Plein Droit n° 12, novembre
1990
« Le droit de vivre en
famille »
Alors que dans la procédure de regroupement familial, les
textes eux-mêmes ont instauré des règles dissuasives
empêchant des milliers de familles de vivre ensemble, dans
le domaine de la protection sociale ce sont les pratiques qui, allant
au-delà des textes, posent des exigences inadmissibles. Cette
surenchère dans l'exclusion n'est pas seulement choquante dans
son principe ; elle a des conséquences graves sur les conditions
de vie et la santé de toute une catégorie de la population.
L'égalité de traitement entre Français et étrangers
en matière de protection sociale est garantie par différents
textes relatifs à ce domaine, notamment par la Convention 118
de l'Organisation internationale du travail (OIT), et l'article L. 311-7
du code de sécurité sociale. Mais ce principe a été
progressivement remis en cause d'une part par l'introduction de conditions
relatives à la durée et à la régularité
du séjour et à la durée de l'activité professionnelle,
d'autre part par le développement de pratiques restrictives des
organismes chargés de la protection sociale. Aussi, les exclus
du regroupement familial sont-ils devenus les exclus du système
de protection sociale, autant pour l'accès aux soins que pour
l'accès aux prestations familiales et à l'aide sociale.
En ce qui concerne tout d'abord les assurances sociales, l'article précité
du Code de sécurité sociale ne subordonne pas l'accès
aux soins des ayants droit de l'assuré social à la production
d'un titre de séjour, mais uniquement à la condition de
résidence habituelle en France. Or, il n'est pas rare
que des caisses primaires exigent un titre de séjour. Ajoutons
à ce propos que certains hôpitaux n'hésitent pas
à adopter la même position. Pourtant, le Directeur de la
Caisse primaire d'assurance maladie de Paris reconnaissait, dans une
lettre du 20 juillet 1983, qu'une attestation sur l'honneur suffisait
à établir le caractère permanent de la résidence,
et le ministre des Affaires sociales précisait qu'en l'absence
d'obligation légale relative à la nature des pièces
à fournir pour prouver la résidence habituelle en France,
les intéressés pouvaient utiliser tout moyen de preuve.
Malgré ces précisions, les pratiques abusives consistant
à exiger un titre de séjour ont continué, et de
très nombreuses femmes étrangères n'ont pu obtenir
la prise en charge de leur grossesse et de leur accouchement, alors
même que le suivi médical de la grossesse est obligatoire,
puisqu'il conditionne la délivrance des certificats médicaux
nécessaires à l'attribution des prestations familiales,
et est particulièrement indispensable pour ces femmes vivant
le plus souvent dans des conditions précaires.
Outre les conséquences médicales sur les femmes et les
enfants, il existe aussi des conséquences administratives et
financières liées à la non-prise en charge des
frais d'hospitalisation de la future mère par la sécurité
sociale. En effet, pour recouvrer la dette, le trésor public
a recours à des saisies-arrêts sur le salaire du mari,
pratique scandaleuse quand on sait que celui-ci a souvent cotisé
pendant des années et que les droits de sa femme sont garantis
par les textes.
L'action du trésor public ne s'arrête pas là, puisque
celui-ci n'hésite pas à informer les préfectures
de la situation ; celles-ci vont alors exiger, tout à fait
illégalement, le remboursement de la dette au moment du renouvellement
du titre de séjour de l'intéressé.
Quant aux ayants droit d'un assuré social relevant de l'assurance
personnelle, ils ne peuvent eux-mêmes en bénéficier
s'ils sont dépourvus de titre de séjour, dans la mesure
où les textes prévoient expressément des conditions
de séjour régulier d'au moins trois mois en France.
Depuis le décret Barzach du 27 avril 1987, les enfants
étrangers ne peuvent ouvrir droit aux prestations familiales
que si leur entrée et leur séjour en France sont réguliers.
