qui dépassent le quota d'enfants autorisé, l'avortement forcé... ou plus sournoisement la restriction absolue des choix et le diktat d'une technique choisie dans la logique d'efficacité et d'expertise technocratique des programmes de planification conçus sans les personnes auxquelles ils s'adressent.

La suppression de cette technique n'a d'intérêt que si la recherche des alternatives donne lieu à un travail sur les conditions dans lesquelles s'envisage souvent sa prescription.

Les structures de soins gratuites que sont les consultations de gynécologie en centre de PMI et de planification sont absolument indispensables pour faciliter l'accès au système de soins et surtout le suivi médical de femmes peu favorisées. Cela peut contribuer à limiter la pratique d'urgence.

Ce suivi ne peut s'envisager qu'avec des conditions de travail et de communication optimales. Dans le cadre des consultations de planification, le recours aux services d'interprètes interculturelles constitue une aide certaine mais insuffisante. Il serait très important que les équipes de santé des centres comptent parmi leurs membres, des femmes de même origine que les consultantes. Cela contribuerait à faciliter la communication, à mieux connaître les femmes, à favoriser aussi les contacts et les discussions avec les maris. De la même manière, on pourrait envisager des consultations d'ethnomédecine, (telles qu'elles se pratiquent dans un centre médico-social pour les réfugiés et demandeurs d'asile) qui permettent de comprendre le(s) sens de la demande (somatique ou mentale) des personnes qui se présentent.

Des équipes de soins de centres de PMI nous l'ont dit : derrière les silences, il y a parfois des situations dramatiques, des détresses immenses. Elles ne peuvent être décryptées a priori, surtout pour un regard occidental non familiarisé avec la culture d'origine des femmes et les conséquences de la migration sur leur identité, leur santé [7].

En PMI, des équipes de soins prennent des initiatives afin d'améliorer et d'adapter leur pratique. En sollicitant la venue d'une intervenante turque, africaine, etc. parlant du pays d'où viennent les femmes, de son histoire, du système culturel, des traditions, des modèles sociaux et familiaux, elles sont amenées à mieux saisir et analyser les attitudes et pratiques des consultantes, à porter sur celles-ci un regard différent : autant d'éléments qui, s'ils sont généralisés, contribuent à de meilleures conditions de communication et d'information adaptées aux besoins des femmes.

Il n'appartient pas aux seuls praticiens et au système de soins de modifier les rapports de domination qui structurent les inégalités que nous avons mises à jour. Mais celles-ci ne peuvent être réduites avec une offre dominée par une rationalité technique, décalée et limitée face aux problèmes qui sont posés. Cela nous amène à un niveau beaucoup plus profond de changements radicaux qui questionnent l'accès au savoir, la modification des rapports de domination.

Et la santé des femmes ?

S'il est un message à retenir du travail accompli avec les femmes rencontrées, c'est que leur santé n'est pas toute contenue dans leur utérus ! Pourtant, toutes partagent les conséquences d'une approche médicalisée qui tend à restreindre leur santé aux conditions objectives de la reproduction. Leur santé passe bien sûr par la qualité du suivi des grossesses, du déroulement des accouchements, du suivi contraceptif. Il faut replacer ces conditions dans la perspective qui leur donne leur force et leur sens. Pour les femmes, la santé dépend « non pas de la multiplication des actes médicaux autour de leur sexualité, mais de leur propre capacité autonome à infléchir les choix qui décident de leurs conditions de vie et donc de santé. » dit A. Thébaud-Mony [8].

Pour Meredeth Turshen [9], la définition et l'analyse de la santé des femmes est indissociable du concept de « pouvoir des femmes ». C'est-à-dire, écrit-elle, « non seulement leur participation politique à la vie publique mais aussi l'expression de leur statut dans la législation. Non seulement leur participation économique à la force productive, mais aussi le paiement pour leur travail. Non seulement les idéologies concernant leurs rôles, mais aussi l'importance et le contenu de l'éducation à laquelle elles ont accès. L'expression des intérêts des femmes dans chacun des domaines que sont la législation, la politique familiale, l'éducation et l'idéologie, l'emploi, la représentation politique, donne la mesure de leur participation sociale, économique, politique, dans la société ». Elle donne aussi la mesure de leur participation à la définition de la santé et de la maladie, de l'adaptation des soins de santé à leurs besoins, de leur accès aux soins de santé.

La santé des femmes étrangères met directement en question leur condition de migrantes, les conditions d'intégration de leur groupe social d'origine au sein de la société d'accueil, leur insertion individuelle dans le tissu social. 

L'étude d'une réalité qu'est la prescription de la contraception débouche sur la question des inégalités sociales. Une société qui fonctionne sur un modèle fondamentalement inégalitaire, rend la lutte pour leur réduction d'autant plus difficile à mener. Elle passe par la reconnaissance et le respect de tout individu, de l'altérité ; par la disparition du regard ethnocentriste ; par l'amélioration globale des conditions socio-économiques des populations défavorisées de notre société, qu'elles soient françaises ou étrangères. À travers la prescription de la contraception nous l'avons vu, ces enjeux sont en cause. Ils questionnent de manière cruciale tous les acteurs qui possèdent un quelconque pouvoir au sein du système social, sur les choix politiques implicites dans lesquels s'inscrivent leurs actes et leurs répercussions sur l'évolution de notre société. Il y a plus à espérer de la solidarité que de l'aide. Il y a plus à gagner (attendre) de la gratuité et de consultations pluri-culturelles, que d'une gestion médicalisée de la différence.


Notes

[5] C. Julien, Démographie, Les privilèges et le vertige, Le Monde diplomatique, Mai 1990.

[6] G. Noiriel, Le creuset Français, Histoire de l'immigration XIXe-XXe siècles, Seuil, Paris 1988.

[7] M. Cosio, Th. Locoh, « Un long combat contre l'ignorance et l'abandon des femmes à leur sort », Le Monde Diplomatique, mai 1990.

[8] A. Thébaud-Mony, Besoins de santé et politique de santé, Thèse pour le doctorat d'état, Paris V, 1980

[9] M. Turshen, The politics of Public Health, Rutgers University Press, New Jersey 1989.

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Dernière mise à jour : 12-08-2001 23:29.
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/plein-droit/14/contraception-3.html


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