|
|
ACTIONS COLLECTIVES
Lettre
ouverte aux députés
sur l'aide médicale État (AME)
Paris, le 2 décembre 2003
Madame, Monsieur,
Les 3 et 4 décembre prochains, vont être soumises à
votre approbation, des dispositions non fiscales du projet de loi de
finances rectificative pour 2003. Nous souhaitons tout particulièrement
attirer votre attention sur l'article 49 de ce projet qui signe l'arrêt
de mort de l'Aide Médicale État (AME), dispositif de prise
en charge des soins des populations très pauvres en situation
irrégulière en France.
Nous vous soumettons 3 documents qui, nous l'espérons,
vous éclaireront sur les enjeux de cette réforme en terme
de santé publique et de respect de l'état de droit.
Restant à votre disposition pour tout complément d'information,
nous vous prions de recevoir, Madame, Monsieur nos salutations distinguées,
Le Comede et le Gisti
L'Aide Médicale d'Etat est un système de prise en charge
des soins des personnes :
-
qui disposent de très faibles ressources (moins de 566 €
mensuels) ;
-
qui résident en France ;
-
qui n'ont pas ou plus de titre de séjour.
(article L. 251-1 du code de l'action sociale et des familles)
L'AME prend en charge, sans avance des frais l'ensemble
des soins et prescriptions sur la base d'un 100% sécurité
sociale. Les lunettes et les prothèses dentaires ne sont donc
pas prises en charge au contraire de la complémentaire CMU (mutuelle
de service public gratuite pour les personnes démunies résidant
régulièrement).
150 000 personnes en situation de précarité
bénéficient aujourd'hui de cette aide, qui représente
moins de 0.5 % des dépenses de santé et permet, en dispensant
des soins au bon moment, d'économiser des traitements beaucoup
plus coûteux.
· un ticket modérateur pour dissuader des personnes démunies
de se soigner
Avec la loi de finances rectificative pour 2002 votée en décembre
2002, le principe avait déjà été acquis
d'introduire un ticket modérateur sous couvert de responsabiliser
les bénéficiaires -principalement des étrangers
en situation irrégulière. Ce véritable ticket d'exclusion
pour des personnes dont les ressources sont telles (566 € mensuels
pour une personne seule) que l'accès aux soins deviendrait impossible
n'a pas encore été mis en place : la mobilisations associative
et syndicale a un temps suspendu ce projet
mais aujourd'hui, un
décret d'application serait en préparation au Conseil
d'Etat.
· des contrôles exagérément renforcés
pour l'obtention de l'AME
Lors de sa présentation du projet de loi de finances 2004, le
gouvernement a également réitéré l'intention
qu'il avait formulée dès mai 2003, de verrouiller l'accès
à l'AME en opposant des conditions draconiennes par voie de circulaire.
Il s'agirait, par exemple, d'exiger la production de documents officiels
(et non de déclaration sur l'honneur, comme c'est le cas jusqu'à
présent) de la part de demandeurs en très grande précarité.
· Enfin, le nouveau projet de loi de finances rectificative
pour 2003 qui vous est soumis pourrait parachever la remise en cause
de l'AME et de l'accès aux soins, avec notamment :
-
la suppression du dispositif de l' " admission immédiate
" à l'AME, ce qui équivaudrait à écarter
des soins tous ceux qui seront rejetés par les nouvelles
conditions draconiennes d'accès à l'AME et/ou à
retarder les soins et ainsi à aggraver les pathologies tout
en alourdissant leur coût in fine ;
-
l'exigence d'une présence ininterrompue en France de 3
mois avant de pouvoir demander l'AME ;
-
la limitation des soins médicaux pris en charge en urgence
aux seules situations qui mettent en jeu le pronostic vital immédiat,
et ce uniquement à l'hôpital.
Projet de loi de finance rectificatif 2003 - Dispositions non fiscales
" Article 49 : Réforme de l'Aide Médicale
de l'Etat (AME)
Le code de l'action sociale et des familles est ainsi modifié :
I -Au premier alinéa de l'article L. 251-1, les mots :
« sans remplir les conditions fixées par »
sont remplacés par les mots : « de manière
ininterrompue depuis plus de trois mois, sans remplir la condition
de régularité mentionnée à ».
