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Plein Droit n° 12, novembre
1990
« Le droit de vivre en
famille »
En attaquant la circulaire du 14 mars 1986 relative
aux conditions de séjour des Algériens en France, le GISTI
espérait obtenir l'annulation des dispositions restrictives qu'il
estimait non conformes à l'accord franco-algérien. Si,
sur le fond, son attente a été en grande partie déçue,
il pourra au moins revendiquer la satisfaction morale d'avoir contribué
à faire progresser la jurisprudence du Conseil d'État
sur un point de droit capital.
Il y a longtemps, bien longtemps déjà c'était
le 22 décembre 1985 le gouvernement français
signait avec le gouvernement algérien un avenant à l'accord
du 27 décembre 1968 relatif aux conditions de séjour
en France des ressortissants algériens. Il y a longtemps, bien
longtemps encore c'était le 14 mars 1986
les deux ministres de l'intérieur et des Affaires sociales signaient
une circulaire relative aux conditions de circulation, d'emploi et de
séjour en France des ressortissants algériens, donnant
le mode d'emploi de l'accord franco-algérien ainsi modifié.
Le GISTI déféra cette circulaire au Conseil d'État,
estimant que sur plusieurs points elle donnait de l'avenant une interprétation
restrictive, défavorable aux intéressés. Le 29 juin
1990 le Conseil d'État a enfin rendu son verdict, donnant raison
pour un tiers au GISTI, pour les deux tiers au gouvernement.
Le recours du GISTI portait essentiellement sur trois points :
- la détermination des bénéficiaires du regroupement
familial ;
- l'opposabilité de la situation de l'emploi aux ressortissants
algériens titulaires d'un certificat de résidence d'un
an exerçant une activité professionnelle salariée ;
- l'opposabilité de la situation de l'emploi aux étudiants
désireux de travailler.
1) Le GISTI estimait en premier lieu que la circulaire contredisait
les termes mêmes de l'accord en réservant le bénéfice
du regroupement familial au conjoint, aux « enfants mineurs
de dix-huit ans », et aux enfants de moins de dix-huit ans
à la charge du ressortissant algérien en vertu d'une décision
de l'autorité judiciaire algérienne, alors que le protocole
annexé à l'avenant précisait : « les
membres de la famille s'entendent du conjoint d'un ressortissant algérien,
de ses enfants mineurs, ainsi que des enfants de moins de dix-huit ans
dont il a juridiquement la charge en vertu d'une décision de
l'autorité judiciaire algérienne ».
Pour le GISTI, il apparaissait clairement que l'expression « enfants
mineurs » devait s'entendre non pas des enfants de moins de
dix-huit ans, mais des enfants mineurs au regard de la législation
algérienne, qui fixe l'âge de la majorité à
19 ans pour les garçons et 21 ans pour les filles.
Cette interprétation était imposée en premier lieu
par la rédaction même du texte, qui utilise l'expression
« enfants mineurs » dans le cas général,
et l'expression « enfants de moins de 18 ans » dans
le cas des enfants dont l'intéressé a juridiquement la
charge. Elle était de surcroît la plus logique, puisque
l'interprétation restrictive aboutissait à empêcher
de venir en France des jeunes dont les parents résident en France
et qui devraient alors rester dans leur pays, où ils sont mineurs,
sans représentant légal.
Tout en reconnaissant la force de cette argumentation, le commissaire
du gouvernement a finalement proposé au Conseil d'État
de ne pas la retenir et d'admettre le bien-fondé de la position
ministérielle. Pour justifier celle-ci, il a fait prévaloir
sur la lettre non ambiguë du texte, la
soi-disant intention des parties, qui était de rapprocher autant
que possible le régime des Algériens du régime
général (qui n'admet le regroupement familial que pour
les enfants de moins de 18 ans). L'argument ne convainc guère,
et on peut faire l'hypothèse que cette solution favorable au
gouvernement a été en grande partie inspirée par
le souci d'atténuer les effets d'un brusque revirement de jurisprudence,
comme on le verra plus loin.
2) Le GISTI contestait également la disposition de la circulaire
selon laquelle l'autorisation de travail serait délivrée
dans les conditions prévues par le code du travail et selon les
instructions applicables aux étrangers relevant du régime
général, en tenant compte par conséquent de la
situation de l'emploi, alors que l'avenant stipulait simplement :
« Les ressortissants algériens désireux d'exercer
une activité professionnelle salariée reçoivent (...)
un certificat de résidence valable un an pour toutes les professions
et toutes les régions, renouvelable et portant la mention "salarié" ;
cette mention constitue l'autorisation de travail exigée par
la législation française ».
