Lecture
critique de la lettre
du ministre de l'intérieur
Les propos
tenus par M. Sarkozy, dans son courrier du 20 juin 2003, ont vocation
à conforter nos inquiétudes. Mais avant même de
développer plus avant quelques éléments d'analyse,
on peut s'étonner de la méthode consistant à
demander au Gisti de jouer les facteurs et laissant supposer que les
associations se sont engagées tête baissée, sans
avoir réfléchi au sens de leur signature.
Contrairement à ce qui est indiqué dans la lettre, il
est faux de dire que le projet de loi du gouvernement sur la maîtrise
de l'immigration n'aggrave pas les sanctions prévues en cas
d'aide à l'entrée et/ou au séjour irrégulier.
Comme le ministre le fait d'ailleurs lui-même observer, ce projet
ajoute, au titre des peines complémentaires encourues tant
par les personnes morales que par les personnes physiques, la confiscation
des biens meubles et immeubles. Comment prétendre qu'une telle
peine, sans lien avec l'infraction commise a priori puisque le texte
proposé ne l'impose pas, soit adaptée à la nature
du délit ? Elle le serait, selon le ministre de l'intérieur,
au motif que cette peine ne s'applique que dans l'hypothèse
où l'infraction a été commise en « bande
organisée ».
Encore faudrait-il
pour calmer nos inquiétudes savoir ce que signifie cette formule
aux contours plus qu'incertains, dont use et abuse le législateur
ces derniers temps.
Mais ce n'est
sans doute pas ce qui est le plus inquiétant dans ce courrier.
Le ministre indique surtout que « les personnes physiques
et les associations qui apportent un soutien désintéressé
aux étrangers font l'objet d'une grande tolérance de
la part des services de police ». Plus loin, il parle
de « bienveillance habituelle » des mêmes
services pour expliquer que dans les affaires récentes - celles
de Calais et d'Emmaüs -, les personnes concernées
ont « abusé » de cette bienveillance.
Comment accepter
qu'une politique pénale, dans un Etat de droit, dépende
de la bienveillance et de la tolérance de l'administration,
plus précisément du pouvoir exécutif ? Au contraire,
il appartient au législateur de définir strictement
les éléments constitutifs de l'infraction et donc d'indiquer
quels sont les comportements qui tombent sous le coup de la loi pénale.
Si le gouvernement
n'entend pas inquiéter ceux et celles qui aident des étrangers
en détresse, il lui serait loisible d'indiquer dans la loi
que seuls peuvent être poursuivis les groupements qui agissent
dans un but lucratif... Mais ce gouvernement, comme les précédents
d'ailleurs, préfèrent rester dans le vague et conserver
cet instrument de pression sur les associations.
Contrairement
à ce qu'affirme le ministre, les affaires récentes montrent
que cette menace peut devenir réalité et que nous ne
sommes pas à l'abri de poursuites pénales. Elles révèlent
indiscutablement un changement de cap. Comment de surcroît faire
confiance à ce même ministre alors même qu'il n'a
pas cessé de décrier le rôle des associations
accusées de détourner la loi ou d'inciter les étrangers
à le faire ?
On notera en outre que le ministre de l'intérieur a une manière
bien originale de concevoir le partage des compétences pour
la mise en oeuvre de l'article 21 de l'ordonnance du 2 novembre 1945
: « je n'ai nullement l'intention de poursuivre celui
de nos compatriotes... » (l'emploi du terme de « compatriotes »
signifie-t-il au passage que les étrangers qui tendent la main
à celui qui est en situation de détresse ne bénéficieront
pas de la même clémence ?). Jusqu'à nouvel ordre,
il incombe au ministère public de décider seul des poursuites
pénales et à la chancellerie de fixer les grands axes
de la politique pénale générale, et non au ministre
de l'intérieur.
Selon M. Sarkozy,
« jamais dans le passé l'État s'est autant
préoccupé des conditions humanitaires de sa politique
de maîtrise des flux migratoires ». Il va même
jusqu'à prendre Sangatte en exemple. Il lui suffirait pourtant
de se rendre à Calais ou encore dans les alentours de la gare
du Nord pour comprendre que les problèmes qu'il prétend
avoir réglés en fermant Sangatte n'ont en rien disparu.
La population qui trouvait abri dans ce camp est seulement moins visible
aujourd'hui, puisque dispersée sur le territoire.
En tout état
de cause, faut-il le rappeler, l'humanitaire ne saurait remplacer
le respect des textes nationaux et internationaux. Et sur le sujet,
il y aurait bien des choses à redire.
Dans un ultime
paragraphe, le ministre frise le ridicule en indiquant qu'en appelant
nos « compatriotes à se faire délinquants
de la solidarité », nous les invitons en réalité
à organiser des filières criminelles d'immigration,
à mettre en danger la vie des clandestins et à les exploiter
dans toutes les dimensions de leur existence. Ce type de propos montre
bien, s'il était encore besoin de le faire, comment le ministre
perçoit le rôle et les missions des associations. Elles
doivent d'abord se taire, et s'en tenir à une approche humanitaire
strictement encadrée par le gouvernement.
Enfin, et
au-delà de ce manifeste pour la solidarité, c'est l'ensemble
du projet de loi sur la maîtrise de l'immigration que nous entendons
dénoncer. Son esprit est entièrement tourné vers
la suspicion à l'égard des étrangers nécessairement
fraudeurs et prompts à détourner la loi au point de
précariser leur situation administrative pour mieux les surveiller.
Ce manifeste est ainsi l'occasion pour les associations et les citoyens
d'exprimer qu'ils ne se reconnaissent pas dans cette vision des étrangers
et plus largement dans la politique de « désintégration »
que nous propose le gouvernement.
Paris, le
26 juin 2003
Signataires
:
Act Up-Paris, Droits Devant !!, FASTI (fédération
des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés),
France Libertés, Gisti (groupe d'information
et de soutien des immigrés), Ligue des droits de l'homme,
MRAP (mouvement contre le racisme et pour l'amitié
entre le peuples), SUD Éducation
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la pétition à titre individuel
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les signatures individuelles
Texte de la pétition
(version
téléchargeable)
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la pétition au nom d'une organisation ou d'un collectif
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et collectifs signataires
De M. Sarkozy aux signataires
Manifestation
Dernière mise à jour :
21-08-2003 17:36
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