II. -a) Au titre V du livre II, il est inséré un chapitre
IV ainsi rédigé Cf. Chapitre IV -Prise en charge des
soins urgents
Art. L. 254-1. -Les soins urgents dont l'absence mettrait en jeu
le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération
grave et durable de l'état de santé de la personne
ou d'un enfant à naître et qui sont dispensés
par les établissements de santé à ceux des
étrangers résidant en France sans remplir la condition
de régularité mentionnée à l'article
L. 380-1 du code de la sécurité sociale et qui ne
sont pas bénéficiaires de l'Aide Médicale de
l'État en application de l'article L. 251-1 sont pris en
charge dans les conditions prévues à l'article L 251-2.
Une dotation forfaitaire est versée à ce titre par
l'État à la caisse nationale de l'assurance maladie
des travailleurs salariés. »
b) Le dernier alinéa de 1'article L. 252-3 est supprimé.
III. Il est ajouté à l'article L. 253-2 un dernier
alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu'une provision a été versée
à un établissement de santé pour couvrir des
frais de soins et de séjour ou qu'un engagement de versement
a été souscrit, la partie des frais correspondant
à la provision ou à l'engagement reste à la
charge des bénéficiaires. »
Ces attaques accumulées contre l'AME placent la France en violation
des engagements qu'elles a souscrits dans sa Constitution et dans des
textes internationaux. Nous appelons donc l'ensemble des parlementaires
à la plus grande vigilance afin de faire obstacle à cette
réforme, attentatoire aux droits fondamentaux des personnes en
situation précaire.
Les mauvais coups portés actuellement à l'AME menacent
l'accès aux soins des populations concernées et, à
court terme, l'existence même de l'AME : la première partie
de ce document recense les droits qui seraient violés si une
telle disparition se confirmait. La seconde partie porte sur des dispositions
plus précisément affectées alors qu'elles font
l'objet de protections particulières.
I - Sur la suppression de fait de l'Aide Médicale État
Il ressort de l'exposé des motifs et des mesures envisagées
(s'ajoutant à l'introduction d'un ticket modérateur lors
de la précédente loi de finances rectificative pour 2002)
que l'accès aux soins médicaux sera désormais quasi
impossible pour les personnes étrangères démunies,
résidant en France sans titre de séjour. Or, l'accès
effectif à l'Aide Médicale est garanti par de multiples
dispositions de rang constitutionnel, international, légales
et réglementaire.
Faut-il le rappeler, la loi est tenue de respecter les dispositions
contenues dans le bloc constitutionnel et dans les conventions et accords
internationaux ratifiés par la France (article 55 de la Constitution
du 4 octobre 1958).
· Ces dispositions, en vidant le droit à l'Aide Médicale
de toute réalité, portent atteinte à l'existence
du service public constitutionnel
L'alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre
1946, intégré au bloc de constitutionnalité, énonce
un droit très large de la protection sociale (notamment
: décisions n° 75-54 DC du 15 janvier 1975, n° 80-117
DC du 22 juillet 1980, n° 86-225 DC du 23 janvier 1987,
n° 89-269 du 22 janvier 1990, n° 90-287 DC du 16 janvier
1991, n° 91-296 DC du 29 juillet 1991, n° 93-325 DC
du 13 août 1993, n° 93-330 DC du 29 décembre
1993, n° 96-387 DC du 21 janvier 1997, n° 97-388
DC du 20 mars 1997
). Plusieurs décisions ont
consacré ce qu'il est convenu d'appeler des services publics
constitutionnels " dont l'existence et le fonctionnement seraient
exigés par la Constitution " (Décision n° 86-207
DC des 25-26 juin 1986, AJDA,1986, p.575, note J. Rivero ; n° 86-217
DC du 18 septembre 1986, AJDA,1987, p.102, note P. Waschmann et droit
social, 1986, p.606, note Y. Guyon ; et n°88-232 DC du 7 janvier
1988). Le fait que ces services, parmi lesquels celui de l'aide sociale,
voient leur existence découler ou leur création exigée
par des principes ou règles de valeur constitutionnelle implique
qu'ils ne sauraient être supprimés sans qu'intervienne
au préalable une révision corrélative de la constitution.