À l'appui de sa thèse, le GISTI invoquait d'abord des
arguments de texte : l'assimilation de la mention « salarié »
à l'autorisation de travail n'implique en aucune façon
que la première ne soit apposée que dans les conditions
prévues pour la délivrance de la seconde ; tout au
contraire, si les auteurs de l'avenant avaient entendu soumettre l'apposition
de la mention « salarié » aux conditions
habituelles de délivrance de l'autorisation de travail, ils n'auraient
pas manqué de le préciser. Cette interprétation
s'imposait d'autant plus que ni l'accord de 1968, ni l'avenant de 1985
n'ont abrogé les accords d'Évian, lesquels reconnaissent
aux ressortissants algériens les mêmes droits qu'aux nationaux
français, à l'exception des droits politiques ; il
en résulte que le droit des Algériens à exercer
une profession salariée ne peut être restreint qu'en vertu
d'une disposition explicite des accords bilatéraux conclus entre
la France et l'Algérie, disposition qui en l'espèce n'existe
pas.
Le Conseil d'État n'a pas non plus suivi l'argumentation du
GISTI sur ce point, estimant là encore que l'intention des auteurs
avait été d'aligner le régime des Algériens
sur le régime général.
3) Le GISTI a en revanche obtenu satisfaction sur le troisième
point en litige (ô mânes de Salomon...), qui concernait
les étudiants algériens désireux d'occuper un emploi
salarié à temps partiel ou pendant les périodes
de vacances. La circulaire attaquée déclarait abrogée
une circulaire de 1979 jusque là en vigueur, précisant
que la situation de l'emploi ne leur était pas opposable, et
indiquait que les autorisations provisoires de travail leur seraient
délivrées en tenant compte de la situation de l'emploi.
Dans la mesure où l'avenant ne comportait aucune disposition
relative au travail des étudiants, le Conseil d'État a
estimé que ceux-ci pouvaient continuer à se réclamer
des dispositions des accords d'Évian reconnaissant aux Algériens
les mêmes droits qu'aux Français, et que la circulaire
n'avait donc pu restreindre leur droit au travail.
Succès mitigé, donc, pour le GISTI. Mais la déception
qu'il pourrait en concevoir sera compensée par une vive satisfaction
d'amour propre : car une fois de plus le GISTI concourt à
faire progresser la jurisprudence du Conseil d'État, et pour
la seconde fois son nom se trouvera associé à un « grand
arrêt » que tous les étudiants en droit devront
connaître. La première fois, on s'en souvient, c'était
en 1978, lorsque le Conseil d'État, sur la requête du GISTI,
annula un décret qui interdisait aux membres des familles rejoignantes
l'accès au marché du travail, estimant qu'il portait atteinte
au droit de mener une vie familiale normale proclamé par le Préambule
de 1946, dans lequel il convenait de voir un principe général
du droit applicable aux étrangers au même titre qu'aux
Français.
Cette fois, de façon plus spectaculaire encore, le Conseil d'État
revient sur une jurisprudence plus que centenaire, remontant semble-t-il
à 1823, en vertu de laquelle il s'interdisait d'interpréter
lui-même les dispositions des conventions internationales :
en cas de contestation sur le sens à donner à une de ces
dispositions, il s'en remettait donc à l'interprétation
du ministre des Affaires étrangères. L'inconvénient
d'une telle attitude saute aux yeux : lorsque l'État est
partie au procès et que la solution du litige dépend de
l'interprétation d'un traité, l'État se trouve
être à la fois juge et partie puisqu'il possède
la clé de la solution, le juge ne pouvant que s'incliner. Cet
état de choses est particulièrement choquant lorsque c'est
l'interprétation donnée par l'administration d'une disposition
d'une convention internationale qui constitue l'objet même du
litige, comme c'était précisément le cas en l'espèce.
Par l'arrêt GISTI du 29 juin 1990, le Conseil d'État
reconnaît donc au juge administratif le droit d'interpréter
lui-même les conventions internationales. Comme c'est fréquemment
le cas, il a toutefois cherché à atténuer la portée
de ce revirement de jurisprudence en reconnaissant en l'occurrence le
bien-fondé de la position ministérielle sur deux des points
les plus importants. De sorte que ce nouvel arrêt GISTI aura plus
fait avancer la cause du droit administratif que la cause des Algériens...
Dernière mise à jour :
7-06-2001 21:17.
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