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ACTION COLLECTIVE

Lettre à la Convention européenne

 

04/04/2003 — La Convention européenne prépare activement le texte de la future constitution européenne. Le projet de chapitre qui concerne les questions « Justice et Affaires intérieures »- celles qui recouvrent l'immigration et l'asile - a été rendu public le 14 mars.

Plusieurs organisations britanniques, néerlandaises, belges et le Gisti ont adressé au président de la Convention un courrier lui faisant part de leurs préoccupations concernant certains points des dispositions contenues dans ce chapitre.


Mr Valéry GISCARD d'ESTAING
President of the European Convention
Justus Lipsius Building
175, rue de la Loi
1048 Brussels
Belgium

28 March 2003


Monsieur,

Chapitre proposé pour la Justice
et les Affaires Intérieures - Chapitre X

Nous, soussignés, souhaitons vous transmettre nos commentaires à l'égard du chapitre pour la Justice et les Affaires Intérieures que vous avez publié la semaine dernière et qui sera débattu lors de la session plénière des 3 et 4 avril prochains.

Notre groupe d'organisations non-gouvernementales comprend des spécialistes du droit de 4 Etats Membres - Belgique, France, Pays-Bas et Royaume-Uni - ainsi que sept organisations présentes dans chaque Etat Membre. Toutes nos organisations travaillent sur les questions de l'asile et de l'immigration.

Nous aimerions tout d'abord saluer votre décision d'inclure des principes essentiels des droits de l'homme dans la Convention. L'incorporation de la Charte des Droits Fondamentaux est, à notre sens, essentielle à la légitimation de la Convention. Elle représente un contrepoids fondamental vis-à-vis d'une série de mesures proposées au titre du Chapitre X et qui seraient inacceptables sans l'assurance d'une protection contraignante et justiciable des droits fondamentaux à un niveau européen. Nous souhaitons également saluer votre proposition d'étendre la juridiction de la Cour de Justice à l'ensemble des questions portant sur la Justice et les Affaires Intérieures afin qu'il n'existe plus qu'un seul système de recours judiciaires et non plus une construction à géométrie variable en fonction des domaines concernés. La règle de droit, élément incontournable dans ce domaine, a trop souvent été sacrifiée avec légèreté par le passé. Nous accueillons donc chaleureusement cette rectification.

Nous souhaitons par ailleurs attirer votre attention sur 7 points précis, objets de sérieuses préoccupations. Nous vous présentons ici les grandes lignes de notre réflexion, que certains d'entre nous compléteront par la suite en vous soumettant en temps voulu des propositions détaillées de changements des textes.

  1. La suprématie de la Convention de Genève sur le statut des réfugiés et son Protocole Additionnel de 1967: à notre avis, l'article 11 ne fait pas référence à cette Convention de façon assez forte. La protection des réfugiés doit apparaître comme un principe fondamental de ce chapitre, qui traite de l'asile et de l'immigration mais touche également au principe de l'extradition et au droit pénal.

    Par ailleurs, la terminologie utilisée prête à confusion du fait de l'emploi du terme "asile" pour le terme "statut de réfugié". Le mot "asile" désigne l'ensemble des droits, bénéfices et obligations qui découlent de la reconnaissance d'une personne comme réfugié, bénéficiaire de la protection subsidiaire ou (en cas d'arrivée massive) de la protection temporaire. Il s'agit donc d'un concept large, qui englobe l'ensemble des différentes formes de protection internationale.

    N ous estimons également que la Convention doit inclure expressément l'obligation sous la Convention de Genève d'accorder l'accès au territoire et d'effectuer la détermination des demandes d'asile sur ce territoire pour les demandeurs d'asile parvenant dans l'Union.

  2. La position des Parlements nationaux et l'exercice d'un contrôle : l'article 31(2) limite de façon inacceptable le rôle des Parlements nationaux dans le processus de discussion et d'adoption de mesures dans ce domaine. Les Parlements doivent être partie prenante de ces processus et pouvoir obtenir toute information nécessaire. Le respect des droits de l'homme dans la législation doit être le critère premier des contrôles effectués, et prévaloir sur les soucis d'efficacité. Ce domaine a trop longtemps souffert de la domination du critère d'efficacité, occultant l'impact négatif de nombreuses mesures sur l'engagement des Etats Membres envers les réfugiés et les migrants.

  3. Notre seconde préoccupation découle de la première : les deux institutions d'ores et déjà existantes et chargées de protéger les droits fondamentaux à l'échelle européenne ne sont aucunement mentionnées dans ce chapitre. Nous souhaitons insister sur la nécessité que figurent dans ce chapitre aussi bien le Contrôleur Européen de la Protection des Données et l'Autorité de Contrôle Commune, chargés de la protection des données personnelles contre toute utilisation illégale, que le détail des pouvoirs du Médiateur européen, notamment en matière d'enquête sur les processus de prise de décisions et leurs applications. Ces pouvoirs devraient être étendus à l'examen des plaintes concernant les implications en matière de droits de l'homme des décisions des organes européens ainsi qu'à la mise en œuvre des décisions européennes au niveau national, en collaboration avec les médiateurs nationaux.