Bien que la présente circulaire ne procède pas à
la suppression stricto sensu de l'AME, elle introduit de telles exigences
qu'elle conduit à interdire son accès effectif à
ses destinataires originels. C'est cette suppression de fait
qui menace l'existence même de ce service public constitutionnel.
· Ces dispositions contreviennent au principe de dignité
Outre le caractère fondamental du droit à la dignité,
l'article 1er de la loi n°98-657 du 29 juillet 1998 relative à
la lutte contre les exclusions rappelle que « la lutte
contre les exclusions est un impératif national fondé
sur le respect de l'égale dignité de tous les êtres
humains et une priorité de l'ensemble des politiques publiques
de la nation ».
· Ces dispositions contreviennent à plusieurs textes
internationaux qui garantissent une assistance sociale effective :
L'effectivité de ce droit interdit que soient opposées
aux demandeurs de strictes conditions d'accès aboutissant à
les priver de ce droit.
La circulaire DIRMI/DAS/DSS n° 93-07 du 9 mars 1993
(§ 332.1) rappelle que l'obligation de solidarité contenue
dans le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et dont
découle le droit aux soins de toute personne résidant
en France, a été réaffirmée par la France
à l'occasion d'engagements internationaux, tels que la Convention
européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales
du 4 octobre 1950, le Pacte international sur les droits civils et
politiques (loi du 15 juin 1980) et la Convention relative aux
droits de l'enfant (loi du 2 juillet 1990).
Cette liste peut être complétée :
-
La déclaration universelle des droits de l'homme
du 10 décembre 1948 affirme notamment dans ses articles
22 et 25 que « toute personne, en tant que membre
de la société, (
) est fondée
à obtenir la satisfaction des droits économiques,
sociaux et culturels indispensable à sa dignité et
au libre développement de sa personnalité (et)
a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé,
son bien être et ceux de sa famille
»
A noter que ces droits sont accordés à « toute
personne », indépendamment de la nationalité
ou de la situation au regard du séjour.
-
Le Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels du 16 décembre 1966 pose notamment
un principe de non-discrimination pour la jouissance des droits
qu'il énonce (article 2-2), le droit à la protection
et l'assistance pour la famille, la maternité et les enfants
(article 10), le droit de toute personne à un niveau de
vie suffisant (article 11-1). Ce texte a une portée universelle
et vaut pour tout individu présent sur le territoire français,
indépendamment de la nationalité et de la régularité
de séjour. Ses dispositions sont directement invocables auprès
d'une juridiction, conformément à la position du Comité
des droits économiques, sociaux et culturels, chargé
du suivi et de la veille de l'application du pacte.
-
A travers l'article 13 de la Charte sociale européenne,
la France s'est engagée à assurer l'exercice effectif
du droit à l'assistance sociale et médicale.
Il énonce en effet que « Toute personne démunie
de ressources suffisantes a droit à l'assistance sociale et médicale »
et renvoie à la partie II de la Charte « les modalités
d'exercice effectif » de ce droit. Il est notamment précisé
que les Etats parties à la Charte doivent « veiller
à ce que toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes
et qui n'est pas en mesure de se procurer celles-ci par ses propres
moyens ou de les recevoir d'une autre source, notamment par des prestations
résultant d'un régime de sécurité sociale,
puisse obtenir une assistance appropriée et, en cas de maladie,
les soins nécessités par son état »
(Partie II, article 13.1).
Les étrangers en situation précaire de séjour
bénéficient de ces dispositions.
Certes, en application du paragraphe 4 de l'article 13, le bénéfice
des droits visés au paragraphe 1, « sur un pied
d'égalité avec l(es) nationaux », est subordonné
à la résidence régulière des ressortissants
des Etats parties. Autrement dit, seuls les étrangers répondant
à une condition de séjour régulier bénéficient
de l'égalité de traitement dans la jouissance des droits
protégés par les paragraphes 1, 2 et 3 de l'article 13.
