ANAFÉ
Association nationale d'assistance aux frontières
pour les étrangers
Lettre ouverte
à Dominique Versini
sur les mineurs étrangers isolés
Madame Dominique Versini
Secrétariat d'Etat à la lutte
contre la précarité et l'exclusion
7, rue Saint Georges
75009 Paris
Paris, le 31 juillet 2003
Madame la Secrétaire d'État,
Nous avons pris connaissance du rapport sur les mineurs étrangers
isolés qui vous a été remis par le préfet
de la région Ile-de-France. Ce rapport propose plusieurs modifications
législatives ou réglementaires à propos de ceux
qui sont maintenus en zone d'attente, dans l'espoir d'être admis
sur le territoire français.
Nous tenons à vous faire part de nos remarques à propos
d'un certain nombre d'entre elles, qui tendent manifestement à
restreindre les droits pourtant fondamentaux de ces mineurs.
Tout d'abord, ce rapport propose de doubler la durée du maintien
en zone d'attente des mineurs isolés par rapport à celle
qui est prévue pour les étrangers majeurs, passant ainsi
de vingt à quarante jours. L'objectif affiché de cette
mesure est de permettre à une « cellule interministérielle »
d'évaluer la situation de l'enfant et de rechercher sa famille
afin d'organiser son rapatriement.
Mais la mise en place d'un tel dispositif introduirait un traitement
discriminatoire des étrangers maintenus en zone d'attente en
fonction de leur âge, d'autant plus inacceptable qu'il serait
appliqué au détriment des mineurs.
Elle constituerait un véritable détournement de l'article
35 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945. En effet le
législateur a entendu limiter le maintien en zone d'attente,
dans la mesure où il constitue une mesure de privation de liberté,
« pendant le temps strictement nécessaire »
au départ de l'étranger non-admis ou, s'il est demandeur
d'asile, « à un examen tendant à déterminer
si sa demande n'est pas manifestement infondée ».
Il nous semble totalement disproportionné de priver de liberté
une personne, qui plus est mineure, dans le seul but de ménager
suffisamment de temps à l'administration pour retrouver sa famille.
Une telle disposition contreviendrait également à coup
sûr à l'article 37 b de la convention internationale sur
les droits de l'enfants, selon lequel « la détention
ou l'emprisonnement d'un enfant doit être en conformité
avec la loi, n'être qu'une mesure de dernier ressort, et être
d'une durée aussi brève que possible ».
Le Comité pour les droits de l'enfant de l'ONU a de surcroît
précisé que ces dispositions limitant la privation de
liberté s'appliquent à toutes les formes de privation,
y compris dans les « établissements de santé
ou de protection de l'enfance, aux enfants demandeurs d'asile et aux
jeunes réfugiés ».
Outre sa légalité contestable, une telle mesure nous
semble aussi aller à l'encontre des buts poursuivis, notamment
celui de la protection de l'enfance :
- l'évaluation de la situation d'un enfant et la recherche
de sa famille passe immanquablement par une période de mise
en confiance pour obtenir sa collaboration. Il existe dans les foyers
de la protection de l'enfance des dizaines d'exemple de mineurs isolés
qui n'ont pu articuler un seul mot à propos de leur histoire
personnelle avant plusieurs mois. Peut-on sérieusement imaginer
qu'un mineur étranger placé en zone d'attente et menacé
d'un renvoi à tout moment vers son pays d'origine ou tiers
acceptera de collaborer en indiquant notamment son identité
et le lieu où réside sa famille ?
- Il est par ailleurs prétendu que la mise en place d'un tel
dispositif constituerait « un message très fort
vis-à-vis des pays d'origine et des réseaux mafieux ».
Nous pensons bien au contraire que l'unique signal donné aux
trafiquants sera que leur « marchandise » ne
leur sera pas « confisquée » à
la frontière et qu'ils pourront la récupérer
dans les plus brefs délais. Ils continueront ainsi a avoir
l'assurance que les mineurs tombés sous leur coupe leur seront
renvoyés, après leur passage en zone d'attente, en cas
d'interpellation par la police aux frontières. Il suffira alors
aux trafiquants de tenter de les faire passer une autre fois, en France
ou dans un autre pays européen et la lutte contre ce fléau,
dont nous convenons tous qu'elle est impérative, se sera alors
avérée inefficace.
Nous estimons pour notre part que les mineurs étrangers qui
se présentent seuls à nos frontières doivent être
admis systématiquement sur le territoire afin qu'ils puissent
accéder au dispositif de protection de l'enfance. Il s'agit là
non seulement d'un préalable indispensable à la mise en
confiance de l'enfant mais aussi de la seule mesure susceptible de faire
échec aux réseaux de traite des êtres humains.