  4. Traitement égal des ressortissants d'Etats Tiers: l'article 12 fait référence au statut des ressortissants d'Etats tiers résidant légalement dans l'Union. Cependant, l'engagement pris en 1999, lors du premier sommet Justice et Affaires Intérieures à Tampere, de parvenir à un traitement égal des ressortissants d'Etats Tiers résidant légalement dans l'Union avec les citoyens de l'Union, n'est pas réaffirmé. Il nous semble indispensable de remédier à cet oubli.

  5. Le Comité Stratégique : l'article 5 prévoit de doter un Comité Stratégique d'une série de pouvoirs, opérationnels et autres,. Nous considérons inacceptable d'envisager l'attribution de pouvoirs autres qu'opérationnels à un tel Comité. Aucun pouvoir de décision ne peut être confié à une telle structure, et à plus forte raison dans le domaine qui nous intéresse. Une telle décision irait à l'encontre du principe de responsabilité et de la règle de droit. Par ailleurs, le Parlement Européen devrait être partie prenante de ce processus et pouvoir être informé de façon complète, notamment afin d'assurer le respect des principes de responsabilité et de transparence lors de l'exercice par le Comité Stratégique de ses pouvoirs opérationnels (ou autres). De même, les citoyens de l'Union ont le droit d'être informés grâce à la publication systématique de l'intégralité des notes des débats et des rapports établis par ce Comité.

    De façon générale, il nous semble important d'indiquer explicitement que l'ensemble des comités, agences et organes établis par l'Union et dotés de pouvoirs d'action dans des domaines particuliers sont soumis aux mêmes règles de transparence et de responsabilité que l'ensemble des organes et institutions de l'Union (notamment en ce qui concerne l'accès à l'information et le recours judiciaire).

  6. Evaluation : l'article 4 propose de mettre en place un système d'évaluation. Nous réitérons les commentaires présentés dans notre deuxième point à l'égard de cet article. L'évaluation doit être menée de façon indépendante et ne peut être entreprise par un Etat Membre. Une évaluation objective et impartiale doit passer par la consultation d'experts indépendants en matière de droits de l'homme et de systèmes juridiques nationaux, une participation active des Parlementaires européens et nationaux, et pourrait inclure un "examen par les pairs" à travers des rapports soumis par des groupes d'experts, eux-mêmes constitués d'experts des différents Etats Membres. Une telle évaluation pourrait être coordonnée par la Commission ou par un organe externe indépendant.

  7. Accords de réadmission: l'article 12(3) mentionne le pouvoir spécifique de conclure des accords de réadmission. Nous nous interrogeons sur le caractère approprié d'une telle clause, accordant un pouvoir spécifique au sein d'un document constitutionnel. Par ailleurs - et cela est encore plus important à nos yeux - , nous souhaitons exprimer de sérieux doutes quant aux mécanismes opérant à l'heure actuelle sur ce terrain lors de la négociation et de la conclusion d'accords de réadmission par l'Union Européenne. Au lieu d'exporter une protection des droits de l'homme renforcée et de permettre l'élévation des standards de traitement des individus, nous constatons que ces accords placent les Etats Tiers face à une alternative exécrable consistant soit à violer ces accords, soit à risquer de violer leurs obligations de respect des droits de l'homme, et en particulier le devoir de tout Etat d'autoriser leurs citoyens (et d'autres personnes) de quitter leur territoire.

    Par ailleurs, la stratégie de la carotte et du bâton maniée par l'UE, et consistant à lier aide et accords de commerce de l'Union à ces manquements par les Etats Tiers envers leurs obligations internationales, est tout à fait inadéquate. La décision d'accorder des concessions commerciales et de l'aide ne devrait pas être liée par certains Etats Membres à la réalisation de certains objectifs en matière de politique migratoire. Toute provision portant sur ces accords de réadmission, si elle devait figurer dans la Convention, se doit purement et simplement de promouvoir la protection des droits de l'homme et ne peut en aucun cas exporter des valeurs négatives. De façon plus générale, nous nous sentons extrêmement préoccupés par l'impact des mesures européennes en matière d'asile et d'immigration sur les pays tiers. Une tendance semble se dessiner chez certains Etats Membres de l'UE. Transférée au niveau européen, elle néglige les intérêts légitimes des Etats tiers dans ces domaines. Nous recommandons d'inclure une clause spécifique sur les droits de l'homme et les implications extérieures des activités de l'UE dans les domaines de l'immigration et de l'asile.


Voici nos commentaires initiaux et nos demandes envers votre texte. Nous n'avons abordé que les questions ayant trait à l'asile et l'immigration dans la mesure où il s'agit là des domaines d'expertise communs aux signataires de cette lettre. Des commentaires complémentaires et des propositions seront faites ultérieurement par certains d'entre nous en temps voulu.

Dans l'espoir d'initier un dialogue fructueux sur cette partie extrêmement importante de la Convention, nous vous prions de bien vouloir agréer monsieur, l'expression de nos sincères salutations.

 

Amnesty international (EU Office)

ECRE (European Council on Refugees and Exiles)

GISTI

ILPA (Immigration Law Practitioners' Association)

Justice

Standing Committee of Experts
on International Immigration Refugee and Criminal Law

Statewatch


Vous pouvez téléchargez des versions imprimables de cette lettre en français ou en anglais.

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Dernière mise à jour : 18-04-2003 19:25 .
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/actions/2003/convention/index.html


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