Le système français de la CMU est conforme à ces
dispositions en ce qu'il prévoit que les personnes disposant
de moins de 566 € par mois aient leurs soins totalement et gratuitement
pris en charge, qu'elles soient françaises ou étrangères
résidant de manière stable et régulière.
Pour autant, le paragraphe 4 de l'article 13 n'interdit pas aux étrangers
qui ne résideraient pas légalement sur le territoire français
de jouir des droits énoncés au paragraphe 1, notamment.
Simplement, ils ne peuvent pas prétendre en bénéficier
« à égalité » avec les nationaux.
Autrement dit, cette disposition envisage qu'un traitement distinct
soit accordé aux étrangers démunis en situation
irrégulière sans remettre en cause le fait qu'ils dussent
bénéficier du droit effectif à la santé.
Le fait que les étrangers en situation irrégulière
soient cantonnés au système de l'AME n'est donc pas en
cause : un traitement différent leur est réservé
(« panier de soins »). Mais cette différence
de traitement ne doit pas aller jusqu'à menacer leur accès
effectif à la santé : c'est cette frontière que
franchit le législateur en introduisant d'irréalistes
exigences à l'encontre des étrangers en situation irrégulière.
Cette analyse a d'ailleurs été soutenue, à propos
de la loi de finances rectificative pour 2002, dans le cadre d'une réclamation
collective devant le Comité européen des droits sociaux,
le 3 mars 2003 [1].
- Plusieurs accords conclus entre la France et différents États
tiers posent expressément un principe d'égalité
de traitement en matière d'aide sociale entre Français
et les ressortissants de l'Etat partie, indifféremment à
la régularité du séjour :
-
Déclarations gouvernementales, conclues entre l'Algérie
et la France à Evian, le 19 mars 1962 ;
-
Convention d'établissement entre la France et la République
Centrafricaine du 13 août 1960 ;
-
Convention d'établissement entre la République française
et la république gabonaise, signée à Libreville,
du 17 août 1960 ;
-
Convention bilatérale relative à l'assistance et
à la prévoyance sociale conclue entre la France et
la Pologne, à Varsovie, le 14 octobre 1920 ;
-
Convention d'établissement entre la France et le Sénégal,
à Paris, le 29 mars 1974 ;
-
Convention d'établissement entre la France et le Togo conclue
le 10 juillet 1963, renégociée à Lomé
le 13 juin 1996 : selon l'article 4, « Chacune des
Parties contractantes d'engage à accorder sur son territoire
un traitement juste et équitable aux biens, droits et intérêts
appartenant à des nationaux de l'autre Partie, à leur
assurer la pleine protection légale et judiciaire, et à
faire en sorte que l'exercice du droit ainsi reconnu ne soit pas
entravé ». L'Aide Médicale étant
un droit, ce dernier doit être accordé sans entrave
aux ressortissants togolais, même s'ils sont en situation
irrégulière au regard du séjour. En effet,
l'application du présent article n'est subordonnée
ni expressément à la régularité du séjour,
ni à des modalités qui seraient définies par
la législation de l'Etat de résidence, ni à
des dérogations qui seraient imposées par des motifs
impérieux d'intérêt national (de telles réserves
sont formulées pour le bénéfice d'autres articles
de cette Convention).
· Ces dispositions portent atteinte à la loi n° 98-657
du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions
Le législateur s'est engagé à travers l'article
1er de cette loi à garantir « sur l'ensemble du
territoire l'accès effectif de tous aux droits fondamentaux dans
le domaine (
) de la protection de la santé, (
)
de la protection de la famille et de l'enfance. »
Selon l'article 67, « l'accès à la prévention
et aux soins des personnes les plus démunies constitue un objectif
prioritaire de la politique de santé. Les programmes de santé
publique mis en uvre par l'Etat ainsi que par les collectivités
territoriales (
) prennent en compte les difficultés
spécifiques des personnes les plus démunies ».
Il s'agit là d'un principe de facilitation absolue de l'accès
à la prévention et aux soins de toute personne résidant
sur le territoire : cet accès effectif ne saurait être
mis en cause par une quelconque entrave, en particulier la difficulté
à rassembler des pièces justificatives liée à
la variabilité du logement, à la précarité
de la situation sociale ou à l'instabilité des ressources.
