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Plein Droit
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Plein Droit n° 12, novembre
1990 Halte à la fausse sous-traitanceContrairement à ce que pourrait laisser croire une interprétation hâtive de l'arrêt de la Cour de justice des communautés européennes du 27 mars 1990, RUSH PORTUGUESA c/ ONI [1], cette décision n'ouvre pas la porte aux pratiques frauduleuses de sous-traitance exercées actuellement en France par certaines entreprises portugaises. Elle met opportunément un point final aux divergences de vues qui opposaient, en la matière, la France au Portugal et devrait conforter l'administration française dans sa lutte contre le trafic de main-d'uvre [2]. L'Espagne et le Portugal ont adhéré au marché commun (CEE) depuis le 1er janvier 1986. Mais pour éviter que les Espagnols et surtout les Portugais, attirés par les salaires pratiqués dans les autres pays de la Communauté, ne se précipitent dans ces autres pays en y perturbant le marché de l'emploi, une période transitoire a été imposée à ces nouveaux membres de la CEE jusqu'au 31 décembre 1992. Jusqu'à cette date, sont accordées à l'Espagne et au Portugal la liberté d'établissement et la liberté de prestation de services, mais pas la libre circulation de travailleurs.
Aussi, la Cour de justice des communautés européennes a-t-elle eu à se prononcer sur l'articulation entre cette restriction et la liberté de prestation de services dont bénéficient les entreprises portugaises. L'entreprise RUSH PORTUGUESA avait conclu des marchés de sous-traitance pour des opérations de travaux publics et de bâtiment. Il va de soi que des travaux de construction faits pour des clients français en France impliquaient un ouvrage à réaliser sur place. RUSH PORTUGUESA estimait pouvoir le réaliser avec ses salariés portugais. Mais ceux-ci pouvaient-ils venir en France sans restriction, pour accomplir la prestation de services prévue au contrat, ou bien devaient-ils faire l'objet d'une procédure de demande d'autorisation de travail comme le soutenait le gouvernement français ? (On avait aussi envisagé la possibilité de permettre à RUSH de faire venir son personnel d'encadrement, mais de l'obliger à embaucher sur le marché du travail français le personnel d'exécution). La CJCE, dans son arrêt du 27 mars 1990, répond à cette question : « une entreprise établie au Portugal, qui fournit des prestations de services dans le secteur de la construction et des travaux publics dans un autre État membre peut se déplacer avec son propre personnel qu'elle fait venir du Portugal pour la durée des travaux concernés. Dans un tel cas, les autorités de l'État membre, sur le territoire duquel les travaux doivent être réalisés, ne sauraient imposer des conditions au prestataire de services qui concernent l'embauche de main-d'uvre sur place ou l'obtention d'une autorisation de travail pour le personnel portugais ». Cette définition donne donc aux entreprises portugaises le droit de faire travailler leurs salariés portugais en France, pour exécuter les marchés qui se déroulent en France. À vrai dire, on peut trouver quelque peu spécieuse l'idée émise par la Cour que le travail, exécuté à titre temporaire par des Portugais en France dans le cadre de cette prestation de services, ne perturbe pas le marché de l'emploi. D'abord parce que le caractère « temporaire » de ces travaux n'empêche pas des durées considérables (certains grands chantiers durent plusieurs années !) ; ensuite parce que la précarité de beaucoup d'emplois en France, et notamment dans le bâtiment et les travaux publics, qui recourent aux contrats de travail dits « de chantier » et à l'intérim, de façon parfois massive, met en fait en concurrence sur le marché de l'emploi les salariés installés en France et ceux que la CJCE affirme n'être présents qu'à titre temporaire. En tout état de cause, cela ne donne pas le droit aux personnes de nationalité portugaise, tant que dure la période transitoire, de venir, individuellement, chercher du travail ou occuper un emploi salarié dans une entreprise établie en France. La Cour de Justice, dans le développement de son raisonnement, donne d'autres précisions tout à fait intéressantes : 1°) La « prestation de services » particulière que constitue la mise à disposition de main-d'uvre (placement ou intérim) n'est pas libre jusqu'au 31 décembre 1992, car elle aurait pour effet de faire accéder des Portugais au marché de l'emploi, que l'on a précisément entendu préserver des perturbations pendant cette période transitoire. 2°) Une apparence de prestation de services, comme par exemple un marché de sous-traitance sur un chantier de bâtiment ou de travaux publics, ne doit pas être utilisée dans un autre but, pour faire venir du personnel portugais en vue de sa mise à disposition. L'État d'accueil doit pouvoir vérifier qu'il n'y a pas de détournement de la liberté de prestation de services, car cette mise à disposition de personnel est en France sanctionnée pénalement, sous l'appellation de « marchandage ». La main-d'uvre, en effet, ne peut pas être considérée comme une marchandise ; c'est pourquoi, depuis fort longtemps, le profit réalisé sur la location de personnel est interdit. Les seules formes admises sont strictement réglementées : travail temporaire, groupement d'employeurs, associations intermédiaires. Pour le reste, les opérations à but lucratif de fourniture de main-d'uvre sont prohibées et sanctionnées par l'article L.152-3 du Code du travail. 3°) Les salariés des entreprises portugaises qui sont appelés à travailler en France à titre temporaire, dans le cadre d'une prestation de services exécutée par leur entreprise, doivent bénéficier de l'égalité de traitement ; ce qui implique le respect par leur employeur dans le pays d'accueil « des mêmes conditions que celles que ce pays impose à ses propres ressortissants » (art. 60 du traité). Ainsi, sur le territoire français, la législation et les conventions collectives du travail s'étendent à toute personne exerçant un travail salarié, même de caractère temporaire, et même si l'entreprise employeur est établie au Portugal. L'État d'accueil peut « imposer le respect de ces règles par les moyens appropriés ». Ce qui veut dire, concrètement, que, si l'entreprise portugaise qui vient faire une prestation de services en France n'a pas à demander d'autorisation de travail pour ses salariés, elle n'en est pas moins soumise, pendant la prestation elle-même, aux contrôles que peuvent exercer les services de l'Inspection du travail sur l'application par les employeurs du droit du travail français. Il en est, évidemment, de même pour les entreprises provenant des autres pays de la Communauté et employant du personnel en France. Il faut en effet savoir qu'actuellement des entreprises portugaises, sous couvert de contrats de sous-traitance fallacieux, font du pur et simple prêt de main-d'uvre à but lucratif, et que les salariés concernés sont utilisés dans des conditions de rémunération, de durée de travail, d'hygiène et de sécurité incompatibles avec la réglementation française. D'une part, ces pratiques constituent une concurrence déloyale vis-à-vis des entreprises qui respectent la loi française ; d'autre part, elles ont un effet extrêmement néfaste sur les conditions de travail imposées aux salariés français ou immigrés employés par des entreprises installées en France. Effet qui risque d'être désastreux dans les professions du bâtiment et des travaux publics, qui sont déjà celles où la proportion d'accidents du travail, y compris les accidents mortels, est la plus importante. En résumé :
Notes[1] Voir la présentation de l'arrêt dans la rubrique « jurisprudence », p. 42 [2] Cf. Le guide des commerçants et artisans étrangers, GISTI, 1990, pages 57 et 58.
Dernière mise à jour :
5-06-2001 0:13. |