Les enfants de plus de 16 ans doivent produire un des titres de
séjour dont la liste est fixée par le décret de
1987, ceux de moins de 16 ans doivent fournir un extrait d'acte
de naissance en France ou un certificat de contrôle médical
délivré par l'OMI à l'issue de la procédure
de regroupement familial. Quant à l'allocataire, il doit
résider en France de façon habituelle et être en
possession d'un titre de séjour. Cette disposition ne s'applique
qu'à celui des parents qui s'est déclaré allocataire
auprès de la Caisse d'allocations familiales au moment de l'ouverture
du dossier. Or, dans la pratique, les CAF demandent de plus en plus
fréquemment le titre de séjour des deux parents.
Quant à la situation des familles des demandeurs d'asile, elle
a été prévue explicitement dans le décret
Barzach : tant que la demande d'asile n'est pas acceptée,
les prestations familiales sont refusées y compris quand des
enfants sont nés en France. Par ailleurs, les CAF excluent également
du bénéfice des prestations familiales les familles des
demandeurs d'asile déboutés mais régularisés
à un autre titre que celui de réfugié, sous prétexte
que le conjoint et les enfants sont entrés en France en dehors
de la procédure du regroupement familial. Les familles d'étudiants
installés régulièrement en France pour la durée
de leurs études, mais entrés en France en dehors du regroupement
familial sont, elles aussi, soumises à ce même régime.
L'exigence de la régularité de l'entrée et du
séjour des enfants ajoutée aux pratiques illégales
des CAF a pour conséquence de priver des centaines de familles
des prestations familiales nécessaires à l'éducation
des enfants, et de l'allocation logement.
Enfin, pour ce qui est de l'aide sociale, la loi du 6 janvier
1986, en transférant la majeure partie de l'aide sociale au département,
a donné lieu à diverses interprétations et à
de nombreux abus. Certains, considérant que la question de l'immigration
reste de la compétence de l'État, ne traitent pas les
dossiers, tandis que d'autres essaient de mettre en place des prestations
sociales réservées aux nationaux (comme avait tenté
de le faire le Conseil de Paris en 1985 en réservant le bénéfice
de l'allocation de congé parental d'éducation aux seuls
nationaux : décision annulée par le tribunal administratif
de Paris, le 19 mars 1986).
D'autre part, des pratiques discriminatoires à l'encontre des
étrangers ont vu le jour en ce qui concerne l'aide médicale
hospitalière et l'aide médicale à domicile. Bien
souvent, la prise en charge est refusée à l'étranger
démuni de titre de séjour alors que le Code de la famille
et de l'aide sociale ne pose comme condition que la résidence
habituelle en France, et qu'un avis du Conseil d'État du 8 janvier
1981 affirme qu'il ne peut être exigé de l'intéressé
qu'il soit titulaire d'un titre de séjour. De plus, la circulaire
Séguin du 8 janvier 1988 sur l'accès aux soins des
plus démunis rappelle ce principe.
Ces différentes pratiques ont pour conséquence d'exclure
de l'aide sociale les personnes les plus démunies, alors même
que son principal objectif est de leur venir en aide, simplement sous
prétexte qu'elles ne sont pas installées régulièrement
en France. Ces pratiques n'épargnent même pas les enfants
puisque, très souvent, l'étranger sans titre de séjour
se trouve privé de l'allocation mensuelle d'aide sociale destinée
à aider les familles, son but étant d'éviter le
placement des enfants dans des établissements et de garantir
leur épanouissement au sein de leur famille. De même, beaucoup
de femmes étrangères en grande détresse, enceintes
ou isolées avec des enfants, se voient refuser l'accueil dans
les structures de l'aide sociale à l'enfance (hôtels, maisons
et centres maternels) au motif qu'elles ne possèdent aucun titre
de séjour (cf. article « Des femmes isolées à la dérive »).
Ajoutons enfin qu'au niveau du RMI, la régularité du
séjour de tous les membres de la famille est exigée.
Toutes ces pratiques sont, de manière flagrante, contraires
aux textes en vigueur. Face à cette situation, il ne faut pas
hésiter à utiliser toutes les voies de recours possibles,
même si les procédures sont longues. Le fait de ne pas
en user a permis que ces pratiques se pérennisent et deviennent
parfois la règle.
Dernière mise à jour :
17-05-2001 12:42.
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