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LSI et prostitution :
Lettre ouverte à Monsieur Jacques Chirac, Président de
la République
Monsieur le Président,
Nous, associations de terrain, quelles que soient nos divergences
d'opinion sur la prostitution, tirons une même sonnette dalarme.
Ensemble, nous avons établi une évaluation de la partie
de la LSI qui concerne les personnes prostituées. Nous en rendons
compte le 15 mars 2005 à l'Assemblée Nationale, deux
ans après sa mise en place. Parce que cette loi persécute
et fragilise plus que jamais les personnes prostituées, nous
demandons dans les meilleurs délais l'abrogation des articles
de la LSI qui portent sur la prostitution.
Cela répond, ad minima, à la promesse établie
par Nicolas Sarkozy. En effet, lors de la mise en application de la
LSI, il sest engagé à une évaluation de la
loi à deux ans au regard de ses résultats. Nous vous proposons
aujourdhui un bilan qualitatif et de terrain, qui met en valeur
la parole trop souvent oubliée des professionnels du travail
social comme des personnes prostituées. Nous portons aujourdhui
à votre connaissance cette évaluation.
Le 18 mars 2003, est publiée au Journal Officiel de la République
française la Loi pour la Sécurité Intérieure
(LSI) dont plusieurs articles portent sur la prostitution. A lobjectif
général de cette loi de « sécurité
et de tranquillité publiques », ces articles ajoutent
un objectif spécifique de lutte contre le proxénétisme
et les infractions qui en résultent.!Mais pour atteindre les
proxénètes, la loi qualifie de délinquantes les
personnes prostituées de rue dans leur ensemble. Les principales
mesures sont : rétablissement de la sanction du racolage public,
désormais passible de 2 mois de prison et de 3750 Euros d'amende ;
retrait de la carte de séjour provisoire pour les étranger-es ;
sanctions du client de mineur-es prostituées élargies
aux personnes vulnérables ; interdiction de location de véhicule
aux individu-es qui se prostituent.
Si nous nous adressons à vous aujourdhui, Monsieur le
Président, cest que nous, associations signataires, avons
pu constater les conséquences désastreuses de ces mesures.
Ces dernières nont pas contribué à la lutte
contre le proxénétisme et elles sont loin de garantir
la tranquillité et la sécurité publique. Dans certaines
rues, dans certains quartiers, la prostitution est devenue invisible
mais elle na pas diminué : elle sexerce aujourdhui
dans un contexte beaucoup plus inquiétant, tant en termes de
sécurité quen termes de santé publique. La
discrimination qu'induit la Loi réduit les possibilités,
pour les personnes prostituées, de négocier systématiquement
l'usage de préservatifs avec leurs clients.
1°) La prostitution sest déplacée :
A Toulouse, à Nice, à Melun, à Fontainebleau, de
nouvelles personnes prostituées ont fait leur apparition, dans
des quartiers traditionnels, mais plus souvent sur de nouveaux territoires,
aux confins des villes, dans les friches industrielles, dans les bois,
en bordure de champs, dans les parkings, les caves, etc. Cette prostitution
séloigne de plus en plus des centres villes et des commissariats.
Loin de tout secours en cas d'agression.
2°) La loi est appliquée de façon inégale
selon les sites, selon les appartenances des personnes qui se prostituent,
selon les pressions des riverains. Le décalage entre le nombre
élevé des interpellations (7500 en novembre 2004) et plusieurs
centaines de condamnations judiciaires témoigne du pouvoir discrétionnaire
de la police. Cette latitude donnée aux forces de police aboutit
à des abus de pouvoir : arrestations brutales, menaces et injures
racistes, maltraitances physiques, infractions graves lors de garde
à vue ont été constatées sur le terrain
par différentes associations. L'arbitraire dans l'application
de la loi est contraire aux principes démocratiques.
3°) Insécurité, augmentation de la précarité,
accroissement de la violence : ce sont les conséquences dune
vie plus clandestine. Dans certains départements, cette aggravation
concerne toutes les formes de prostitution. Elle peut aussi s'appesantir
sur les travestis Porte Dauphine à Paris, les femmes africaines
et les « traditionnelles » en camionnettes à
Vincennes. De façon générale, elle caractérise
le plus souvent des étrangères. Lobjectif des mesures
spécifiques était, selon Nicolas Sarkozy, de « permettre
[aux personnes prostituées] de retrouver une vie normale
dans leur famille ». Or, c'est tout le contraire. Les
expulsions des personnes prostituées étrangères
se sont multipliées sans que soit assurée leur sécurité.
La loi est devenue un moyen supplémentaire de lutte contre limmigration,
mais certainement pas contre le trafic, à l'inverse des prétentions
du législateur.
Quel que soit leur nationalité ou leur sexe, la répression
policière a aggravé les conditions de vie des personnes
prostituées de rue. Leur isolement les met à la merci
du premier venu.
4°) La loi na pas abouti à une répression
accrue du proxénétisme, mais sest principalement
portée sur les personnes prostituées. La précarisation
a renforcé les réponses mafieuses tandis que la multiplication
des expulsions ont fait grimper les prix des trafiquants. Des associations
ont pu constater que certaines femmes, notamment issues des pays de
lEst, ont été contraintes de payer à nouveau
des passeurs et des placeurs, alors qu'elles s'étaient précédemment
affranchies de toute dépendance financière à leur
égard. Cest une illusion de croire quen inversant
la charge de culpabilité, donc en réprimant la victime,
on atteint les réseaux de proxénétisme.
Les nouvelles incriminations sont une atteinte grave à la dignité
des personnes quelles prétendent protéger. Elles
transforment de fait la France en un des pays les plus répressifs
dEurope.
Ce sont ces constats que font aujourd'hui de façon unanime les
associations qui interviennent sur le terrain auprès des personnes
prostituées et ce, quelles que soient leurs différences
danalyse de la prostitution.
Nous vous demandons, Monsieur le Président, d'honorer les engagements
pris par votre gouvernement. L'abrogation des articles de la LSI qui
portent sur la prostitution s'impose.
Paris, le 8 mars 2005
Premières associations signataires : Act Up-Paris, Aides
Ile-de-France, ALC Nice, Les amis du bus des femmes (Paris), Arcat sida,
Autres Regards (Marseille), Cabiria (Lyon), La Cimade, Femmes Publiques
(Paris), GISTI, GPAL Entractes (Lille), Grisélidis (Toulouse),
l'IAF (Fédération Abolitionniste Internationale), Metanoya
(Nantes).
Signatures ouvertes à toute association :
femmespubliques[arobase]ifrance.com
Cette lettre ouverte au format
A4
(pdf, 52ko)
Dernière mise à jour :
16-03-2005 18:01
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Cette page : https://www.gisti.org/doc/actions/2005/lsi/index.html
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