Droits des étrangers
dans les centres
de rétention et les zones d'attente
Lettre ouverte
au Premier Ministre
25/10/2001
Amnesty International (section française)
Action des Chrétiens pour l'Abolition de la Torture
ANAFÉ (Association nationale d'assistance aux frontières
pour les étrangers)
Cimade
Comede
Droits d'urgence
Forum Réfugiés
Gisti
Ligue des droits de l'homme
Médecins du Monde
MRAP
Ordre des avocats à la Cour de Paris
Syndicat des Avocats de France
Syndicat de la Magistrature
Monsieur Lionel JOSPIN
Premier Ministre
Hôtel Matignon
75007 PARIS
Paris, le 17 octobre 2001
Objet : privations de liberté en matière de police
des étrangers demande d'usage du pouvoir réglementaire
pour renforcer la garantie des droits des étrangers maintenus
en zones d'attente ou retenus en centre de rétention.
Monsieur le Premier Ministre,
Les organisations soussignées vous prient de faire usage de
votre pouvoir réglementaire pour apporter une solution aux problèmes
graves qu'elles rencontrent dans le cadre de leurs missions respectives
auprès des étrangers privés de liberté par
les services de police.
Que ce soit lors de leur arrivée en France s'ils
demandent l'asile ou se voient opposer un refus d'admission sur le territoire
ou à l'inverse pour les besoins de leur éloignement du
territoire français, les étrangers peuvent faire l'objet
de mesures administratives de privation de liberté. Ils se trouvent
alors placés sous la responsabilité des services de police
qui les détiennent.
La loi leur assure en principe le respect d'un certain nombre de droits
mais l'expérience acquise par nos organisations démontre
que ces garanties restent trop souvent purement formelles. Des dérives
graves ont été observées et sont régulièrement
dénoncées, s'agissant notamment des conditions matérielles
de privation de liberté, par le Comité de prévention
de la torture du Conseil de l'Europe.
Une part importante de ces graves difficultés serait pourtant
résolue par le recours à un certain nombre de dispositions
techniques simples, relevant du pouvoir réglementaire.
Aussi, nous vous demandons sans préjudice des modifications
législatives qui seraient nécessaires de bien
vouloir compléter les décrets n° 2001-236 du
19 mars 2001 relatif aux centres et locaux de rétention
et n° 95-507 du 2 mai 1995 relatif aux zones d'attente,
pour y apporter un certain nombre de garanties nécessaires pour
assurer l'effectivité des droits des personnes privées
de liberté.
I Sur les locaux
et centres de rétention
La loi n° 81-973 du 29 octobre 1981 relative aux conditions
d'entrée et de séjour des étrangers en France a
modifié fondamentalement l'ordonnance du 2 novembre 1945.
Elle y a inséré un article 35 bis définissant
la rétention administrative des étrangers visés
par une mesure d'éloignement.
Pour son application concrète, une série de décisions
réglementaires a été prise sans jamais toutefois
définir de façon précise les modalités de
la privation de liberté, jusqu'à ce que cette lacune soit
complétée par un décret du 19 mars 2001 (JO
du 20 mars) et un arrêté pris pour son application
le 24 avril suivant (JO du 18 mai), comportant un modèle
de règlement intérieur de centre de rétention.
Attendus depuis près de 20 années, ces textes ont
pour objectif de mettre un terme aux dérives constatées
et de mieux encadrer juridiquement les lieux de rétention, ce
qui ne peut que recueillir notre approbation. Ils sont cependant totalement
silencieux sur les modalités de l'accès des retenus à
un avocat. Cette garantie essentielle prévue par la loi n'est
dans les faits pas effective.
Il est en effet très rare que les retenus reçoivent effectivement
la visite d'un conseil, qu'ils rencontrent généralement
pour la première fois à l'audience, alors même que
le législateur de 1998 est intervenu pour préciser que
cette rencontre devait pouvoir se faire « dès le début
du maintien » et sous le bénéfice de l'aide
juridictionnelle, « le cas échéant ».
C'est pourquoi nous vous prions de bien vouloir compléter ce
dispositif réglementaire en y ajoutant les dispositions suivantes,
qui paraissent nécessaires pour garantir l'effectivité
de ce droit prévu par la loi.
1) Sur les horaires de visite de l'avocat
La pratique a montré que l'intervention de l'avocat se heurte
en premier lieu aux horaires de visite qui lui sont parfois opposés,
déterminés de manière hétérogène
sur le territoire et alignés dans de nombreux cas sur ceux réservés
aux familles et visiteurs.