Il convient de noter que l'application de ces garanties n'est nullement
subordonnée à la régularité de séjour
et qu'elle concerne par conséquent toute personne démunie
dans le besoin se trouvant sur le territoire français.
II - Sur l'exigence d'une durée de résidence préalable
de trois mois
L'article 49 du PLFR pour 2003 instaure, pour les personnes souhaitant
obtenir le bénéfice de l'AME, un délai de résidence
continue et préalable de trois mois. La finalité serait,
d'après l'exposé des motifs, « d'éviter
que l' AME ne prenne en charge des personnes qui ne séjournent
sur le territoire que pour une courte durée (
),
de recentrer l'AME sur sa vocation humanitaire et [d'éviter]
la prise en charge de simples séjours sanitaires de personnes
étrangères qui n'ont jamais résidé en France ».
Cette nouvelle exigence est superfétatoire puisqu'il existe
déjà un instrument juridique permettant d'écarter
du bénéfice de l'AME les personnes de passage. Il s'agit
de l'avis du Conseil d'Etat du 8 janvier 1981.
Selon cet avis, la durée du séjour est indifférente,
seules doivent être prises en considération les intentions
du demandeur en ce qui concerne sa résidence en France : « la
condition de résidence (
) doit être regardée
comme satisfaite en règle générale, dès
lors que l'étranger se trouve en France et y demeure dans des
conditions qui ne sont pas purement occasionnelles et qui présentent
un minimum de stabilité. Cette situation doit être
appréciée, dans chaque cas en fonction de critères
de fait et, notamment, des motifs pour lesquels l'intéressé
est venu en France, des conditions de son installation, des liens d'ordre
personnel ou professionnel qu'il peut avoir dans notre pays, des intentions
qu'il manifeste quant à la durée de son séjour ».
III - Sur la suppression de l'admission immédiate à
l'AME
L'article 49 du projet de loi vise à supprimer l'admission immédiate
à l'AME.
Pour justifier la suppression de la procédure d'admission immédiate
à l'AME, l'argumentaire des rédacteurs peut être
résumé ainsi :
-
En cas d'urgence médicale, il n'est pas nécessaire
d'obtenir une admission immédiate préalable aux soins
hospitaliers.
-
La prise en charge financière par l'AME sera rétroactive,
après l'hospitalisation, pour le seul séjour hospitalier.
Il apparaît donc que les rédacteurs du projet de loi,
de même que ceux du rapport de l'IGAS de février 2003 qui
en fournissent la trame, ignorent manifestement l'objectif et la justification
de l'admission immédiate, qu'ils confondent avec l'hospitalisation
en urgence.
En permettant la délivrance des soins nécessaires dans
les délais médicalement requis :
-
La procédure d'admission immédiate n'est pas destinée
à soigner l'urgence médicale, mais bien au contraire
à prévenir l'urgence médicale.
-
La procédure d'admission immédiate n'est pas destinée
à permettre l'hospitalisation en urgence, mais à éviter
l'hospitalisation en urgence.
Il est vrai qu'en cas d'urgence médico-chirurgicale justifiant
une hospitalisation, l'obligation de l'hôpital est d'hospitaliser,
indépendamment de toute protection maladie. Pour une personne
non assurable, résidant en France et démunie, la demande
d'AME peut alors être demandée rétroactivement.
MAIS : lorsque, avant l'urgence médico-chirurgicale, une telle
personne se présente en consultation médicale (en médecine
de ville ou en consultation hospitalière, dans une PASS ou une
association) pour un problème de santé qui nécessite
des soins spécialisés dans un délai rapide, seule
l'admission immédiate permet la délivrance de ces soins
et donc permet d'éviter l'aggravation de l'état de santé
conduisant après quelques jours ou quelques semaines à
une urgence médico-chirurgicale.
En pratique : si l'urgence est vitale, l'hôpital assurera les
soins. Pas si l'urgence peut être différée. Sans
AME, dans le meilleur des cas, les soignants sont condamnés à
bricoler quelques soins simples. Dans le pire, on exclut.