Les propositions figurant sous le titre « Limiter les
entrées sur le territoire de mineurs dépourvus de titre »
révèlent par ailleurs une conception pour le moins inquiétante
de l'Etat de droit. On y lit que face à « des jurisprudences
très variées » et « afin
d'éviter les multiples inconvénients de cette situation »,
il faut « envisager que l'appel formé par le préfet
d'une décision de non reconduction du placement en zone d'attente
ait un caractère suspensif ». Un peu plus loin,
les irrégularités relevées par les juges sont considérées,
pour la plupart, comme ne pouvant « raisonnablement être
regardées comme substantielles » ou « port[er]
une atteinte grave » aux droits des étrangers.
En conséquence, il est proposé « de préciser
les phases de la procédure dont l'inobservation entraînerait
une nullité ».
L'intervention du juge, pourtant dictée par notre Constitution,
est ainsi systématiquement analysée comme un obstacle
à éliminer, le seul remède proposé étant
de limiter les droits et les garanties accordées aux étrangers
qui sont pourtant reconnus comme étant fondamentaux et dont le
respect est d'autant plus nécessaire lorsqu'il s'agit de mineurs
isolés particulièrement démunis et vulnérables.
Nous tenons enfin à contester vivement les arguments avancés
dans ce rapport qui semblent destinés à écarter
de la fonction d'administrateur ad hoc prévue par le loi
du 4 mars 2002, d'ailleurs toujours pas concrétisée
par le décret annoncé par le législateur, « une
association ou des membres d'une association habilitée »
à pénétrer en zone d'attente. L'Anafé fait
partie, comme le savez, de ces associations habilitées. Il n'est
en effet pas acceptable de lire « que ces associations
conseillent et incitent, voire même, dans certain cas, se substituent
aux étrangers placés en zone d'attente [
] pour engager
des procédures manifestement dilatoires afin de pénétrer
sans titre sur le territoire ».
Ces allégations sont totalement mensongères et jettent
à l'évidence le discrédit sur le travail accompli
par les associations ayant un accès, même limité,
en zone d'attente et de ce fait, une légitimité à
agir et témoigner de la réalité constatée
sur le terrain.
Est-il nécessaire de vous rappeler que l'Anafé, comme
les autres associations de défense des étrangers, est
parfaitement fondée à prétendre à la fonction
d'administrateur ad hoc ? Il ressort en effet des débats
parlementaires préalables à l'adoption de la loi du 4
mars 2002 que le principe de la faculté pour les personnes morales
d'être désignées comme administrateur ad hoc a été
formellement retenu à la suite d'un amendement parlementaire
exposé selon les termes suivants : « Il convient
de permettre la désignation par le procureur de la République
d'associations dont l'objet social est la protection des étrangers
pour assurer la mission d'administrateur ad hoc auprès d'un mineur
isolé » (F. Colcombet, AN 11/12/2001).
Tels sont les éléments de ce rapport qui suscitent auprès
de nous de graves inquiétudes et dont nous souhaiterions nous
entretenir davantage avec vous.
Vous remerciant par avance de la meilleure attention que vous accepterez
d'y prêter, nous vous prions de croire, Madame la Secrétaire
d'Etat, l'expression de nos salutations distinguées.
Hélène GACON
Présidente de l'Anafé
L'Anafé regoupe :
Association d'accueil aux médecins et personnels
de santé réfugiés en France ; Amnesty international
section française ; Association des juristes pour la reconnaissance
des droits fondamentaux des immigrés ; Avocats pour la défense
du droit des étrangers ; Cimade (service
cuménique d'entraide) ; Comède (Comité
médical pour les exilés) ; FASTI (Fédération
des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés) ;
Fédération générale des transports et de
l'équipement - CFDT ; SUD-Rail (fédération
des syndicats de travailleurs du rail solidaires, unitaires et démocratiques) ;
Forum réfugiés ; France terre d'asile ; Groupe
d'accueil et solidarité ; GISTI (Groupe
d'information et de soutien des immigrés) ; ligue
française pour la défense des droits de l'homme et du
citoyen ; Migrations santé ; MRAP (Mouvement
contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples) ;
Syndicat des avocats de France ; Syndicat de la magistrature ;
Syndicat CFDT des personnels assurant un service air-france ; Syndicat
CFDT des personnels assurant un service aéroport de Paris ;
Syndicat des pilotes de l'aviation civile.
Voir aussi :
Dernière mise à jour :
21-08-2003 17:53
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