On observera tout d'abord que la loi n'a limité ni la durée,
ni les horaires des rencontres d'un étranger avec son avocat.
L'étranger dispose en effet de très peu de temps pour
exercer les divers recours qui lui sont ouverts (48 heures pour
saisir le tribunal administratif ou pour faire appel d'une ordonnance
prolongeant sa rétention), de sorte que l'avocat intervient le
plus souvent dans l'urgence.
Le modèle de règlement intérieur annexé
à l'arrêté du 24 avril 2001 prévoit
certes, « par dérogation » aux horaires
des autres visiteurs, que les avocats bénéficieront d'horaires
de visite que l'on suppose élargis, mais n'interdit pas que des
restrictions horaires soient apportées.
Ceci est d'autant plus choquant que l'article 20 du même
modèle de règlement prévoit que le représentant
consulaire ne sera pas soumis à cette restriction et qu'il pourra
de jour comme de nuit, « sans condition de jour ni d'heure,
rencontrer son ressortissant », ce qui crée une
disparité contraire à la loi qui garantit de la même
manière le droit pour l'intéressé de rencontrer
son avocat comme son consul, sans limitation.
En matière de zones d'attente la Cour de cassation a récemment
jugé qu'il ne pouvait être opposé aucun horaire
à l'avocat rendant visite à son client, leur liberté
de communication devant pouvoir s'exercer à tout moment, sans
limite, même de nuit (cass. 2ème civ. 25 janvier
2001). Les mêmes considérations doivent a fortiori
prévaloir dans les centres ou locaux de rétention où
les délais de procédure sont encore plus courts et plus
rapides qu'en matière de zones d'attente.
Dès lors, nous vous demandons de compléter le décret
du 19 mars 2001 afin d'y préciser expressément qu'aucune
restriction d'horaire ou de temps ne saurait être opposée
à l'avocat rendant visite à un étranger retenu.
2) Sur le contrôle d'entrée
L'article 19 du modèle de règlement intérieur
annexé à l'arrêté du 24 avril 2001 indique
que les « visiteurs doivent se soumettre obligatoirement
au contrôle de sécurité prévu au moyen de... »
sans autre forme de précision quant au processus de contrôle.
Il n'est pas expressément indiqué si les avocats seront
soumis à ce contrôle, alors même que l'article 20
mentionne que les représentants consulaires « ne
sont soumis qu'à un contrôle de sécurité
visuel, sans fouille de leur vêtement ni de leurs bagages et sans
passage sous les portiques de détection ».
Il est bien certain qu'il ne saurait en être autrement des avocats,
auxiliaires de justice, qui ont prêté serment devant la
Cour d'appel de leur barreau et dont la mission constitue un véritable
service public, a fortiori lorsqu'ils interviennent au titre
de l'aide juridictionnelle.
Eu égard aux errements constatés dans les années
passées, il nous apparaît essentiel que le décret
mentionne expressément cette garantie de confiance à l'égard
de la profession d'avocat en étendant à ceux-ci l'exception
qui n'est, en l'état, prévue qu'en faveur des seules autorités
consulaires.
3) Sur la confidentialité de la rencontre entre l'étranger
et son avocat
Ni le décret ni l'arrêté ne garantissent la confidentialité
de l'entretien de l'étranger retenu avec son avocat. On observera
que le médecin n'a pas plus cette assurance.
Cependant, l'article 20 du modèle de règlement intérieur
offre aux représentants consulaires cette possibilité
« s'ils le demandent ».
Ici non plus, aucune disparité de traitement ne saurait être
justifiée et il est essentiel que le décret soit complété
pour prévoir la mise à disposition d'un local spécifique
garantissant la confidentialité des entretiens des étrangers
avec l'avocat.
4) Sur la confidentialité des communications avec l'extérieur
ou depuis l'extérieur
Marquée par l'urgence, la procédure de rétention
impose que l'avocat puisse communiquer avec l'extérieur (familles,
associations, avocats, médecins...) mais aussi avec l'intéressé
depuis l'extérieur, tant dans sa mission d'assistance pour la
phase contentieuse de rétention ou de reconduite à la
frontière, que pour toute mission de conseil qui lui serait confiée
par un étranger retenu.
Le décret devra donc être complété pour
garantir la confidentialité des communications de l'avocat avec
des tiers à l'extérieur ou, depuis l'extérieur,
avec l'étranger retenu.
5) Sur l'assistance d'un interprète
L'article 35 bis prévoit le droit d'un étranger
retenu à bénéficier de l'assistance d'un interprète.