Ainsi, la suppression de l'admission immédiate :
-
interdit à une femme enceinte d'obtenir l'échographie
préventive dans les délais réglementaires,
ce qui peut entraîner des retards aux soins en cas de complication
;
-
interdit à un patient qui apprend sa séropositivité
VIH de pratiquer le bilan immunitaire (charge virale, CD4) indispensable
pour l'évaluation pré-thérapeutique ;
-
interdit à un patient asthmatique ou à un patient
diabétique de bénéficier des examens et traitements
spécialisés, ce qui risque d'entraîner une décompensation
aigue de la maladie
Aucun de ces soins ne justifie, au moment où ces patients sont
vus, une hospitalisation « en urgence ».
La plupart de ces soins sont inaccessibles en dehors d'une protection
maladie, même dans les dispositifs de « soins gratuits »
(la charge virale n'est jamais « gratuite »).
Tous ces soins, en étant administrés dans les délais
médicalement justifiés, permettent de diminuer la morbidité
et le recours tardif et coûteux à l'hospitalisation « en
urgence ».
Bien entendu, les mêmes arguments qui justifient l'admission
immédiate en AME la justifient en matière de complémentaire
CMU (article L.861-5° du CSS). Or selon la circulaire DSS/2A/99/701
du 17 décembre 1999, § IV : « Il est essentiel
que l'admission immédiate à la protection complémentaire
en matière de santé soit prononcée lorsque sa nécessité
est signalée par les services sociaux, associations ou organismes
agréés [...] qui ont transmis la demande. Dans
ce cas, les caisses doivent prendre toute disposition pour que cette
notification de droit à la complémentaire soit délivrée
dans la journée à l'intéressé [...]. »
Il est donc essentiel que l'admission immédiate à l'AME
soit prononcée selon la même procédure, particulièrement
lorsqu'est signalée la nécessité de soins spécialisés,
inaccessibles dans les dispositifs de soins « gratuits ».
Si elle devait être confirmée, la suppression de l'admission
immédiate à l'AME aurait pour conséquence une détérioration
de l'état de santé des personnes non-assurables et résidant
en France, un retard aux soins curatifs, un recours tardif et plus fréquent
aux établissements hospitaliers, et un coût plus élevé
pour la collectivité.
Le nouveau mécanisme de remboursement des hôpitaux qui
auraient soigné malgré tout des sans papiers en urgence
vitale et sans AME, démontre la volonté de remplacer un
droit personnel à l'AME par une gestion comptable au soin par
soin.
L'une des conséquences est le retour de 10 ans en arrière
(1992) pour les services des urgences des hôpitaux tenus de produire
des « certificats d'urgence » pour les patients
« insolvables » afin de garantir à leur
service le remboursement des soins effectués.
- en outre, l'invitation par l'exposé des motifs à un
durcissement du contrôle tend à remettre en cause le caractère
déclaratif, pourtant indispensable à l'égard de
populations précaires et protégé par l'article
45-1 du décret du 2 septembre 1954 selon lequel « la
décision d'admission à l'Aide Médicale, totale
ou partielle, est prononcée au vu des déclarations souscrites
par le demandeur ».
En effet, comment un sans papier pourrait il justifier par des documents
de sa résidence et ses ressources autrement que par déclaration
sur l'honneur ?
Il s'agit à chaque fois de preuves négatives qu'il est
malaisé, voire impossible d'établir. Une procédure
d'admission plus longue dans le temps ne résoudra pas cet état
de fait et conduira, au mieux, à retarder les soins, au pire,
au renoncement à se soigner.
Notes
[1] La réclamation
de la FIDH -élaborée en collaboration avec la LDH et le
GISTI - a été déposée en vertu d'un Protocole
additionnel à la Charte permettant aux ONG et syndicats habilités
de déposer une Plainte (« réclamation »)
contre un État Partie. Elle a été déclarée
recevable par le Comité européen des droits sociaux. La
procédure suit son cours.
Cette lettre au format pdf
(101 ko)
La lettre envoyée
le 12 décembre aux sénateurs
(format pdf, 102 ko)
Dernière mise à jour :
17-12-2003 13:52
.
Cette page : https://www.gisti.org/doc/actions/2003/ame/deputes.html
|