Ceci englobe nécessairement le bénéfice des mêmes
facilités pour l'avocat assistant l'étranger. La nécessité
d'un interprète peut apparaître notamment lors de contacts
pris par téléphone par l'avocat avec la famille d'un étranger.
Il importe donc que le décret soit complété pour
prévoir le droit pour l'avocat d'être assisté d'un
interprète lorsqu'il rencontre son client ou intervient dans
le cadre de son assistance.
6) Sur l'affectation de locaux de permanences équipés
Comme il a été rappelé, l'article 35 bis
de l'ordonnance soumet les barreaux à une véritable mission
de service public. Les ordres ont mis en place des permanences pour
assurer la défense des étrangers auprès des juridictions
dans le cadre du contentieux de la reconduite à la frontière
et du contentieux de la rétention.
La modification de l'article 35 bis par la loi du 11 mai
1998 alourdit la tâche des Ordres puisque les avocats peuvent
également être sollicités pour une mission de conseil,
indépendamment des procédures de reconduite à la
frontière et/ou de rétention.
L'étranger peut « dès le début du
maintien » en rétention solliciter une telle assistance.
Si certains barreaux ne sont pas soumis à une forte pression
de demandes, d'autres en revanche doivent assurer, notamment au titre
de l'aide juridictionnelle, de très nombreuses missions. L'éloignement
géographique des lieux de rétentions par rapport aux lieux
de résidence professionnelle des avocats et des tribunaux conduit
à de nombreux déplacements qui au surplus retardent les
interventions des avocats.
Il nous apparaît donc essentiel que le décret soit complété
pour prévoir la possibilité d'instaurer de véritables
permanences d'avocats dans les lieux de rétention, sous forme
de conventions entre les préfets et les ordres (comme il en est
prévu à l'article 14 en matière de soins),
de même que depuis de nombreuses années les autorités
judiciaires ont mis à la disposition des barreaux des locaux
dans les palais de justice pour assurer au mieux leurs missions sous
forme de permanences. Les locaux affectés à ces permanences
devront être suffisamment équipés pour rendre possible
l'exercice de leur mission par les avocats (téléphone
et télécopieur).
II Sur les zones d'attentes
Les observations effectuées par nos organisations, et notamment
celles qui sont habilitées en application de l'article 35 quater
de l'ordonnance de 1945 pour visiter les zones d'attente, convergent
avec celles du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés
(HCR), du Comité européen pour la prévention de
la torture (CEPT) et de certains parlementaires ayant exercé
le droit de visite prévu par la loi, pour établir un constat
des multiples dysfonctionnements ou illégalités préjudiciables
aux étrangers maintenus :
-
difficulté pour les étrangers maintenus de comprendre
la procédure qui leur est appliquée,
-
obstacles opposés aux visites d'avocats, notamment par
des limitations horaires incompatibles avec la loi,
-
témoignages trop fréquents de violences policières
à l'égard des personnes maintenues, insuffisance flagrante
du personnel médical et paramédical spécialement
affecté pour les personnes maintenues en zone d'attente,
-
absence récurrente d'interprète permettant aux étrangers
de comprendre et de se faire comprendre des différents interlocuteurs,
-
obstacles et/ou retards pour l'enregistrement des demandes d'asile
par la Police aux Frontières,
-
absence d'aide et de préparation avant les auditions relatives
à l'examen du caractère manifestement infondé
des demandes d'asile,
-
difficultés pour communiquer avec l'extérieur,
-
absence d'informations sur les voies de recours possibles,
-
absence de communication en temps voulu des dates et heures des
audiences au Tribunal de Grande Instance,
-
difficultés permanentes ou limitations des visites des
membres de la famille ou des amis,
-
non respect fréquent du délai d'un jour franc prévu
à l'article 5 de l'ordonnance de 1945 avant l'exécution
d'une mesure de non-admission,
-
inadaptation des conditions de maintien pour des personnes mineures
pourtant maintenues,
-
omission régulière de délivrance du sauf
conduit aux personnes admises sur le territoire...
Dans ces conditions, le dispositif qui prévaut actuellement
dans les zones d'attente ne peut être considéré
comme respectueux du droit des personnes et des règles françaises
et européennes relatives à la protection des droits individuels.
C'est pourquoi, sans préjudice d'une modification législative
qui s'impose à court terme, les organisations soussignées
vous prient de bien vouloir faire usage de votre pouvoir réglementaire
pour rendre sans délai un certain nombre de mesures qui renforceraient
les droits des personnes.
Il est en particulier essentiel de compléter le dispositif réglementaire
existant, par exemple en modifiant le décret n° 95-507
du 2 mai 1995, sur les points suivants :
1) Instauration de véritables permanences d'avocats en zone
d'attente
Il apparaît essentiel que de telles permanences soient instaurées
dans les plus brefs délais. Les considérations développées
plus haut en faveur de l'instauration de permanences d'avocats dans
les centres de rétention sont a fortiori transposables aux zones
d'attente où le Comité européen de prévention
de la torture en a lui-même souligné la nécessité
dans son dernier rapport.
Par leur objet ces permanences devront pouvoir relever de l'aide juridique
ou juridictionnelle (assistance pour les besoins de la demande d'asile,
comme pour les besoins de la comparution devant le président
du Tribunal de grande instance).
Les modalités des visites d'avocats aux étrangers maintenus
devront être entourées des mêmes garanties que celles
évoquées ci-dessus au profit des étrangers retenus
en locaux de rétention (absence de limitation horaire conformément
à la jurisprudence de la Cour de cassation, confidentialité,
assistance d'un interprète, locaux adaptés et équipés).
2) Élargissement du droit de visite des associations
L'évolution de la situation de fait rend nécessaire une
réévaluation des besoins en ce qui concerne les visites
d'associations prévues par la loi.
La définition de l'étendue de ces visites relève
du pouvoir réglementaire. Les constats accablants et convergents
dressés par les organisations internationales (HCR et CEPT),
les parlementaires et associations intervenant en l'état de leurs
possibilités, montrent l'échec flagrant du régime
actuel des zones d'attente. Les violations des droits des personnes
allant jusqu'à l'atteinte portée à leur intégrité
physique rendent indispensable un droit de regard accru de la société
civile jouant à cet égard un rôle préventif.
Le décret de 1995 doit donc être modifié de telle
sorte que les associations ayant pour objet l'aide ou l'assistance aux
étrangers, la défense des droits de l'homme ou l'assistance
médicale ou sociale puissent être habilitées à
accéder de façon permanente aux zones d'attente pour y
apporter l'aide et l'assistance nécessaire aux étrangers
maintenus.
Cet accès permanent devra bénéficier aux associations
dont la vocation est nationale, régionale ou locale, sans distinction.
Les associations habilitées devront se voir reconnaître
la possibilité d'accéder aussi souvent qu'elles le souhaitent
à la zone d'attente, de jour comme de nuit et sans avoir à
formaliser de demande préalable. Il devra être clairement
spécifié, pour éviter les difficultés d'interprétation
aujourd'hui parfois opposées aux visiteurs, que le droit de visite
s'exerce sur l'ensemble des locaux et espaces constituant la zone d'attente
telle que la définit l'article 35 quater de l'ordonnance
de 1945 (s'étendant « des points d'embarquement
et de débarquement à ceux où sont effectués
les contrôles des personnes » et pouvant inclure
« un ou plusieurs lieux d'hébergement »
Chaque association habilitée devra pouvoir désigner le
nombre de représentants qui lui paraît nécessaire
pour répondre aux sollicitations et aux besoins des personnes
maintenues, chacune des personnes ainsi désignée devant
recevoir une habilitation nominative d'accès à la zone
d'attente.
Il est essentiel que les représentants ainsi habilités
puissent s'entretenir confidentiellement avec les étrangers maintenus
et bénéficier si besoin de l'assistance d'un interprète.
L'ensemble des modifications réglementaires demandées
ci-dessus se rattache à des droits d'ores et déjà
édictés par la loi et pourtant mal garantis dans les faits.
Nous attachons donc le plus grand prix à ce que soient prises
ces dispositions relevant de vos pouvoirs, qui s'avèrent indispensables
pour remédier à une situation unanimement dénoncée
comme intolérable.
Certains que, sensible à nos inquiétudes, vous aurez
à cur d'y apporter les solutions relevant de votre autorité,
nous vous prions de croire, Monsieur le Premier ministre, à l'assurance
de notre haute considération.
Liste des signataires
- Amnesty International
- Association des Chrétiens pour l'Abolition de la Torture
- Association nationale d'assistance aux frontières pour les
étrangers
- Cimade
- Comede
- Droits d'urgence
- Forum réfugiés
- Gisti
- Ligue des droits de l'homme
- Médecins du Monde
- MRAP
- Ordre des avocats à la Cour de Paris
- Syndicat des Avocats de France
- Syndicat de la Magistrature
Dernière mise à jour :
30-10-2001 17:33
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